La justice populaire congolaise fait de nouvelles victimes
Plusieurs criminels présumés ont été tués après que les habitants, déçus par le système judiciaire, aient pris la justice en main.
An aerial view of the Masisi region, scene of a recent case of mob justice. (Photo: UN Photo/Marie Frechon) De récents cas de justice populaire au cours desquels des criminels présumés ont été battus à mort par une foule en colère ont alarmé les autorités au Nord Kivu.
Des observateurs indiquent que l’héritage de la guerre a rendu les gens de la région méfiants envers les autorités, et ils accusent la corruption généralisée d’avoir provoqué la défiance des gens par rapport au système judiciaire.
Le 9 septembre dernier, un homme identifié sous le nom de Kalum Kaludji et qui serait un voleur armé, a été tué par des habitants qui l’avaient appréhendé alors qu’il sortait d’une maison dans laquelle il avait pénétré dans le district de Mabanga, au sud de Goma.
Une semaine plus tard, à quelques 70 kilomètres à l’extérieur de Goma, dans la région de Masisi, un homme a été tué dans des circonstances similaires, et un autre incident survenu en juillet dernier dans le quartier de Kasika, dans le district de Goma, avait entraîné la mort de cinq personnes.
Selon Katabs Assumani, un témoin oculaire, un gang armé aurait attaqué et tué deux hommes à Kasika, vers 2h du matin, le 13 juillet dernier.
“Alerté par les bruits et les cris des voisins et d’autres membres de la famille, les militaires des FARDC (les forces armées congolaises) ont arrêté deux de ces hommes armés qui cherchaient à s‘ enfuir,” a déclaré Assumani.
“La population était mécontente, croyant que la police cherchait à protéger ces bandits. Elle a demandé à la police de lui livrer ces hommes afin de venger eux même la mort de leurs voisins.”
Après que la police eut refusé de livrer les deux hommes, la foule commença à jeter des pierres sur les officiers et, dans la débandade qui s’ensuivit, parvint à s’emparer de l’un des deux suspects.
“Pour disperser la foule rassemblée en nombre et répliquer face à cette révolte de la population, un officier des FARDC a tiré à bout portant sur la population, tuant deux civils,” raconte Musubao Muhindo, un autre habitant du quartier.
Bazenge Batunwabi, l’inspecteur de la police provinciale, a confirmé le fait qu’un officier des FARDC avait tiré sur des civils, ajoutant que cette question n’avait pas été portée à l’attention du bureau de l’auditorat militaire.
Victorine Muhima, chef du quartier de Kasika, a déclaré que, suite à la fusillade, des personnes de la foule avaient tué l’homme qu’ils détenaient avant de mettre le feu à son cadavre.
Certains considèrent de tels incidents comme une conséquence naturelle de la vie dans un pays en situation d’après conflit où peu de gens font confiance aux institutions officielles.
“Si vous amenez quelqu’un devant la justice, il va sortir de prison parce qu’il va soudoyer l’État,” a déclaré Clovis, un habitant de Goma. “Les autorités dorment. C’est pourquoi les gens ont décidé de prendre les choses en main. La population est en colère. Vous travaillez et quelqu’un vient récolter le fruit de vos efforts et rien n’est fait. C’est la colère qui rend la population acharnée.”
L’inspecteur de police Batunwabi reconnaît que quelque chose doit être fait au sujet de la corruption, mais pour lui, il ne s’agit pas là du seul problème.
“Nous sommes en train de reconstruire ce pays pour pouvoir rattraper d’autres nations africaines. Mais le Nord Kivu reste en situation d’après conflit et il y a toujours des choses qui vont contre la loi. Nous devons dissuader ce genre de pratiques étant donné que nous voulons vivre dans un État de droit.”
La justice populaire n’est pas la réponse aux problèmes auquel le système judiciaire est confronté, a-t-il dit, précisant, “Ce n est pas à la population de se rendre elle-même justice, elle doit plutôt faire confiance à la justice et attendre que justice soit faite.”
François Tuimbaze Rushongoza, le ministre des droits de l’Homme de la province, a également indiqué que le public ne pouvait pas contourner le système judiciaire, malgré ses défauts.
“Ces actes de la population sont une forme de révolte contre une mauvaise administration de la justice,” a-t-il dit. “[Mais] il n’est pas acceptable que les gens agissent de cette manière.”
Augustin Bamoisie, de Bukavu, situé à 200 km au sud de Goma, a fait personnellement l’expérience des dangers de la justice populaire.
“Je revenais d’une visite chez mes amis vers 19h et je ne savais pas que les gens étaient en train de chercher un voleur dans ce quartier,” se rappelle-t-il. “Tout à coup j’ai été attaqué par un groupe de gens, qui m’ont immédiatement tabassé. J’ai eu la vie sauve grâce à un policier qui patrouillait dans le quartier et j’ai ensuite été emmené à l’hôpital.”
Alarmées par de tels incidents, les autorités ont commencé à prendre des mesures pour contrer la tendance.
“S’il existe la moindre preuve de corruption ou de mauvais traitement, la population doit informer la hiérarchie [officielle] afin de lui permettre de faire appliquer la loi,” a déclaré François Tuimbaze Rushongoza, le ministre de la justice de la province.
Batunwabi, l’inspecteur de la police provinciale, a expliqué qu’il exhorte les officiers de police à prendre un meilleur soin des affaires qu’ils ont à traiter, afin de rétablir la confiance de la population envers le système judiciaire.
“Nous devons décourager ce comportement de [violence populaire],” a-t-il dit. “Nous ne sommes pas dans la jungle, mais dans un pays, une société qui est organisée et qui a des institutions démocratiques. La population doit leur faire confiance pour que la paix règne.”
Mwene Batende Dufina Tabu, président de l’Association des volontaires, ASVOCO, qui milite pour les droits de l’Homme, a déclaré, “Nous devons initier la population au respect des droits de l’Homme et leur apprendre à faire confiance à la justice, étant donné que la justice populaire est interdite par la loi.”
Muhima, chef du quartier de Kasika, a déclaré que les gens ordinaires agissaient aussi pour combattre la justice populaire.
“Lors de nos réunions de sécurité ici au niveau du quartier, nous essayons de sensibiliser les chefs d’avenues et de cellule afin de montrer à la population les méfaits de la justice populaire,” a-t-elle dit.
Un habitant du quartier de Kasika, qui a requis l’anonymat, a déclaré que la justice populaire menaçait la loi et l’ordre dans le pays.
“Si la population prend la justice en main, c’est un signe de faiblesse de notre système judiciaire,” a-t-il dit. “Et, si la police ne fait pas attention, cette forme de justice populaire pourrait un jour se retourner contre eux.”
Passy Mubalama est un reporter formé par l’IWPR. Euphrasie Talimona Mokelo, basée à Bukavu, a contribué à cet article.