L'ombre de Bemba plane sur les prochaines élections en RDC
Malgré sa détention à la CPI, la mainmise de l’accusé sur l’ouest de la RDC reste forte.
L'ombre de Bemba plane sur les prochaines élections en RDC
Malgré sa détention à la CPI, la mainmise de l’accusé sur l’ouest de la RDC reste forte.
Le procès pour crimes de guerre de Jean-Pierre Bemba devrait débuter la semaine prochaine à La Haye, et il semble donc peu probable qu’il se présente aux élections de 2011 en République démocratique du Congo, RDC - mais l’ancien vice-président continue à exercer une grande influence politique dans le pays.
Bemba, qui reste le chef du Mouvement pour la libération du Congo, MLC, avait été arrêté par les autorités belges en 2008 et transféré à la Cour pénale internationale, CPI. Il est accusé de deux chefs de crimes de guerre et de trois chefs de crimes contre l’humanité en lien avec les atrocités qu’il aurait commises en République centrafricaine, RCA.
Au cours de l’élection de 2006, Bemba avait gagné quelques 42 pour cent du total des suffrages exprimés, alors que le président en exercice Joseph Kabila avait remporté 58 pour cent des voix, selon la commission électorale indépendante du pays. Le résultat du scrutin avait été largement accepté par les observateurs internationaux.
Le soutien dont bénéficie Bemba se concentre sur l’ouest du pays, y compris la zone autour de Kinshasa, la capitale, où nombre de ses supporters restent très critiques quant à sa détention qu’ils considèrent comme une tentative de Kabila de se débarrasser d’un adversaire redoutable.
“Beaucoup de gens dans l’ouest [de la RDC] ont le sentiment qu’il a été emprisonné à tort,” explique Jason Stearns, un expert sur le conflit en RDC et fondateur du blog populaire Congo Siasa. “Le Congo est plein de seigneurs de guerre et de criminels… [les gens pensent que] le fait que Bemba soit le seul à être poursuivi est injuste et partial.”
Dans l’ouest du pays, il n’est pas difficile de trouver des gens choqués par son arrestation et sa détention.
“Bemba devrait être libéré avant l’élection pour qu’il puisse venir mettre un terme aux souffrances des Congolais,” a déclaré Jean-Marie Kalala, qui habite à Limete, un quartier de Kinshasa. “Tous les Congolais comptent sur lui, après avoir été si déçus par Kabila, et il doit donc rentrer dans son pays. Bemba est innocent et [le procureur de la CPI] Luis Moreno-Ocampo n’a pas récolté assez de preuves pour prouver son implication dans les crimes de guerre.”
Pour Emmanuel Malonga, également originaire de Kinshasa, la détention prolongée de Bemba à la CPI est injuste.
“Les autorités congolaises ont utilisé la CPI pour se débarrasser de Bemba avant les élections de 2011,” explique-t-il. “Mais le MLC a une grande vision pour ce pays, et tout candidat qui s’oppose à Kabila sera adopté.”
UNE ALTERNATIVE À BEMBA
Un des problèmes du MLC pour le moment est qu’il n’y a pas de véritable alternative à Bemba, qui continue à disposer d’un fort soutien dans les zones clés.
En homme d’affaires aisé, Bemba disposerait de suffisamment de moyens pour être un adversaire puissant lors des élections de 2011, bien que nombre de ses biens personnels aient été saisis. C’est ainsi que, au cas où la CPI le reconnaîtrait coupable, l’indemnisation pourrait être payée aux victimes de ses crimes.
“Il est très difficile pour nous d’aller de l’avant si Bemba ne revient pas à Kinshasa pour diriger notre parti,” a déclaré Germain Kabinga, un porte-parole du MLC. “Nous sommes persuadés que, avec Bemba à Kinshasa, nous pourrions gagner l’élection en 2011. Sans lui, gagner l’élection sera très difficile.”
Comme beaucoup d’autres personnes au sein du MLC, Kabinga prétend que l’influence que Bemba continue à exercer fait de lui une cible politique pour le parti au pouvoir de Kabila.
“Nous pensons que certaines personnes travaillent dans l’ombre pour s’assurer que Bemba soit hors de Kinshasa lorsque les élections auront lieu en 2011,” a-t-il dit. “C’est pourquoi nous affirmons qu’il s’agit d’un procès politique.”
Mais Félix Tambwe, membre du Parti populaire pour a reconstruction et le développement à Lubumbashi, allié à Kabila, a déclaré à l’IWPR, "Nous n’avons aucun intérêt à nous mêler de cette affaire parce que les crimes ont été commis hors de la RDC. Quel pouvoir d’influence avons-nous sur la CPI? Avec Bemba comme candidat, nous n’avons pas peur des élections parce que notre candidat [Kabila] a gagné en 2006. Nous voulons juste que justice soit faite sans parti pris. Seule la CPI a le pouvoir ou le mandat [de l’inculper ou non]. Cela n’a rien à voir avec le gouvernement congolais.”
Georgette Seya, membre de l’Alliance de la majorité présidentielle, une formation politique mise en place par les alliés de Kabila, a ajouté, “Personne n’est au dessus de la loi et Bemba doit répondre de ses actes. S’il est innocent, il sera relâché, mais l’important est de s’assurer que la loi soit pleinement appliquée, pour dissuader d’autres criminels futurs.”
Il est envisageable que Bemba puisse participer à cette élection en RDC - qui, selon la constitution, doit se tenir avant septembre prochain au plus tard - bien qu’il soit détenu à la CPI, étant donné qu’il n’a pas été formellement reconnu coupable pour le moment.
Il existe un précédent de détenu autorisé à participer à des élections dans son pays. En 2007, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, TPIY, avait accordé à Ramush Haradinaj, ancien commandant de l’Armée de libération du Kosovo, la permission de se présenter aux élections du pays alors qu’il était encore en procès.
Il paraît cependant peu probable que le même scénario se produise dans le cas de Bemba.
Guillaume Lacaille, un analyste auprès de l’International Crisis Group, a déclaré que les principaux dirigeants du MLC avaient déjà convenu dès le mois de novembre de l’année dernière que si Bemba n’était pas sorti de prison et qu’il n’était pas en mesure de faire campagne avant le début de la campagne électorale, alors un autre candidat serait choisi.
Mais Kabinga a indiqué qu’aucune décision n’avait été prise pour l’instant.
“Evidemment, l’une des hypothèses est que [Bemba puisse encore concourir], et nous travaillons à cette hypothèse,” a-t-il dit. “Mais nous verrons si, au moment de l’élection, Bemba est toujours détenu à la CPI. Alors nous déciderons de ce qu’il faut faire.”
La question subsiste: si ce n’est Bemba, alors qui conduira le MLC à la prochaine élection?
Kabinga exclut la question d’un remplacement de Bemba en riant, indiquant qu’il garde toujours espoir que l’homme d’affaires aisé puisse conduire le parti à la victoire.
“La vérité est que le seul qui pourrait représenter notre parti dans cette élection est Bemba,” a-t-il dit. “Si le moment arrive et que Bemba n’est pas disponible, alors je suis sûr que Bemba lui-même nous dira ce qu’il faut faire. Et ce qu’il décidera ira certainement dans le bon sens, pour aider notre peuple à être libre, avoir une véritable direction et nous faire aller de l’avant, nous et notre pays.”
La question de savoir à qui Bemba apporterait son soutien en son absence reste une question cruciale, étant donné sa force dans le pays. Mais certains remettent en question sa popularité apparente.
“On ne peut pas déterminer clairement si sa popularité dans l’ouest [du pays] est due à la mobilisation du parti ou au culte de la personnalité… et le fait est qu’il vient de l’ouest,” a déclaré Stearns.
Dans la course aux élections de 2006, les sondages ne donnaient pas beaucoup de voix à Bemba. C’est seulement peu avant les élections que son soutien avait commencé à s’intensifier, en grande partie parce que son adversaire Étienne Tshiksekedi avait perdu les faveurs de l’électorat, selon Stearns.
En effet, la région de l’ouest du Congo pourrait être plus unie dans sa haine pour Kabila et son allégeance à Bemba.
Filip Reyntjens, professeur de droit à l’Université d’Anvers, a déclaré que le soutien que Bemba s’est construit dans l’ouest est du au fait d’avoir essayé de “battre Kabila en votant pour quelqu’un d’autre”.
Au cours des quatre dernières années, Bemba tout comme Kabila ont eut à faire face à un affaiblissement du soutien dont ils bénéficiaient dans leurs fiefs respectifs à l’ouest et à l’est.
Le groupe rebelle de Bemba était basé en Équateur, une province occidentale. Maintenant qu’il n’a plus de présence militaire là-bas, certains pensent qu’il pourrait ne pas bénéficier du même niveau de soutien dans la région.
Entre temps, la présidence de Kabila est tombée sous le feu des critiques pour n’avoir pas mis en œuvre son programme de reconstruction annoncé de quatre ans, destiné à améliorer le chômage, l’infrastructure et l’éducation.
“Il sait maintenant qu’il n’a pas de base populaire, excepté peut-être au Katanga, pour des raisons d’appartenance tribale,” a déclaré Lacaille, faisant référence à l’État d’origine de Kabila. “Sa stratégie est donc de s’assurer qu’aucune candidat sérieux ne s’oppose à lui en 2011.”
UNE ALLIANCE INTERRÉGIONALE
Le parti de Bemba comme celui de Kabila doit construire des alliances clefs entre régions avec de forts partis locaux pour avoir une chance de gagner une majorité électorale.
A l’est, Bemba n’a jamais bénéficié d’une grande popularité et ses troupes sont suspectées d’avoir commis des atrocités dans le nord-est. A l’ouest, Kabila fait l’objet d’une haine soutenue.
L’avocat de Bemba, Aimé Akilolo Musamba explique qu’il n’a “jamais entendu parler de [l’idée que] Bemba soutiendrait un autre candidat”. Cependant, il existe des rumeurs au sujet d’une alliance possible avec Vital Kamerhe, porte-parole de l’Assemblée nationale, qui bénéficie de nombreux partisans à l’est.
“L’alliance avec Kamerhe pourrait être un ticket gagnant,” a déclaré Lacaille. “Ce sera énorme et c’est un scénario probable.”
Une alliance avec le MLC donnerait à Kamerhe un parti au moyen duquel il pourrait lancer une course à la présidence. Mais, plus important encore, cela lui donnerait le soutien dont il a besoin dans l’ouest du pays.
“Si Kamerhe essaye de construire une alliance avec Bemba, c’est avec Bemba et non pas le MLC,” a déclaré Lacaille. “La structure du MLC peut être…utile, mais ce qui sera plus utile pour Kamerhe est le bénéfice retiré de la popularité de Bemba à l’ouest.”
D’autres candidats plus petits existent, Tshiksekedi et Kengo wa Dondo, un ancien premier ministre de l’ère Mobutu.
Tshiksekedi est un ancien vétéran de la politique qui avait formé le premier véritable mouvement d’opposition à l’ancien président Mobutu Sese Seko. Alors qu’il dispose du soutien d’une structure de parti local, la majorité de ses partisans se trouvent dans le centre du pays, dans les provinces du Kasai et à Kinshasa.
Stearns explique que Tshiksekedi pourrait étendre son influence à des centres urbains hors de Lubumbashi et du Katanga, où les intellectuels soutiennent sa position politique.
Mais au delà de ça, dans les zones rurales, il pourrait être affaibli en essayant de construire des alliances avec les chefs politiques locaux motivés par la rivalité ethnique. On ne peut pas savoir exactement quel serait l’ampleur du soutien qu’il pourrait recevoir en dehors de Kinshasa.
Bien qu’il soit généralement salué comme un homme politique de principes, Tshiksekedi qui a boycotté la dernière élection qu’il considérait comme faussée et biaisée - trouvera difficile de renverser son image de reclus renfermé, dont l’entêtement et l’âge avancé œuvrent à son désavantage.
Pour sa part, Dondo est le président actuel du sénat et il est bien reconnu, malgré le fait que sa popularité locale est faible et qu’on lui reproche aussi parfois son âge avancé. Cependant, parce qu’il est respecté et qu’il a une certaine expérience, il pourrait bénéficier du soutien de l’Angola, qui privilégie une alliance économique avec la RDC, ce qui lui permettrait de construire une campagne plus importante.
En tous les cas, les élections interviennent à un moment de grande désillusion par rapport à la direction politique du pays.
En 2006, il y avait eu un fort taux de participation lors des premières élections libres, les gens espérant de nouveaux dirigeants, un nouveau pays et une nouvelle constitution. L’enthousiasme avait lentement disparu alors que la stagnation s’installait et que beaucoup de choses restaient les mêmes années après années.
Cet article a été élaboré par Anjana Sundaram et Blake Evans-Pritchard à La Haye, Héritier Maila à Lubumbashi et François Kadima à Kinshasa.