Les milices craignent de rentrer au Rwanda
Les combattants hutus dans l’est du Congo affirment qu’un avenir incertain les attend au Rwanda.
Les milices craignent de rentrer au Rwanda
Les combattants hutus dans l’est du Congo affirment qu’un avenir incertain les attend au Rwanda.
Un grand nombre de ces combattants affirme s’être enfuis du Rwanda il y a plus de dix ans, alors enfants, mais déclarent qu’il craignent pourtant d’être accusés d’avoir participé au génocide rwandais s’il devaient rentrer.
Et bien que la plupart d’entre eux vivent une vie de combattants rebelles, ils indiquent qu’ils sont mieux à l’est du Congo, malgré des pressions croissantes de la part du Congo et de la communauté internationale pour que les Hutus rentrent au Rwanda.
“Les Hutus sont traités brutalement par le pouvoir [du Rwanda],” indique le Lieutenant-colonel Edmond Ngarambe, porte-parole des Abacunguzi, l’aile militante des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, FDLR. Il prétend que le gouvernement de Kigali considère que tous les Hutus portent la responsabilité du génocide tutsi.
Ngarambe a répondu aux questions de l’IWPR dans un camp de montagne à près de 100 kilomètres de Bukavu, la capitale du Sud Kivu, dans l’est de la RDC. Le nom de la milice signifie “libérateurs” ou “sauveurs”.
La présence de la milice hutue dans la région est énorme. Selon un récent rapport des Nations Unies, 40 pour cent des provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu sont contrôlés par les FDLR.
La plupart des Congolais veulent qu’ils retournent au Rwanda. “Les FDLR contrôlent l’administration, nomment et révoquent qui ils veulent, exploitent les mines et achètent des armes,” déclare Alexis Kanyenye, un activiste politique congolais.
Lors de la conférence de paix de janvier dernier, à Goma, les participants ont unanimement appelé au rapatriement des FDLR en raison des abus qu’ils ont commis.
“Je pense que nous sommes tous tombés d’accord que nous devrions [encourager] les FDLR à rentrer au Rwanda avant d’employer les forces armées,” a indiqué le Pasteur Désire Kajabika, un activiste des droits de l’Homme à Goma. “C’est pour éviter la détérioration de la situation humanitaire précaire [dans] notre région.”
Les Congolais ont répondu à l’appel de la communauté internationale lorsqu’ils ont accepté les Hutus en 1994 alors qu’ils fuyaient l’armée tutsie conduite par Paul Kagame, l’actuel président rwandais. Le temps est maintenant venu que la communauté internationale aide ces mêmes hutus à rentrer, indique Kajabika
Mais certains suggèrent que les Hutus ont peu à gagner et beaucoup à perdre s’ils retournent au Rwanda.
“Il est stupide de penser qu’ils puissent accepter de quitter un pays comme le notre dans lequel ils ont tout ce dont ils ont besoin et bien d’autres avantages,” déclare Kanyenye. “Le gouvernement congolais doit faire pression sur eux, sinon ils ne partiront pas.”
Pour la majeure partie de cette décennie, les Abacunguzi se sont battus contre les forces du général tutsi Laurent Nkunda, qui dirige le Congrès national pour la défense du people, CNDP, et prétend qu’il défend sa communauté ethnique tutsie contre les attaques des FDLR.
Nkunda a déclaré que les milices hutues devraient être considérées comme des réfugiés, désarmées et placées dans des camps de réfugiés sous la protection de l’ONU.
“Il est traumatisant de voir près de 10 000 hommes armés… dans un pays sans aucun contrôle,” a indiqué Nkunda à l’IWPR. “Dans d’autres pays, lorsqu’il y a des immigrants illégaux, même s’ils ne sont pas armés, les citoyens ont peur et ne se sentent pas en sécurité. Qu’en est-il de notre pays?”
Les combats régionaux impliquent un certain nombre d’autres groupes, tels que le Ralliement pour l’unité et la démocratie, RUD, une milice hutue qui s’est scindée du FDLR, ainsi que d’autres comme les Mai Mai dans les zones de Rutshuru et su Sud Lubero.
Le Lieutenant-colonel Michel Victor Amani, un commandant du RUD à Binza, à près de 100 Km au nord-ouest de Goma, a indiqué à l’IWPR que son groupe défend aussi les hutus ethniques.
“Nos armes sont utilisées pour protéger nos proches qui sont réfugiés dans le Kivu,” indique Amani. “Comme vous le savez, leur sécurité est toujours perturbée par Laurent Nkunda, les FARDC et les forces [de l’ONU]. Nous sommes obligés de nous battre pour les protéger.”
Certains officiels congolais estiment que les FDLR disposent de près de 6 000 combattants en RDC, dont les deux tiers viennent du Rwanda. Les officiels rwandais, entre-temps, ont indiqué qu’ils ont une liste de 6 974 Hutus qui ont participé au génocide et vivent en RDC.
La liste rwandaise a été accusée d’avoir dissuadé de nombreux Hutus de rentrer au Rwanda.
“La liste rwandaise a répertorié chaque jeune homme âgé de moins de 14 ans à l’époque du génocide,” indique Masumbe Katangira, un expert sur les FDLR et d’autres groupes armés locaux dans le Kivu. “Cette liste bloque le processus de rapatriement des FDLR au Rwanda, [dans la mesure où nombre d’entre eux] ont peur d’être arrêtés.”
Les Abacunguzi disent que nombre de ceux qui sont sur la liste sont injustement accusés.
“Seuls les tribunaux peuvent confirmer si une personne a commis un génocide,” a indiqué Ngarambe. “Les chefs rwandais ternissent notre parti politique … affirmant qu’il appartient aux gens qui ont commis le génocide …mais c’est faux.”
Un certain crédit peut être accordé à la déclaration de Ngarambe.
Selon des recherches menées par Katangira, près de 60 pour cent des FDLR sont de jeunes hommes qui ne faisaient pas partie du génocide de 1994. Mais ils ne peuvent pas rentrer chez eux parce que leurs officiers les empêchent de le faire.
Ngarambe a nié ces affirmations, déclarant que personne n’a été empêché de rentrer et qu’ils sont peu nombreux à craindre d’avoir à affronter la justice. Mais nombre d’entre eux doutent que la justice à laquelle ils vont devoir faire face sera équitable.
Résoudre le conflit dans l’est du Congo en convaincant les FDLR de partir pourrait se révéler très difficile.
Parmi d’autres problèmes, les membres influents des FDLR qui vivent en Europe se seraient opposés à cette idée, en partie parce que l’ONU a gelé leurs biens et imposé un embargo sur les armes pour eux
Puis, aussi récemment que le 15 mars, le Chef d’État major congolais, le général Dieudonné Kayembe, a lancé des opérations militaires contre les FDLR au Kivu, suscitant une réaction de défiance de la part des Abacunguzi.
“Nous n’avons pas peur de ces opérations parce qu’elles font partie de nos vies,” a indiqué Ngarambe. “Depuis 1990 nous [nous sommes] battus, d’abord au Rwanda et depuis quelques années maintenant en RDC.”
Selon lui, ses forces ont, par le passé, combattu avec succès contre l’ONU et les forces congolaises.
Amani, du RUD a suggéré que plutôt que de se battre, la communauté internationale devrait encourager le Rwanda à entrer dans des pourparlers avec les Hutus.
“Le dialogue que nous sollicitons concerne la séparation des pouvoirs à un niveau politique et au sein de l’armée,” indique Amani. “Le pouvoir devrait être partagé à tous les niveaux.”
Mais les autorités du Rwanda ne sont pas préparées à négocier tant que les FDLR n’auront pas désarmé. Elles indiquent être prêtes à les réaccueillir, bien qu’elles insistent sur le fait que tout rebelle soupçonné d’avoir participé au génocide aura à faire face à la justice.
James Kabareebe, le chef de l’armée rwandaise, a déclaré, “Nous ne pouvons pas négocier avec des hommes qui ont des armes illégales en RDC, qui tuent des gens et violent des femmes. Ce que j’exige est que les [FDLR] abandonnent leurs armes et retournent au Rwanda. Il y a tellement de FDLR qui sont déjà rentrés – ils n’ont pas de problèmes.”
Mais les Abacunguzi sont réticents à s’exécuter. “Nous n’accepterons pas d’être ramenés au Rwanda comme du bétail à l’étable,” a indiqué Ngarame.
René Abandi, un avocat et porte-parole du général Nkunda, a insisté sur le fait que les Hutus n’auraient pas à faire face à des exécutions s’ils rentrent. “Le Rwanda a aboli la peine de mort,” a-t-il dit, et “cela, je pense, était pour [encourager] les FDLR à rentrer au Rwanda, pour reconstruire leur pays.”
Cependant certains anciens combattants des FDLR qui ont traversé la frontière pour rentrer au Rwanda sont revenus après avoir été confrontés à des conseils de réconciliation de communautés, appelés gacacas et qui, selon eux, jouent en leur défaveur.
“Il y a un problème avec les gacacas,” a indiqué Amani, du RUD. “C’est la raison pour laquelle, il y a de nombreuses personnes qui reviennent parmi nous.”
Jacques Kahorha est stagiaire auprès de l’IWPR.