Commentaire: Apporter la paix aux Kivus

Si aucune solution durable ne peut être trouvée, la région restera le talon d’Achille du Congo.

Commentaire: Apporter la paix aux Kivus

Si aucune solution durable ne peut être trouvée, la région restera le talon d’Achille du Congo.

Saturday, 11 October, 2008
Cela fait cinq ans que la deuxième guerre du Congo a officiellement pris fin, mais dans la province du Nord Kivu, les combats se poursuivent. Les accords de paix ont été violés maintes et maintes fois et, comme toujours, ce sont les civils qui en sont les principales victimes.



Des affrontements récents entre les troupes rebelles de Laurent Nkunda et l’armée du Congo ont provoqué le déplacement de plus de 100 000 personnes depuis la fin août lors de la reprise des combats. Le CICR et les agences d’aide mettent en garde quant au risque d’un désastre humanitaire croissant alors que les habitants quittent leurs maisons et leurs champs.



Les habitants des provinces du Kivu, à la frontière orientale du Congo avec le Rwanda se demandent sans aucun doute, “Pourquoi toujours les Kivus?”



Il y a un long passé de conflits dans la région, qui depuis le début de l’ère de Mobutu Sese Seko a été une des parties les moins stables du Congo.



A la base de l’instabilité pendant les années Mobutu se trouvaient les problèmes de citoyenneté de la population Banyarwanda, gens de descendance rwandaise, dont certains étaient installés dans les Kivus depuis plusieurs générations.



Bien que les Banyarwanda soient majoritaires dans certains districts, le décret de 1972 qui leur octroyait la citoyenneté fut révoqué en 1981, les rendant de fait apatrides. Des différends fonciers avec d’autres groupes ethniques du Nord et du Sud Kivus n’ont fait qu’ajouter à la tension.



De tels conflits signifiaient que les provinces du Kivu étaient la principale source d’opposition au régime de Mobutu. Le résultat fut le conflit de 1996-1997, appelé la première guerre du Congo, qui avait provoqué la chute de Mobutu.



Diverses théories existent quant aux origines de la soi-disant guerre de libération, mais ce qui est clair est qu’au début des années 90, une vague de démocratisation avait atteint l’Afrique et obligé Mobutu à mettre fin au système de parti unique dans le Zaïre d’alors. Cette transformation fut officiellement inaugurée par un discours inoubliable de Mobutu prononcé le 24 avril 1990.



Quatre ans plus tard, un autre évènement mémorable, le génocide rwandais, avait provoqué l’exode de quelques deux millions de réfugiés rwandais, pour la plupart Hutus.



Parmi les réfugiés se trouvaient des membres de la milice interahamwe, accusés de participation au génocide. Ils s’installèrent dans des camps de milice au Congo, lançant des attaques à travers la frontière contre le gouvernement de Paul Kagamé. Ils visaient aussi les Banyamulenge de la région, des Tutsis se trouvant principalement au Sud Kivu.



Lorsque Mobutu manqua de les protéger, les Banyamulenge rejoignirent les opposants de Mobutu et aidèrent à former l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre, AFDL.



Conduite par Laurent Désiré Kabila, et soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, l’AFDL finit par chasser Mobutu en mai 1997.



Il est important de noter que la guerre de libération ne s’est pas déroulée sans crimes de guerre ou violations des droits de l’Homme y compris les massacres, la violence sexuelle, les pillages et règlements de comptes. Les batailles de Kisangani, Bukavu et Kenge ; les femmes enterrées vivantes à Makobola; et les massacres de Mwenga ne seront pas oubliés.



Kabila eut à affronter de nombreux défis après son accession au pouvoir, y compris la reconstruction de l’économie; l’organisation d’élections; le renforcement de l’Etat de droit; les questions de nationalité; et une immense dette extérieure.



Il se brouilla rapidement avec ses anciens alliés, annonçant dans un communiqué de presse lu à la télévision le 27 juillet 1998 la fin de la coopération militaire avec le Rwanda et le départ des troupes étrangères du Congo. Les manifestations de joie des Congolais éclatèrent, alors que le Rwanda renforçait sa présence militaire dans les Kivus.



Au cours de la guerre qui suivit, l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie, le Tchad, la Libye et le Soudan se rangèrent aux côtés de Kabila pour aider à lutter contre les factions rebelles soutenues par les anciens alliés, l’Ouganda et le Rwanda. Les combats qui suivirent durèrent de 1998 à 2003 et entrainèrent le décès de quelques cinq millions de Congolais, le pillage systématique des ressources naturelles et le transfert massif de la population civile.



Kabila fut assassiné en janvier 2001 et remplacé par son fils Joseph, l’actuel président. Un accord de paix fut au moins conclu à Pretoria, Afrique du Sud, mettant fin à la guerre et mettant en place un gouvernement de transition avec un président et quatre vice-présidents.



Mais les problèmes continuèrent dans les provinces du Kivu.



En 2004, les troupes conduites par Laurent Nkunda affrontèrent l’armée congolaise à Bukavu. Là, ils auraient commis des crimes de guerre sous prétexte de prévenir un génocide contre les Tutsis de la région.



En 2004 également, Nkunda fut nommé général de l’armée congolaise. Il était censé s’en remettre à Kinshasa pour le “brassage” – le nom donné à l’opération d’intégration des anciens mouvements rebelles dans l’armée, mais il refusa.



Pour éviter plus de combats, un accord fut établi pour une intégration plus limitée désignée sous le nom de “mixage”. Selon ce plan, les troupes de Nkunda et les soldats de l’armée formèrent cinq brigades qui furent mises en place et déployées uniquement au Nord Kivu.



Mais le mixage fut un échec et les combats s’accrurent dans les bastions de Nkunda au Nord Kivu tout au long de l’année 2007. Nkunda se battit contre l’armée mais aussi contre les FDLR qui contrôlent certaines zones du Nord Kivu. Les FDLR exploitent les richesses naturelles, prélèvent des taxes sur le commerce et extorquent les populations. Ennemies des forces de Nkunda, les FDLR sont soupçonnées d’avoir obtenu par le passé le soutien du gouvernement congolais.



L’échec de l’offensive de l’armée congolaise à Mushake finit par forcer Kinshasa à venir s’asseoir à la table des négociations et un accord de paix fut signé à Goma en janvier dernier entre le gouvernement et les groupes armés.



Cet accord était censé mettre fin aux combats et conduisit à un retrait de tous les groupes armés. Chose qui n’a toujours pas été réalisée pour l’instant, bien au contraire, avec les combats reprenant au Nord Kivu en août dernier.



Il existe trois raisons à la crise actuelle: l’incapacité de l’Etat de protéger ses citoyens; la détermination des groupes armés de contrôler des parties du territoire et d’exploiter les ressources naturelles; et l’immunité presque totale accordée aux auteurs de crimes.



Alors que l’est du Congo sombre une fois de plus dans la violence, ce sont ses civils qui sont le plus affectés. Nombre d’entre eux ont vécu dans la peur quotidienne pendant de nombreuses années, fuyant les combats pour se réfugier dans les villes voisines ou de l’autre côté de la frontière.



Le 6 septembre, les forces de Nkunda violèrent une fois de plus l’accord de Goma en prenant Nyazale, avant de se retirer grâce à la médiation de la mission des Nations Unies en RDC, MONUC, ce qui conduisit les Congolais à demander à la MONUC d’attaquer Nkunda. La Charte de l’ONU permet à la MONUC de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger ses soldats ou les citoyens menacés.



Cela démontre l’impuissance du gouvernement congolais à protéger ses propres citoyens et donne également l’impression que le Congo n’a pas appris les leçons de ses échecs avec l’approche militaire, étant donné que le gouvernement congolais veut désormais recourir à la force pour obtenir la paix.



Cette approche n’est pas partagée par la MONUC et la communauté internationale.



La question essentielle est de savoir comment sauver le processus de paix alors que nombreux sont ceux qui sont encore dans une logique de guerre. Si nous voulons atteindre une paix durable et quitter le cercle vicieux de la violence, toutes les parties impliquées doivent rester dans la logique de la paix, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent.



La communauté internationale tient une place cruciale ici et a un rôle important à jouer dans l’encouragement des diverses parties à respecter leurs engagements et à désengager tous les groupes armés.



Une force d’intervention internationale telle que la force Artemis en Ituri pourrait être mise en place pour soutenir les efforts de la MONUC dans les Kivus et permettre la mise en place d’un plan de séparation pour les forces sur le terrain. Artemis était une mission conduite par l’Union européenne en Ituri, déployée pour protéger les civils suite à un regain dans les combats en 2003.



Le gouvernement congolais devra également investir en donnant une nouvelle impulsion au programme Amani, le nom donné au processus de paix.



Si aucune solution durable ne peut être trouvée pour les Kivus, la région restera toujours le talon d’Achille du Congo.

Les civils continueront à être les victimes de la violence commise par ceux qui veulent utiliser le sang des Congolais comme un marchepied vers le pouvoir.



Nous pouvons parier pour la paix au Kivu si la communauté internationale démontre sa détermination à faire cessez les violences que subissent les populations du Kivu et si les parties au conflits acceptent de demeurer dans la logique de paix.



Eugène Bakama Bope est le président du Club des amis du droit du Congo.
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