Un reporter échappe à ses ravisseurs rebelles

Le collaborateur de l’IWPR Charles Ntiryica a échappé le mois dernier à ses ravisseurs Mai Mai au Nord Kivu après un terrible calvaire de quatre jours.

Un reporter échappe à ses ravisseurs rebelles

Le collaborateur de l’IWPR Charles Ntiryica a échappé le mois dernier à ses ravisseurs Mai Mai au Nord Kivu après un terrible calvaire de quatre jours.

Wednesday, 10 December, 2008
Il était 11 heures du matin, le 4 novembre, lorsque nous sommes arrivés dans la ville de Rutshuru, à quelques 70 kilomètres de Goma, la capitale provinciale du Nord Kivu. Je m’étais rendu sur le territoire contrôlé par le mouvement rebelle Congrès national pour la défense du peuple, CNDP, avec mon collègue belge Thomas Scheen, un journaliste auprès du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung.



Nous venions d’interviewer le nouvel administrateur du CNDP à Rutshuru avant de continuer vers Kiwanja, à 5 km de là, pour parler à d’autres rebelles. Thomas finissait une interview avec Théophile Mpabuka du CNDP dans un hôtel de Kiwanja lorsqu’un groupe de jeunes Mai Mai fit irruption. Certains portaient des couronnes d’herbe sur leurs têtes et d’autres avaient des feuilles de palmier couvrant leur poitrine, symbole de leur force magique.



Soudain, ils commencent à tirer en l’air. Nous partons rapidement nous réfugier dans un bâtiment adjacent en construction. Une heure plus tard, le crépitement des balles devient sporadique et nous décidons de retourner vers notre voiture. Nous sommes arrêtés par une douzaine de Mai Mai qui semblent être sous l’influence de drogues.



Tout va très vite.



Ils nous forcent à descendre de la voiture – moi, Thomas, le chauffeur Roger et Théophile – et prennent tout y compris mes 800 dollars US, nos téléphones et nos documents. Ils nous menottent et nous emmènent en voiture, mais après moins de deux minutes sur la route, nous sommes accueillis par une pluie de balles à un carrefour.



Une des balles touche Théophile à la tête, mais heureusement, ce n’est qu’une égratignure. Je prie à voix haute !



Les Mai Mai nous emmènent vers un village dans la périphérie de la ville, et nous nous arrêtons devant une nouvelle école, toujours menottés. Ils nous enlèvent les menottes et prennent les 1 500 dollars que Thomas avait encore dans ses poches, son téléphone satellitaire et nos valises contenant des habits et d’autres effets personnels. Théophile perd beaucoup de sang. Comment le faire soigner ?



Quelques minutes plus tard, ils nous emmènent devant un chef Mai Mai très mince appelé Colonel Pascal Kasereka. Il est petit et a l’air d’avoir environ 50 ans. Il nous interroge puis déclare qu’il nous laissera libres, moi, Thomas et le chauffeur, mais pas Théophile que les Mai Mai accusent d’être un VIP au sein du CNDP.



L’espoir de vie renaît et nous nous taisons. Mais le Colonel Pascal n’est pas satisfait. En échange de notre liberté, il réclame 400 dollars de ma part, 200 dollars du chauffeur et 5 000 dollars de Thomas. Mais nous ne pouvons pas payer puisque les Mai Mai ont déjà pris tout notre argent.



Les menaces de mort s’ensuivent avec des questions sur ce que nous faisions avec le CNDP à Kiwanja et si nous sommes leurs complices. Il est alors environ 22 heures. Un des Mai Mai réclame que je prouve que je suis journaliste en appelant un collègue à la radio Okapi des Nations Unies. Il me donne son téléphone et j’appelle Sifa Maguru d’Okapi à Goma pour l’alerter par rapport à notre difficile situation. Je parle aussi brièvement à ma femme.



Quelques minutes plus tard, les enfants soldats Mai Mai apparaissent dans la salle exiguë où nous sommes assis à même le sol. Ils amènent avec eux trois hommes, presque nus et saignant de la tête. Il s’agit de soldats du CNDP.



A cinq heures le lendemain matin, nous sommes réveillés par les Mai Mai qui nous disent que si nous n’avons pas d’argent, nous allons être exécutés. Tout cela pendant que des balles sifflent dans l’air ; et nous pouvons entendre des tirs à l’arme lourde tout autour. Visiblement, le CNDP cherche à libérer ses hommes.



Ce n’est que le début d’une très longue journée.



Nous sommes emmenés à travers la forêt et marchons jusqu’à 7 heures du soir à travers une jungle dense, des champs, des marrais et forêts. Nous nous retrouverons à quelques 50 km de Kiwanja, affamés et assoiffés. Je demande à l’un des ravisseurs ce qu’ils veulent faire de nous et il me répond, “Vous n’êtes qu’au début de votre calvaire.”



Nous sommes entassés dans une petite hutte encerclée par les Mai Mai. Nos ravisseurs, entre-temps, ont commencé des négociations avec le CNDP et convenu d’une rançon pour la libération des otages du CNDP. Ils parlent de 30 000 dollars et tôt le matin suivant, Théophile part, accompagné par deux Mai Mai armés.



Un peu plus tard dans la matinée, un autre groupe Mai Mai arrive et déclare qu’ils sont venus pour emmener Thomas et Roger devant un conseil de sages Mai Mai. Je demande au chef ce qui va m’arriver et il me dit que je vais rester avec eux pour longtemps. Un plan macabre est en préparation contre moi mais pour quelles raisons, je ne saurais le dire.



Thomas refuse de partir sans moi, et les Mai Mai nous ordonnent de marcher vers le village de Kinyadonyi. A mi-chemin, nous sommes forcés de camper en plein parc national des Virunga sans qu’aucune explication ne soit donnée.



Plus les heures passent, plus les angoisses m’envahissent et plus l’espoir de vie disparaît, surtout que les ravisseurs ne cessent de me menacer de mort, doutant encore de mon métier de journaliste. Roger est pris à part plusieurs fois pour dire s’il me connaît bien. “Je le connais bien. C’est un journaliste très bien connu. Ils sont venus [à Kiwanja] pour des reportages,” leur répond-il.



Plus tard cette nuit-là, nos ravisseurs décident de continuer vers Kinyadonyi pour y rencontrer des sages Mai Mai, et l’espoir de vie renaît timidement.



Nous nous levons rapidement et commençons la traversée d’une brousse touffue. Après dix minutes de marche, un nouveau groupe d’éléments Mai Mai surgit. Ils sont ivres et apparemment déçus parce que la rançon promise par Théophile n’a pas été obtenue. Ils paraissent déterminés à nous abattre, nous mettent en joue sur la tête et la poitrine avec leurs armes et veulent nous ravir des mains des combattants qui nous conduisent.



Alors qu’ils discutent de notre sort, deux jeunes Mai Mai nous disent de nous enfuir pour échapper à la mort. Nous décidons de tenter notre chance. Les balles sifflent dans l’air et nous suivons les deux Mai Mai pendant quelques heures à travers la brousse. Il est 1 heure du matin lorsque nous arrivons enfin au village des chefs Mai Mai, Kinyadonyi.



Au matin de notre troisième jour de captivité – notre troisième journée sans sommeil, nourriture ou eau – les deux jeunes hommes, et six de leurs collègues, nous emmènent dans un camp de l’armée congolaise. Le Major Kanku du deuxième bataillon de la sixième brigade nous accueille et nous donne son téléphone portable pour que nous puissions appeler nos familles et les diverses autorités qui étaient à notre recherche depuis notre enlèvement. Nous parlons aussi à la MONUC, la mission des Nations Unies en RDC.



Vers 6 heures du matin, le cauchemar commence lentement à s’éloigner. L’espoir de revoir ma famille grandit, malgré l’arrivée à la base d’un autre groupe de Mai Mai qui essaye de convaincre le Major Kanku de ne pas nous laisser partir.



Le commandant de l’armée congolaise au Nord Kivu, le Général Mayala Vainqueur, appelle pour savoir si nous avons déjà été libérés. Il ordonne notre départ et quelques trente minutes plus tard, nous montons dans deux blindés de la MONUC vers leur base de Kiwanja. J’appelle ma femme qui s’est battue de son côté depuis mon enlèvement, contactant des personnalités pour aider à me faire libérer. Nous prenons ensuite un hélicoptère de la MONUC vers Goma, et plus tard dans la journée je retrouve ma famille. Tout le monde est ravi.



Bien que j’aie été libéré, les effets de cette épreuve continuent à se faire sentir. Je fais de nombreux cauchemars dans la semaine qui suit ma libération, et ma femme souffre également parce qu’elle doit me rassurer chaque nuit.



Une semaine plus tard, j’apprends que deux otages, membres présumés du CNDP, ont été tués dans le parc national des Virunga par le même groupe Mai Mai que celui qui nous a capturés à Kiwanja.



Charles Ntiryica est un collaborateur de l’IWPR à Goma.
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