Polémique au sujet du procès pour coup d'état

Les autorités sont accusées d’avoir politisé le procès de soldats poursuivis pour insurrection.

Polémique au sujet du procès pour coup d'état

Les autorités sont accusées d’avoir politisé le procès de soldats poursuivis pour insurrection.

Les avocats d’un groupe de 44 soldats congolais en procès pour insurrection déclarent que les dirigeants politiques s’immiscent dans l’affaire.



Leur procès militaire pour des chefs d’accusation de tentative de déstabilisation du régime, participation à un mouvement insurrectionnel, vol et dissipation d’armes et munitions et meurtres a débuté l’année dernière et pourrait s’étirer sur trois années supplémentaires. Certains des soldats, membres des anciennes forces armées zaïroises, les FAZ, ont été détenus à la prison de Makala à Kinshasa depuis 2004.



En vertu de la Constitution congolaise de 2006, les détenus ont droit à ce que leur cause soit entendue dans “un délai raisonnable par le juge compétent”.



Ils sont inculpés pour des chefs d’accusation liés à l’“Opération Pentecôte” – les manifestations qui eurent lieu en mars 2004 dans des baraques militaires autour de la capitale. Ils ont indiqué qu’il s’agissait là d’une tentative d’attirer l’attention sur le mauvais traitement que leur réservait le gouvernement, mais Kinshasa insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une tentative d’insurrection.



Les soldats avaient servi dans l’armée à l’époque de Mobutu Sese Seko, l’ancien président du Congo qui fut destitué par Laurent Désiré Kabila en 1997.



Après le changement de régime, les soldats de Mobutu étaient en débandade. Certains décidèrent de prendre la fuite vers le Congo Brazzaville ou ailleurs mais beaucoup restèrent à Kinshasa. Ceux qui le firent eurent une vie modifiée en profondeur. Les forces armées de la capitale furent dominées par les membres du mouvement rebelle de l’AFDL de Kabila, qui ne reconnaissait pas les rangs des soldats de Mobutu, ce qui donna lieu à des tensions.



Et la vie ne prit pas une meilleure tournure pour les anciens FAZ suite à l’assassinat de Kabila en 2001. Son fils et successeur, Joseph Kabila, mis fin à la guerre civile qui avait frappé le Congo depuis 1998. Mais les soldats des FAZ restaient sur la touche et certains furent finalement forcés à prendre leur retraite.



Leur colère déborda dans la nuit du 27 au 28 mars 2004 lors de manifestations autour de la capitale. Les soldats reconnaissent avoir tiré en l’air avec leurs fusils lors des émeutes, mais Maître Peter Ngomo, qui supervise leur défense, insiste sur le fait qu’il n’y eut pas de tentative de renverser le gouvernement de Kabila comme le suggère l’acte d’accusation.



“Ces manifestations se sont déroulées uniquement au sein des installations militaires et de nuit pour éviter les dommages collatéraux,” explique Ngomo. “Il n’y a eu ni morts ni blessés cette nuit-là. Ainsi, il est faux de parler de tentative de coup d’état ou d’une tentative de déstabilisation du système en place. L’utilisation d’armes à feu était leur seul mode de protestation.”



Les organisateurs furent arrêtés, et Ngomo indique que des familles furent également visées. “Alors que certaines essayaient de s’enfuir, l’État s’en prit aux membres de leurs familles,” déclare-t-il, ajoutant que la majorité des inculpés étaient de la province de l’Equateur, région d’origine de Mobutu.



Maître Pascal Ngongo, également membre de l’équipe de défense, indique que des 44 personnes actuellement en procès seules dix ont pris part aux émeutes. “Ils ont tenté d’augmenter le nombre de personnes impliquées pour renforcer l’argument d’une tentative de coup d’état,” explique-t-il



Cependant, le Général Kiyani Mukunto, auditeur militaire, président de la commission d’enquête qui a abouti aux arrestations, insiste sur le fait que le dossier d’accusation contre les soldats est solide. Il a indiqué que les manifestations étaient loin d’être un geste spontané de frustration, comme le répètent les avocats, et qu’ils étaient en fait une opération bien planifiée destinée à évincer le gouvernement.



Entre-temps, le procès suit son cours – très lentement. Pour les audiences, les accusés ont été divisés en sous-groupes en fonction des installations ou du camp militaire où ils ont protesté.



Ngomo explique que les accusés eux-mêmes doivent couvrir une grande partie des dépenses. “Les détenus doivent supporter les coûts du procès, louer les chaises, se procurer la sonorisation et installer la salle d’audience.”



Lorsqu’ils ne sont pas au tribunal, ils sont détenus dans une aile spéciale à la prison de Makala sous la garde de l’unité des services spéciaux, la Police de détection militaire des activités antipatriotiques, DEMIAP.



Tous ont vu leurs demandes de mise en liberté provisoire rejetées alors que l’affaire se fraye un chemin au tribunal. Leurs avocats indiquent que ce qui irrite particulièrement les soldats est leur apparente exclusion de l’amnistie de 2005 pour actes de guerre et insurrection.



Ils ne comprennent pas pourquoi ils n’y ont pas droit ou pourquoi l’affaire prend tellement de temps à aboutir à un verdict.



Cependant, Ngongo pense que l’affaire est politisée, une opinion partagée par d’autres au sein de la communauté des droits de l’Homme, y compris par Maître Georges Kapiamba de l’Association africaine de défense des droits de l’Homme, ASADHO.



Kapiamba critique l’interventionnisme politique et les insuffisances du système judiciaire congolais.



“Il y a une présence accrue des politiques dans [cette] affaire,” a-t-il dit. “Les chefs politiques donnent des ordres aux tribunaux pour que le procès soit mené selon leurs [souhaits]. Nous devons condamner la non-indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au [gouvernement]."



Il craint que les faits réels sur ce qui s’est passé il y a cinq ans ne soient jamais connus. “Parce que la justice n’est pas indépendante, l’entière vérité sur la question pourrait ne jamais être révélée,” explique Kapiamba.



Patrick Tshamala est un collaborateur de l’IWPR à Kinshasa.
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