Appel à l'inclusion du viol dans les charges contre Lubanga

Pour la représentante des Nations Unies, les charges portées contre le commandant rebelle congolais concernant les enfants devraient être interprétées comme couvrant les crimes de violence sexuelle.

Appel à l'inclusion du viol dans les charges contre Lubanga

Pour la représentante des Nations Unies, les charges portées contre le commandant rebelle congolais concernant les enfants devraient être interprétées comme couvrant les crimes de violence sexuelle.

Monday, 12 May, 2008
Un haut officiel des Nations Unies a exhorté les juges internationaux à rendre justice aux filles forcées à joindre une milice congolaise, en interprétant les charges contre le chef rebelle congolais Thomas Lubanga Dyilo comme incluant les crimes sexuels.



Lubanga, qui fut le premier à être inculpé par la Cour pénale internationale, CPI, devrait être jugé à La Haye en juin. Il est accusé d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans, qu’il aurait utilisés pour participer activement à des hostilités lors du conflit dans la région de l’Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo, RDC.



En avril de cette année, Radhika Coomaraswamy, la Représentante spéciale du Secrétaire

général des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés, s’est rendue à La Haye pour présenter ses observations écrites aux juges, les conseillant sur la manière d’interpréter les charges contre Lubanga. Elle recommande que le crime d’utilisation d’enfants pour “participation active” aux hostilités soit interprété comme comprenant la violence sexuelle endurée par les jeunes filles forcées de rejoindre la milice de Lubanga.



“Il y a eu certaines interprétations selon lesquelles [l’inculpation définie comme] “participation active“ devrait se confiner aux activités militaires. Nous pensons que le fait d’utiliser des femmes comme esclaves sexuelles ou épouses, dans le cadre d’une guerre en RDC, peut signifier qu’elles sont utilisées activement dans les hostilités,” a déclaré Coomaraswamy à l’IWPR.



Lubanga, le chef de l’Union des Patriotes congolais, UPC, une faction principalement hema, active en Ituri, dans le nord-est de la RDC, est accusé d’avoir utilisé des enfants soldats au cours d’une période de conflit interethnique sanglant contre le groupe ethnique lendu au début de la décennie.



Le Fonds des Nations unies pour l’enfance, UNICEF, estime qu’il y a actuellement 30 000 enfants soldats en RDC, qui se battent ou vivent au sein des groupes armés. Entre 30 et 40 pour cent de ces mineurs sont des filles.



En février, la Chambre de première instance I de la CPI avait invité Coomaraswamy – dont le rôle lui donne le mandat de travailler de près avec les organes internationaux pour assurer la protection des enfants dans les conflits armés – à soumettre des observations écrites sur la définition des charges.



Ses observations ont pris la forme d’un dossier “amicus curiae” (ami de la Cour), qui peut maintenant être utilisé pour aider les juges dans cette affaire.



Hala El Amine, juriste adjointe chargée des activités de sensibilisation à la CPI, a expliqué les raisons pour lesquelles la Cour sollicite une telle sorte de rapports, “l’acceptation du dossier n’implique pas que la Cour adhère à la position qui y est soutenue, mais plutôt que la Cour croit que l’amicus – la personne ou l’agence soumettant le dossier – peut être capable d’aider la Cour dans sa détermination de la vérité. En d’autres termes, cette personne ou agence a une connaissance, un intérêt ou une expertise particulière, dont la Cour devrait être informée.”



La défense a répondu aux observations de l’amicus curiae le 28 mars dans une déclaration affirmant qu’il est trop tôt pour répondre aux remarques de Coomaraswamy concernant les définitions des termes spécifiques. Elle a indiqué que ces questions allaient être abordées lors du procès lui-même, et a demandé à la Chambre de première instance de réserver aux Parties la possibilité de faire valoir, ”en temps opportun”, leurs positions sur ces questions.



Dans son rapport, la Représentante spéciale a noté que lorsque les charges de Lubanga avaient été confirmées, la Chambre préliminaire avait délimité le critère de ”participation active” en excluant toute activité ”manifestement sans lien avec les hostilités”.



Ainsi, pour parler grossièrement, la définition incluerait les combattants, mais excluerait les individus utilisés par une force armée dans des rôles auxiliaires de non-combattants ou exploités à des fins sexuelles.



Coomaraswamy a indiqué que le fait d’utiliser une telle délimitation pour décider quelles activités entrent dans la définition était “erronée et menaç[ait] d’exclure de la définition du crime que constitue leur utilisation un grand nombre d’enfants soldats, et notamment de filles soldats“.



Elle a déclaré à la CPI que “l’exclusion des filles de la définition d’enfant soldat s’écarterait de façon inacceptable du consensus international bien établi”.



Comme son rapport l’indique, la définition d’enfant soldat retenue dans les principes du Cap reconnaît que ce terme ”englobe les filles recrutées à des fins sexuelles et pour des mariages forcés”. Les principes du Cap furent le premier instrument énumérant les standards de protection des enfants se focalisant sur les enfants associés à des forces combattantes, et ils servent aujourd’hui de ligne de conduite pour les agences travaillant des zones de guerre.



Dans son rapport, Coomaraswamy a rappelé à la Cour que les Principes de Paris élaborés l’année dernière, qui ont procédé à une révision de la série de principes antérieurs, ont réitéré que tous les enfants utilisés à des fins sexuelles étaient considérés comme des enfants soldats.



La distinction entre le combat actif et les autres activités est en tous les cas confuse. Coomaraswamy a illustré ce point en relatant des conversations qu’elle a eues avec des filles dans l’est de la RDC, qui ont déclaré avoir été utilisées tour à tour comme combattantes, ”épouse” ou ”esclave sexuelle”, aide domestique et cuisinière.



“Les enfants sont contraints de jouer plusieurs rôles ; on leur demande de tuer et de défendre, de porter des lourds fardeaux, d’espionner des villages et de transmettre des messages. On leur demande d’effectuer plusieurs autres tâches et leur utilisation diffère de groupe à groupe,” a indiqué Coomaraswamy à la CPI.



Elle poursuit ensuite, partageant le témoignage reçu d’Eva, âgée de 12 ans qui fut enlevée sur le chemin l’école, soumise à des violences sexuelles et forcée de rester nue. “Elle a travaillé dans le camp : elle préparait les repas, faisait le nettoyage et était utilisée comme esclave sexuelle. Elle était souvent emmenée lors d’attaques armées contre des villages pour transporter le butin“ écrit Coomaraswamy.



Depuis l’arrestation de Lubanga en 2006, certains groupes de pression ont remis en question le fait que la CPI n’ait pas ajouté les crimes de violence sexuelle aux charges portées contre lui.



Brigid Inder de Women’s Initiative for Gender Justice – une organisation internationale de défense des droits de l’Homme qui a rassemblé des témoignages de survivants de viol en Ituri – a déclaré qu’une part intégrante du processus d’enrôlement et de conscription des filles dans la région était marqué par le viol et la violence sexuelle.



“Cela fait partie de la méthode par laquelle elles sont anéanties et dominées, séparées de leurs familles et de leurs valeurs, ou transformées en combattantes et intégrées à une force de combat,” a-t-elle indiqué à l’IWPR.



Cependant, dans un document préliminaire d’août 2006, dans lequel le Procureur avait détaillé les charges contre Lubanga, la violence sexuelle endurée par les filles soldats était nettement absente des références faites au crime de "l’utilisation d’enfants pour les faire participer activement aux hostilités."



Dans le document, les Procureurs ont indiqué que les enfants étaient obligés de marcher vers des camps d’entraînement en Ituri, appartenant à la branche armée de l’UPC, les Forces patriotiques pour la libération du Congo, FPLC, où ils étaient soumis à un entraînement militaire de deux mois qui comprenait des manœuvres et la manipulation d’armes.



Selon l’acte d’accusation, les commandants des FPLC avaient donné à chaque enfant un uniforme et une arme, et ordonné aux garçons et aux filles de se battre sur la ligne de front et de tuer tous les Lendu. Ceux réticents à le faire étaient menacés d’exécution.



Les procureurs ont également fait état de preuves selon lesquelles les enfants étaient forcés à commettre des crimes à caractère sexuel contre les civils.



Un des exemples donnés concerne le cas d’une fille de treize ans enlevée sur le bord de la route en 2002 par les troupes des FPLC, qui avaient menacé de la tuer si elle ne montait pas dans leur camion.



Elle fut entraînée à manier la baïonnette et le poignard, et à se battre avec des bâtons, et menacée d’être reprise et tuée si elle essayait de s’enfuir. A la fin de sa formation de deux mois, elle reçut un uniforme militaire, une arme à feu et deux chargeurs de munitions.



Au début de l’année 2003, sous la menace d’une arme à feu, cette jeune-fille fut forcée à participer à une attaque contre Largu, un village Lendu au nord de Bunia, au cours de laquelle il lui fut ordonné d’attacher les testicules d’un prisonnier lendu avec du fil de fer. Le prisonnier mourut de ces mauvais traitements.



Le mois dernier, Coomaraswamy a indiqué à l’IWPR que les violences sexuelles faisaient partie de l’expérience des filles soldats recrutées de forces par l’UPC.



Elle appelle à ce que les termes “utilisation” et “participation” – qui sont définis de manière étroite dans le statut de la CPI pour désigner les activités militaires liées au combat – telles que l’éclairage, l’espionnage et le sabotage, ainsi que les combats – soient élargis pour inclure la violence sexuelle que les filles ont eu à endurer au cours de la période passée comme enfants soldats enrôlés ou conscrits.



“Nous soutenons que le terme “utilisation“ devrait inclure le fait d’avoir été enlevé, le fait d’être un enfant esclave sexuel ou une épouse, pour que l’expérience des filles soit prise en compte. Il s’agit d’une situation de combat, mais leurs vies sexuelles ont été totalement imbriquées au conflit,” a-t-elle indiqué à l’IWPR.



“En raison du contexte et de la nature de ces groupes, les activités ne sont pas dissociées, et un grand nombre de ces filles sont des épouses à un moment, et le moment d’après des combattantes et des aides domestiques.”



Coomaraswamy maintient qu’au moyen de la participation forcée en tant que travailleurs domestiques et “épouses”, les filles font partie de la force de combat, qu’elles participent directement ou non aux opérations militaires.



Elle a déclaré que la Cour devait déterminer, au cas par cas, si la participation d’un enfant avait servi une fonction de soutien essentielle pour le groupe armé lors du conflit.



Elle a expliqué que l’interprétation plus large qu’elle recommande ferait suite aux consignes de l’ONU, qui reconnaissent tous les enfants qui "participent à des groupes et des forces armées et y sont associés" comme victimes de ces crimes.



Inder est d’accord que les charges actuelles contre Lubanga peuvent être interprétées comme incluant les violences sexuelles endurées par les filles soldats.



“Au cours de la phase d’enlèvement et d’entraînement, le viol constitue un élément central et régulier du processus d’enrôlement et de conscription des filles en RDC,” a-t-elle dit.



“L’enrôlement et la conscription sont des actes qui requièrent un processus, et une part intégrante de ce processus qui transforme les filles en enfants soldats est marquée par le viol et d’autres formes de violence sexuelle.”



Cependant, Mariana Pena de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, FIDH, avertit qu’une interprétation plus large des charges portées contre Lubanga ne peut pas compenser le fait qu’il n’a pas été inculpé pour des faits de violence sexuelle.



“Coomaraswamy veut dresser un tableau général de la situation, et nous accueillons ce geste, mais le tableau général aurait du être montré au moyen de l’inclusion d’inculpations pour crimes de violence sexuelle contre Lubanga,” a-t-elle dit. “Malheureusement, une interprétation plus large des charges actuelles ne signifiera pas qu’il puisse être condamné pour des charges de violence sexuelle”.



Coomaraswamy est d’accord sur le fait que cela serait souhaitable, outre ses recommandations visant à ce que la définition de l’enfant soldat soit élargie. Elle a déclaré à l’IWPR que pour que la CPI ait un effet dissuasif sur les auteurs de crimes, il fallait qu’il y ait un acte d’accusation séparé portant sur les cas de violence sexuelle, outre les charges déjà existantes.



Elle fait une comparaison avec l’affaire Foca devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui a constitué un précédent important dans la classification du viol comme un crime contre l’humanité.



Au cours de ce procès, trois inculpés originaires de Bosnie – Zoran Vukovic, Radomir Kovac et Dragoljub Kunarac – avaient été reconnus coupables en 2001 d’avoir violé et réduit en esclavage des femmes musulmanes dans la ville de Foca, au sud-est de la Bosnie, et de les avoir vendues ou louées pour prostitution forcée à d’autres soldats.



“Dans [cette affaire] la violence sexuelle fut incluse dans les charges de torture, viol, outrage à la dignité de la personne. La violence sexuelle au sein d’une force de combat telle que celle de Lubanga prend la forme du recrutement et de la conscription d’enfants soldats d’un côté, et du viol, de l’autre côté” a-t-elle indiqué.



“Il ne faut pas obligatoirement qu’il y a une seule [inculpation]. Un double acte d’accusation serait le bienvenu”.



Le traitement des crimes de guerre contre les filles soldats à la CPI pourrait aussi être influencé par un récent arrêt prononcé en appel par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, TSSL, à Freetown, où, cette année, pour la première fois, des juges ont reconnu le crime de ”mariage forcé” en droit international.



Au mois de juin de l’année dernière, Alex Tamba Brima, Brima Bazzy Kamara et Santigie Borbor Kanu du mouvement rebelle Conseil des forces armées révolutionnaires, furent reconnus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité comprenant le meurtre, le viol, la réduction en esclavage sexuel et la conscription d’enfants soldats.



Elément d’une importance cruciale, la Chambre de première instance avait alors utilisé une interprétation étendue du chef d’inculpation d’utilisation d’enfants soldats pour les faire participer dans un conflit comme incluant les activités non militaires.



“L’utilisation d’enfants pour les faire “participer activement aux hostilités” comprend le fait de mettre directement leurs vies en danger lors du combat... [t]oute tâche ou tout soutien permettant de mener à bien des opérations lors d’un conflit ou qui y contribue constitue une participation active,” selon l’énoncé du jugement.



En condamnant ces hommes, les juges du TSSL ont rejeté le chef d’inculpation de “mariage forcé“ qui était présent dans l’acte d’accusation, déclarant qu’il n’y avait pas besoin de l’envisager comme un crime distinct de l’esclavage sexuel.



Stephen Rapp, le Procureur en chef a cependant fait appel de la décision et la Chambre d’appel a renversé l’acquittement en février de cette année, reconnaissant que le mariage forcé était un crime contre l’humanité en soi, conformément au droit humanitaire.



Rapp a déclaré à l’IWPR qu’il avait accueilli la décision, bien qu’il ait admis qu’il s’agissait d’un véritable défi de faire aboutir ces chefs d’accusation.



“Un des aspects les plus difficiles concernant ce crime était l’idée que les filles étaient des complices plutôt que des victimes,” a-t-il dit. “Elles furent conscrites comme épouses, et eurent à se déplacer avec les chefs rebelles et à cuire la nourriture pillée au cours des opérations, et à consommer cette nourriture. Leur rôle les fait passer pour des alliées des rebelles”.



En dépit de cela, Rapp espère que la décision des juges d’appel en Sierra Leone aura un impact sur les procès de la CPI en ce qui concerne les crimes contre les filles détenues par des groupes armés.



Il espère que l’Accusation va bientôt aboutir à la première condamnation jamais rendue pour ‘mariage forcé’ contre les membres d’un autre groupe paramilitaire sierra-leonais en procès devant le TSSL, le Front révolutionnaire uni. Dans cette affaire, des preuves similaires ont été présentées contre les trois accusés, Issa Hassan Sesay, Morris Kallon et Augustine Gbao.



Cela pourrait influencer les procédures devant la CPI, a indiqué Rapp.



“Lorsque de telles décisions sont rendues, elles sont très convaincantes pour les autres tribunaux alors dans cette optique, nous aidons à élaborer des normes que la CPI va pouvoir appliquer dans ses poursuites.”



Coomaraswamy espère vraiment que ce sera le cas. Elle finit son rapport d’amicus à la CPI en expliquant comment les filles combattantes finissent souvent “invisibles” dans des situations post-conflictuelles.



"Étant donné qu’elles sont également des épouses et des aides domestiques, elles s’esquivent ou elles ne participent pas aux programmes de DDR [désarmement, démobilisation et réhabilitation]. Les commandants préfèrent "garder leurs femmes" qui sont souvent les mères de leurs enfants, et même si les filles combattent, elles ne sont pas relâchées avec les autres," indique le rapport.



“Leur statut complexe les rend particulièrement vulnérables. Elles sont recrutées comme enfants soldats et esclaves sexuelles, mais elles deviennent invisibles lorsqu’il s’agit de les recenser.”



Katy Glassborow est reporter auprès de l’IWPR à La Haye.
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