Les victimes oubliées de l'ARS
Les familles au Sud Soudan luttent à reconstruire leurs vies brisées par l’activité rebelle en Ouganda.
Les victimes oubliées de l'ARS
Les familles au Sud Soudan luttent à reconstruire leurs vies brisées par l’activité rebelle en Ouganda.
Originaire du village de Sindiru, à près de 130 kilomètres au sud de Juba, la capitale du Sud Soudan, elle a marché vers le camps de réfugiés internes de Mondikolog avec ses fils, James et Hillary en 2006.
“Nous avons marché dans un groupe de 20 personnes après que l’Armée de résistance du seigneur [ARS] ait attaqué notre village,” a déclaré Amara à l’IWPR. “Cela nous a pris deux jours pour atteindre le camp de Mondikolog.”
“L’ARS a attaqué notre village, a enlevé des gens, et pillé toutes nos propriétés,” s’est-elle plainte. “Ils nous ont laissé uniquement les habits que nous avions sur le dos au moment de l’attaque.”
Des responsables au Sud Soudan suspectent que les attaques ait été menées non pas par les rebelles ougandais, mais par les milices rebelles soudanaises composées de soldats désaffectés des deux camps de la guerre de 20 ans entre le Sud Soudan et le gouvernement de Khartoum.
Malgré cela, Amara a soutenu que l’ARS était responsable.
“Ils parlaient Acholi,” a-t-elle dit, faisant référence à une langue parlée à la fois en Ouganda du nord et du sud, et utilisée par les membres de l’ARS.
Amara a noté que depuis la signature de l’accord de paix entre le gouvernement du Sud Soudan et Khartoum en janvier 2005, la région avait brièvement connu la paix.
“Nous n’avons subi aucune attaque dans notre village,” a indiqué Amara. “Nous vivions en paix avant que cette ARS vienne nous déplacer.”
Amara fait remonter l’augmentation de la violence à la fin 2005 et à 2006, quand l’ARS s’était retirée du nord de l’Ouganda et avait traversé le Sud Soudan pour atteindre le parc national de Garamba au nord-est de la République démocratique du Congo.
Certains de ceux qui furent enlevés mais s’échappèrent plus tard ont indiqué que les assaillants étaient membres de l’ARS, a-t-elle expliqué.
“Mon mari compte parmi les personnes qui ont été enlevées, et jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas s’il est vivant ou mort.”
Comme les plus de 1,7 millions de réfugiés internes déplacés par la guerre dans le nord de l’Ouganda, Amara et d’autres réfugiés soudanais du camp de Mondikolog attendent avec impatience un accord de paix formel entre l’Ouganda et l’ARS.
Les pourparlers de paix sont en cours à Juba depuis juillet 2006, mais ils ont récemment été suspendus lorsque des représentants de l’ARS ont entrepris une tournée dans le nord de l’Ouganda pour des discussions sur la réconciliation. Aucune date pour la reprise n’a été indiquée.
Parmi ceux qui s’inquiètent de la sécurité dans la région, Alesio Emor Ojetuk, le gouverneur de l’État soudanais de l’Est-Équateur a indiqué que les embuscades, les attaques et enlèvements de civils dans sa province étaient l’œuvre des rebelles ougandais.
Ojetuk pense que les problèmes dans son État sont intervenus après que des unités de l’ARS se soient rassemblées à un point de rencontre désigné à Owingkibul, dans l’Est-Équateur, mais ont ensuite refusé de se rendre comme cela était prévu.
Au lieu de cela, les rebelles ont “continué à piller la nourriture de mes citoyens ”, a-t-il dit. “C’est pourquoi j’ai dit au gouvernement [autonome] du Sud Soudan que je ne voulais plus jamais avoir un rassemblement de l’ARS dans mon État.
“Si l’ARS se rassemblait dans l’État d’Est-Équateur, je les attaquerai pour leurs méfaits contre les civils innocents.”
En résultat, l’ARS a accepté de se rassembler à Ri-Kwangba, dans l’Ouest-Équateur à la frontière avec la RDC. Mais ce rassemblement n’a pas encore eu lieu, a noté Ojetuk.
Clement Wani Konga, le gouverneur de l’État du Centre-Équateur a également accusé l’ARS d’avoir mené les attaques ayant eu lieu en 2006 à Gumbo, une petite ville juste à six kilomètres au sud de Juba, ainsi que dans d’autres villages de son État.
Mais la situation est restée calme pour la plus grande partie de l’année dernière, a-t-il indiqué, un fait qu’il a attribué à plusieurs facteurs, “Depuis que l’ARS a reçu l’instruction de se rassembler en Ouest-Équateur, et que les forces armées du Soudan restantes se sont redéployées dans le nord, les attaques ont cessé et les civils déplacés rentrent maintenant chez eux.”
Comme la population du Sud Soudan est mobile, des responsables ont indiqué qu’il est difficile d’estimer le nombre exact de réfugiés déplacés par l’activité de l’ARS.
Plus de 3 000 personnes se sont installées dans le camp de Mondikolog en 2006. Quatre autres camps - Igulla, Okitiri, Lobonok et Rajaf – contiennent aussi un grand nombre de réfugiés des environs de Juba, tous déplacés par l’ARS, comme l’indiquent certains responsables.
La vie dans les camps a été difficile, et les réfugiés luttent pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.
“Nous ne savons pas quoi faire,” s’est plaint Venesto Ladu, un des anciens du camp. “Les Nations Unies nous ont oubliés depuis que nous nous sommes réfugiés ici.”
Bien que la plupart des réfugiés aient cultivé des parcelles de terre autour du camp, leurs cultures et leurs légumes ne sont pas protégés et sont souvent piétinés et mangés pendant la nuit par des troupeaux de bétail itinérants appartenants aux communautés locales.
En raison de la pauvreté dans la région, les villageois locaux ne sont pas en mesure d’octroyer une réparation aux réfugiés pour leurs pertes, a indiqué Ladu.
Alors que les parents luttent pour cultiver de la nourriture, leurs enfants doivent se battre contre les éléments pour avoir accès à l’instruction.
A l’école primaire d’Okitiri, près du camp de réfugiés d’Egulla, à quelque 200 kilomètres au sud de Juba, quelques 75 enfants réfugiés suivent un enseignement scolaire à l’abri de trois arbres, et ils doivent courir s’abriter au premier signe de pluie.
“Les performances des élèves sont très faibles parce qu’il n’y a pas de nourriture et d’eau pour eux dans le camp,” a indiqué le professeur principal, Christine Abu.
Malgré le manque de salles de classe, elle a déclaré “Nous allons continuer à opérer ici jusqu’à ce que le gouvernement puisse garantir notre sécurité dans [notre village d’origine] Parajok.”
La plupart de ceux qui sont aujourd’hui au camp d’Egulla ont été déplacés en décembre 2006 de Parajok et d’un autre village, Panyaquara, a-t-elle expliqué. Les réfugiés font partie de l’ethnie Acholi, comme les rebelles de l’ARS, mais sont natifs de l’Est-Équateur.
Emilio Igga, le commissaire du comté de Magwi, a indiqué que les attaques de l’ARS sur les villages comme Parajok avaient cessé en avril 2007 après qu’il se soit plaint à leur sujet dans une conversation téléphonique avec l’ancien deuxième de commandement de l’ARS, Vincent Otti.
“Depuis notre discussion, aucune attaque n’a eu lieu,” a indiqué Igga.
Otti aurait cependant été tué par le commandant de l’ARS, Joseph Kony, en octobre 2007.
Igga a indiqué que l’Armée de libération du peuple du Soudan -l’ancien mouvement de guérilla qui s’est battu dans une longue guerre contre Khartoum avant l’accord de paix de 2005- a été déployé dans le pays, et que cela a aidé à sécuriser la zone.
Le calme récent a permis aux gens comme Amara et ses deux fils de retourner dans leur village d’origine après deux années dans le camp de réfugiés, mais aujourd’hui ils se demandent si ils ont pris une bonne décision.
“Aujourd’hui nous avons à faire face aux même problèmes chez nous que dans le camp. Nous aimons rester à la maison,” a-t-elle indiqué, mais elle a ajouté que des équipements comme les écoles, les hôpitaux, l’eau et les routes n’étaient plus disponibles.
Hamid Taban est un collaborateur de l’IWPR à Juba.