Les officiers reconnaissent ignorer les lois de la guerre

Certains officiers congolais suivent une formation en droits de l’Homme afin de juguler les abus commis par l’armée.

Les officiers reconnaissent ignorer les lois de la guerre

Certains officiers congolais suivent une formation en droits de l’Homme afin de juguler les abus commis par l’armée.

Le jour où Isaac Muhindo fut accusé d’avoir volé 2 000 dollars US dans un magasin marqua le début d’une épreuve de deux mois qu’il eut à subir des mains de l’armée.



“J’ai été détenu dans une pièce très sombre et humide et torturé pour me faire avouer des choses” déclare Muhindo, libéré ensuite après avoir finalement été envoyé à la lugubre prison centrale de Goma, puis relâché pour manque de preuves.



“C’est seulement quand ma santé a commencé à se dégrader que j’ai été transféré à la prison.”



Muhindo est l’un des nombreux résidents de la province du Nord Kivu, dans l’est du Congo, à faire état de mauvais traitements commis par l’armée du pays - les Forces Armées de la République Démocratique du Congo, FARDC.



Les groupes de défense des droits de l’homme accusent l’armée de meurtres, arrestations arbitraires détention, viol et pillage. La Mission des Nations Unies au Congo, MONUC, indique que 40 pour cent de toutes les violations enregistrées par sa division des droits de l’Homme à la fin de l’année 2006 ont été commises par des soldats des FARDC. Ces actes ont pris la forme d’exécutions sommaires et de passages à tabac.



“L’armée n’est pas aussi mauvaise que les groupes armés mais il y a quand même beaucoup de cas de violence sexuelle, pas des viols collectifs, mais plutôt des actes commis par des soldats agissant seuls,” a indiqué Andrew Philip, chercheur sur le Congo auprès d’Amnesty International. “Et il y a des récits de jeunes filles emmenées dans des camps militaires et séquestrées là-bas.“



“Au cours des combats à la fin de l’année dernière, des civils ont été utilisés comme manoeuvres, y compris des enfants auxquels on a fait porter des munitions.”



Des tentatives sont faites aujourd’hui pour s’attaquer au problème. Le mois dernier, des officiers de la 8ème région militaire du Nord Kivu ont reçu une formation relative aux droits de l’Homme sous l’égide d’un programme européen visant à juguler les abus commis par l’armée contre les civils.



Près de 25 officiers du Nord Kivu se sont rassemblés dans la capitale de la province, Goma pour y suivre le cours sur le respect des lois de la guerre et des droits de l’Homme, qui, selon les organisateurs, sont souvent ignorés dans ce pays marqué par des années de conflit.



“Les soldats des FARDC font partie des principaux auteurs de mauvais traitements au Congo,” a indiqué Marc Dubois, coordinateur du programme ‘Restauration de la Justice à l'Est de la République Démocratique du Congo’, Rejusco, qui a organisé la formation de trois jours. Rejusco est financé par la Commission européenne, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas et est chargé d’améliorer le système judiciaire dans l’est du pays.



Les thèmes du cours comprenaient l’utilisation d’enfants dans les conflits armés et la législation sur la violence sexuelle adoptée en 2006, visant à augmenter le nombre de poursuites pour viol, un phénomène endémique au Congo.



Dubois a révélé qu’un certain nombre des officiers n’étaient pas au courant que les lois de la guerre interdisaient le pillage de villages et le viol de civils.



“Certains d’entre eux étaient au courant de ces lois alors que d’autres les ont découvertes au cours du séminaire,” a déclaré Dubois. “Mais cela ne nous a pas surpris. Même les magistrats ignorent parfois les lois.”



Un commandant de bataillon de la 8ème région militaire qui a participé à la formation a déclaré à l’IWPR que la majorité des soldats - et leurs chefs - ne sont pas au courant des lois destinées à protéger les civils pris dans des conflits.



“Des choses ont été faites sur le champ de bataille en raison de l’ignorance des commandants,” a-t-il indiqué. “Ici, nous avons appris ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas l’être.”



L’avocate Didie Kondani qui a conduit la formation a indiqué à l’IWPR qu’elle espère que cette formation va permettre d’améliorer les relations entre l’armée et les civils et dissuader les soldats de commettre d’autres crimes. “La connaissance est toujours importante,” a indiqué Kondani.



Philip applaudit les efforts visant à mieux former les officiers des FARDC mais indique que les cours sur les droits de l’Homme devraient être disponibles à tous les rangs. Il a également appelé les personnes au sein de la communauté internationale qui offrent des formations à mieux coordonner leurs approches.



“Une des recommandations que nous avons faite est que tous les rangs devraient recevoir cette formation de manière systématique, pas uniquement les officiers ou les quelques personnes sélectionnées,” a-t-il dit.



“La MONUC organise aussi de telles formations, mais j’ai l’impression que c’est fait de manière un peu décousue et ad hoc. Il faut plus de cohérence, de coordination et de systématisation.”



Un des objectifs du cours de Rejusco est d’améliorer les relations entre l’armée et les civils, qui sont sans grande surprise très mauvaises. “Ils ne font pas confiance à l’armée,” a indiqué Dubois. “C’est même tout le contraire. Ils ont très peur des FARDC. Il n’y a pas de confiance entre les habitants de cette zone et l’armée.”



Père de deux enfants, âgé de 29 ans, Luc Mburano, a été arrêté par le célèbre service de renseignement du Nord Kivu, le T2, après qu’il soit rentré d’Ouganda où il était allé acheter une Jeep pour son employeur. Il a déclaré qu’il avait été forcé à soudoyer les officiers pour se sortir de cette situation dangereuse. “J’ai tout perdu. Ma montre, deux téléphones portables, du liquide et d’autres petites choses que je ramenais pour ma femme,” a indiqué Mburano. “Mais c’était le seul moyen d’éviter de passer la nuit à l’Unité de la T2.”



Amnesty a mis l’accent sur le fait que le T2 est un auteur chronique d’abus commis à l’encontre des civils, et Philip a indiqué que des récits de “manque de respect des droits de l’Homme élémentaires” et de “torture en détention” par les officiers du T2 sont monnaie courante.



Bien que les abus soient généralises au sein de toutes les branches des FARDC, Amnesty est particulièrement préoccupée par la garde républicaine du Congo, un groupe de soldats d’élite responsable de la sécurité du président Joseph Kabila. Près de 12 000 à 16 000 gardes républicains sont déployés tout autour du pays et répondent uniquement à Kabila. Bien armés et bien entraînés, ils sont accusés par le groupe de défense des droits de l’homme de viser des civils et d’exécuter des supporters de l’opposition.



Les Tribunaux militaires fonctionnent au Congo et les soldats sont parfois tenus responsables de leurs actes. “Il y a des soldats emprisonnés pour des accusations de viol etc mais ce n’est pas fait de manière consistante,” a indiqué Philip. “Les procès de haut niveau souffrent d’une grande interférence politique et les Tribunaux militaires continuent à juger des civils.”



Dubois a indiqué que les organisateurs du cours vont suivre les officiers qui ont participé à la formation de mars, pour s’assurer qu’ils transmettent la bonne parole auprès des soldats. Deux autres sessions sont prévues pour les officiers des FARDC à Bukavu au Sud Kivu et à Bunia, en Ituri.



Taylor Toeka Kakala est un collaborateur de l’IWPR à Goma. Lisa Clifford est reporter de justice internationale auprès de l’IWPR à La Haye.
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