La police secrète accusée de torture

Des groupes de défense des droits de l’Homme indiquent qu’ils ont reçu de nombreux rapports selon lesquels des agents des services de renseignement abuseraient des détenus.

La police secrète accusée de torture

Des groupes de défense des droits de l’Homme indiquent qu’ils ont reçu de nombreux rapports selon lesquels des agents des services de renseignement abuseraient des détenus.

IWPR

Institute for War & Peace Reporting
Thursday, 2 July, 2009
Les victimes et les groupes de défense des droits de l’Homme ont accusé des agents des services de renseignements nationaux d’avoir procédé à des arrestations arbitraires et des actes de torture qui auraient été commis à Lubumbashi au sud-est de la République démocratique du Congo, RDC,



Selon les victimes, les accusés sont membres de la célèbre Agence nationale du renseignement, connue sous son acronyme d’ANR, et opèrent au Katanga, la province du pays riche en minéraux.



Les abus qui auraient été commis par les officiels de l’ANR sont communs au sein du système de justice congolais, qui est dans un profond chaos après qu’une série de guerres aient dévasté le pays depuis la fin des années 90, indiquent des activistes des droits de l’Homme.



Le gouvernement avait fait appel à la Cour pénale internationale, CPI, en 2004. Celle-ci a depuis émis des mandats d’arrêt contre cinq Congolais. L’un d’entre eux est actuellement en procès à La Haye.



Les officiers de police, avocats et juges sont mal payés, mal formés et ne voient pas leur responsabilité engagée, ce qui signifie que l’impunité est la seule constante pour les Congolais.



Selon le groupe congolais de défense des droits de l’Homme Centre des Droits de l’Homme, CDH, une affaire récente d’abus présumés de l’ANR concerne Mulumba Kapepula, qui aurait été enlevé le 16 mars par cinq agents gouvernementaux.



Le groupe de défense des droits de l’Homme a indiqué que Kapepula avait été arrêté parce qu’il avait critiqué le président de la RDC Joseph Kabila un peu plus tôt au cours de la même journée lors d’une réunion dans les bureaux de la compagnie nationale de chemin de fer où il travaille.



Un ministre de la province a indiqué que les autorités faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour mettre un terme aux abus et que les récits de torture faisaient l’objet d’enquêtes.



Selon le CDH, Kapepula s’était plaint que Kabila ait récompensé les joueurs de l’équipe nationale de football, mais que les travailleurs dans les sociétés publiques telles que la compagnie nationale d’électricité n’aient pas reçu leur salaire depuis trois ans.



Kapepula fut détenu à la prison de Kasapa à Lubumbashi. Il a été récemment remis en liberté après que des responsables aient indiqué que le chef d’accusation d’outrage au chef de l’État ait été sans fondement.



Kapepula avait auparavant demandé à être libéré pour recevoir un traitement médical pour des blessures dont il souffrait suite aux actes de torture subis en prison, mais la Cour n’avait pas répondu.



“J’ai été gravement torturé, fouetté, puis branché au courant électrique, et j’ai subi la strangulation de mes organes génitaux pendant toute la nuit du 16 mars par les agents de l’ANR,” avait expliqué Kapepula dans une demande présentée en audience au juge de la Chambre le 18 mai.



La santé de Kapepula a été sérieusement mise en danger, selon le CDH.



Alors en détention, Kapepula vomissait et urinait du sang et était incapable de parler, selon le groupe de défense des droits de l’Homme, et les visites lui furent refusées. Kapepula passa cinq jours avec des agents du gouvernement avant d’être transféré à la prison de Kasapa.



Jean-Marie Dikanga Kazadi, le ministre provincial du Katanga pour l’intérieur, la justice, la communication et les affaires coutumières, a indiqué que l’affaire Kapepula touchait à la sécurité de l’État.



“Mis face aux faits, Kapepula s‘est engagé dans une bataille médiatique, utilisant des déclarations mal placées jusqu’à attirer l’attention des services de renseignement sur cette question liée à la sécurité de l’État,” a indiqué Kazadi.



“C’est dans ces conditions que l’ANR, en conformité avec sa mission, est intervenue pour préserver sa crédibilité et l’autorité de l’État.”



Contacté par l’IWPR pour commenter ces accusations, un agent a indiqué qu’il ne pouvait pas parler ouvertement à la presse.



Le groupe de défense des droits de l’Homme Amnesty International critique aussi l’ANR.



Andrew Philip, chercheur sur le Congo auprès d’Amnesty International, a déclaré que l’organisation avait reçu de nombreux rapports de torture et de mauvais traitements des personnes détenues par l’Agence des renseignements.



“Il y a des abus flagrants et routiniers des droits de l’Homme commis par l’ANR,” a indiqué Philip. “Cela peut aller de simples coups à des ordres de se coucher par terre et de se tenir debout dans le soleil pendant des heures“.



“Ils font partie des pires tortionnaires en RDC.”



Il a déclaré que l’ANR de Lubumbashi, support politique du président Joseph Kabila au Katanga, était parmi les pires du pays. “L’ANR de Lubumbashi dépasse les autres,” a-t-il dit.



Philip a expliqué que l’ANR était sous l’autorité directe de Kabila, son mandat étant supposé limité à des enquêtes sur des crimes contre la sécurité de l’État tels que la trahison, l’espionnage, les crimes politiques ou les conspirations.



Cependant, Philip a déclaré que l’ANR arrête de manière routinière et détient des individus suspectés de délits communs. “Ils arrêtent des gens pour vol, d’abord dans la perspective de leur extorquer de l’argent,” a-t-il dit.



Les activistes de l’opposition et de la société civile accusés d’avoir violé la sécurité d’État sont également visés. “C’est leur fonds de commerce,” explique Philip.



Il a expliqué que les détenus étaient généralement détenus en secret – dans des conditions cruelles et inhumaines sans nourriture ni eau – dans des centres de détentions spéciaux de l’ANR. La plupart n’ont pas accès à l’aide juridique.



“Les gens ont eu beaucoup de problèmes à pénétrer dans les centres de détention de l’ANR, que ce soit les observateurs des droits de l’Homme [des Nations Unies] ou des activistes locaux des droits de l’Homme ou des membres de famille.



“Les gens peuvent passer des jours et des semaines en détention à l’ANR sans aucune sorte d’examen juridique de l’arrestation et ils disparaissent souvent pendant des semaines. Dans l’ensemble, ils finissent par réapparaître, qu’ils soient relâchés ou mis devant les tribunaux.”



Le Congo, avec l’aide de la communauté internationale a fait quelques petits progrès dans la réforme de ses services de sécurité, particulièrement l’armée, mais Philip indiqué que la police secrète est restée inchangée.



“La plupart de ces services de renseignement qui dépendent directement de la présidence ne sont pas sujets à une surveillance ou à un examen parlementaire. Ils ne sont pas soumis à l’examen du ministre de la justice,” a-t-il dit.



Un peu plus tôt cette année, dans un autre cas flagrant de torture, un homme appelé Jean soutenait avoir été arbitrairement détenu par les agents de l’ANR à Lubumbashi. Jean n’est pas son vrai nom, celui-ci étant tenu secret par l’IWPR pour le protéger des représailles.



Jean a indiqué à l’IWPR qu’il avait été choisi sans raison valable. “ Quatre malabars me jettent sur le pavé…Une pluie de fouet tombe sur mes fesses,” raconte-t-il.



Il explique qu’il a été “enfermé dans une cellule exigue, sans air et avec un sol boueux plein de vers et d’insectes. J’y reste debout pendant au moins quatre heures. L’oxygène commence à se raréfier et le vertige me saisit”.



Un officier supérieur l’avait fait transférer vers une cellule plus grande avec 10 autres personnes, mais où il avait peu de place pour se tenir debout ou se reposer. Certains des autres étaient aussi blessés, explique-t-il.



Kazadi a déclaré que son bureau faisait tout ce qu’il pouvait pour combattre les allégations de torture et de mauvais traitement de civils par les membres des forces de sécurité.



“Mon ministère est engagé dans une vaste campagne de sensibilisation pour mettre un terme à ces pratiques honteuses [de] harcèlement et de torture de la population,” a indiqué Kazadi à l’IWPR.



“Des dizaines de messages semblables indiquant aux [agents] de cesser avec ces pratiques ont été envoyés. Nous souhaitons vous informer que ceux qui ont commis ces actes de torture ont purement et simplement été suspendus pour enquête.”



Les tentatives menées par l’IWPR pour contacter un ministre du gouvernement de la RDC en vue d’obtenir ses observations sont restées sans succès.



Golden Misabiko, le directeur de l’Association africaine de défense des droits de l’Homme, ASADHO, a déclaré à l’IWPR, “Nous condamnons l’impunité dont bénéficient les agents de l’ANR qui jouissent de la protection de leurs supérieurs.”



Misabiko en a appelé à Kabila pour “faire cesser ces graves abus des droits de l’Homme commis par les agents des services de sécurité”. Il a exhorté les victimes de torture “à toujours faire état des cas d’arrestations arbitraires, de détentions illégales, et de tortures au procureur général contre les agents de l’ANR”.



Le CDH note que la Constitution congolaise indique que “l’être humain est sacré. L’État a une obligation de le respecter et de le protéger”.



“Toute personne a droit à la vie, à son intégrité physique” indique le CDH, surtout que la RDC a déjà ratifié le Pacte sur les droits civils et politiques et la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants interdisant le recours à la torture et autres traitements inhumains dégradants.
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