Le système d'éducation délaisse les enfants congolais
Les frais de scolarité élevés créent des problèmes, les élèves les plus pauvres étant obligés d’abandonner leur scolarité.
Le système d'éducation délaisse les enfants congolais
Les frais de scolarité élevés créent des problèmes, les élèves les plus pauvres étant obligés d’abandonner leur scolarité.
Hubert Ilunga, un habitant de Lubumbashi âgé de 18 ans, aurait souhaité pouvoir rester à l’école. Au lieu de cela, il a été contraint de quitter le système scolaire alors qu’il n’avait que 7 ans et est désormais obligé de travailler 12 heures par jour comme conducteur de bus pour un salaire très faible.
"Aujourd’hui je subis les conséquences du fait de ne pas avoir étudié," explique-t-il. "Je voulais continuer à étudier, mais mes parents n’avaient pas d’argent pour assurer les frais de mon éducation primaire. Je n’ai pas un bon travail. Je crie toute la journée. Je me réveille à six heures et je finis le travail à neuf heures."
Malgré ces longues heures de travail, Ilunga affirme gagner uniquement 3000 francs congolais (environ 2,5 dollars US) par jour.
"Quand je pense à ma vie, je suis triste, parce que si j’avais continué mes études, j’aurais pu avoir une autre vie que celle-ci," explique-t-il. "Je me demande si je serai jamais capable d’avoir une famille. J’ai même peur de me marier parce que je n’aimerais pas que mes enfants soient incapables de faire des études et qu’il soient forcés à vivre une vie de souffrances."
Nadine Mianda, âgée de 20 ans, ressent la même chose.
"Le manque d’études nous force à vivre comme des [citoyens] marginaux parce que ceux qui ont de l’argent seront toujours au dessus de nous," explique-t-elle. "Leurs enfants étudient et nous resteront toujours analphabètes. Les chances ne sont pas les mêmes pour quelqu’un qui a étudié et quelqu’un qui n’a pas suivi d’études."
Mianda a quitté l’école alors âgée de dix ans parce que ses parents ne pouvaient plus prendre en charge ses frais de scolarité. Elle travaille maintenant comme employée domestique afin de subvenir à ses besoins.
"Le manque d’éducation nous cause du tort, mais nous essayons de nous adapter à la situation," a-t-elle ajouté.
Selon l’UNICEF, l’agence des Nations Unies pour la protection de l’enfance, 75 pour cent des enfants en âge d’aller à l’école primaire sont scolarisés. Mais en ce qui concerne l’éducation secondaire, le chiffre atteint seulement 32 pour cent.
Ceux qui ont été contraints d’arrêter leurs études ne sont pas les seuls à souffrir. Selon Daniel Kasongo, un psychologue, le manque d’éducation a de sérieuses répercussions sur la société congolaise dans son ensemble.
"Les enfants qui n’ont pas été scolarisés ne savent pas quoi faire quand ils grandissent," explique-t-il. "Ils grandissent dans la haine et se vengent sur ceux qui ont mieux réussi dans la vie. Le manque d’éducation créé des gens misérables, qui vivent dans la pauvreté et ont recours au crime afin de survivre."
Kasongo précise que, étant donné que la lutte contre le crime représente un tel poids financier, il serait plus efficace de s’attaquer aux racines du problème, qui comprennent le manque d’éducation.
Georges Mutamba, un chercheur indépendant, est d’accord, et explique qu’une société qui n’est pas capable de fournir une éducation adéquate pour tous créé des divisions et des inégalités qui peuvent engendrer des problèmes par la suite.
"Etant donné que l’éducation n’est pas gratuite et que les parents payent les professeurs, ceux qui n’ont pas les moyens laissent leurs enfants à la maison," explique-t-il. "Cela provoque une discrimination étant donné que seuls les enfants de parents riches peuvent suivre des études, alors que les enfants pauvres n’en ont pas la possibilité. Nombreux sont ceux qui finissent dans les rues parce qu’ils ne sont pas allés à l’école. Il est du devoir de l’État de garantir l’éducation des enfants."
Alexis Takizala, un avocat, indique que le devoir de l’État de garantir un enseignement gratuit jusqu’à l’âge de 12 ans est entériné dans la constitution, mais de nombreux parents doivent encore payer les frais de scolarité directement aux enseignants.
En outre, la constitution stipule que tous les enfants devraient quitter l’école avec au minimum les connaissances de base en matière de lecture et d’écriture. Mais cela n’est clairement pas le cas.
"L’article 43 [de la constitution] stipule que l’éducation primaire est obligatoire et gratuite dans les écoles publiques," ajoute-t-il. "Les parents ne devraient pas payer les professeurs étant donné qu’ils sont fonctionnaires. La constitution est la loi suprême de la nation. Nul ne devrait pouvoir la violer."
Bien que la constitution du pays stipule que l’éducation primaire doit être gratuite, il est courrant que les écoles en République démocratique du Congo, RDC, demandent aux parents de payer les frais de scolarité, qui sont utilisés pour compléter les salaires des enseignants ainsi que contribuer aux frais de fonctionnement des écoles. Les enseignants reçoivent en général juste 40 dollars par mois de la part du gouvernement, et nombreux sont ceux qui se plaignent du fait que cela ne suffit pas pour vivre.
Shambuyi Tshiviadi, de l’Union pour la démocratie et le progrès social, un parti d’opposition, reconnaît qu’il est honteux que les enfants se voient refuser le droit à une éducation de base.
"Le pays glisse chaque jour vers l’enfer," explique-t-il. "Aujourd’hui, de nombreux enfants n’ont pas accès à l’éducation et quelques 45 pour cent de la population nationale est analphabète."
Les coûts élevés de la scolarisation des enfants ont pour conséquence que de nombreux parents doivent faire beaucoup d’efforts pour y parvenir.
Philippe Ilunga, père de quatre enfants, explique, "Je touche 35 000 francs congolais (environ 40 dollars) par mois comme fonctionnaire de l’État. Chaque mois, je dois payer 15 dollars par enfant pour l’école. J’ai quatre enfants. Et puis il y a le loyer et la nourriture. C’est dur de vivre dans la peau d’un parent congolais."
Ilunga suggère que l’article sur l’éducation soit retiré de la constitution s’il n’est pas respecté.
Les membres du gouvernement et leurs partisans soutiennent cependant que l’aide étatique en matière d’éducation est limitée par les moyens disponibles dans les caisses de l’État.
"Tout est une question de budget," explique Thérèse Lukenge, ministre provinciale de l’ensegnement. "Les parents doivent trouver un compromis avec les directeurs d’école pour tomber d’accord sur la somme qu’ils doivent payer par mois pour les frais de scolarité de leurs enfants. C’est un problème qui existait quand nous sommes arrivés au pouvoir et la solution ne peut pas être trouvée du jour au lendemain."
Jean Mbuyu, un avocat et parlementaire du Parti populaire pour la reconstruction et le développement, un parti politiquement proche du parti au pouvoir, reconnaît le droit à l’éducation gratuite, tel que prévu par la constitution, mais indique que le poids de la dette nationale limite les possibilités d’action du gouvernement.
"La constitution a déjà prévu le droit à l’éducation gratuite, mais les contraintes budgétaires font qu’il est difficile d’apporter un soutien financier conséquent dans ce domaine," explique-t-il. "La Banque mondiale nous a demandé de faire des efforts pour gérer notre budget en équilibre, afin de rembourser nos dettes. Nous avons fait des efforts les 3 dernières années pour arriver à cet équilibre. En juin dernier, nous avons atteint ce qu’on appelle le point d’achèvement [lorsqu’un pays atteint le seuil requis pour l’allègement de la dette] des bailleurs de fonds."
Atteindre cette étape a été une bénédiction pour le trésor congolais, étant donné que le Fonds monétaire international a alors rapidement approuvé un allégement de la dette de 12,3 milliards de dollars.
"Nous disposons chaque mois 50 millions de dollars qui peuvent être affectés dans les domaines sociaux," a déclaré Mbuyu.
Cependant, avec des besoins si variés en RDC, il est difficile de savoir si cet argent est investi dans l’éducation. De nombreux autres fonctionnaires - y compris des docteurs, des policiers et des soldats - réclament aussi une partie de cet argent, soutenant que leurs salaires sont trop bas et qu’ils ne reçoivent souvent aucun salaire.
Mbuyu explique qu’il existe plusieurs manières dont le gouvernement pourrait utiliser l’argent.
"L’argent peut être utilisé non seulement pour l’éducation, mais aussi pour d’autres dépenses telles que la santé et le salaire des fonctionnaires [qui ne sont pas payés]. Le gouvernement examine aussi actuellement comment l’argent pourrait être investi dans le domaine industriel," a-t-il dit.
Mais, en l’absence d’un véritable signe d’amélioration grâce à cet argent, nombreux sont ceux qui commencent à douter de la détermination du gouvernement à l’utiliser pour les usages auxquels il était originellement destiné – à savoir améliorer le bien être social de la population.
Héritier Maila est un reporter formé par l’IWPR.