Les intermédiaires en péril
Menace sur les personnes chargées des liens vitaux entre les victimes et la CPI.
Les intermédiaires en péril
Menace sur les personnes chargées des liens vitaux entre les victimes et la CPI.
A la CPI, et pour la première fois en droit international, les victimes de crimes de guerre peuvent prendre part aux enquêtes et aux procès, mais les avocats qui représentent des personnes originaires du Darfour et de République démocratique du Congo, RDC, indiquent que les intermédiaires qu’ils ont utilisés pour contacter les victimes sur le terrain sont en danger en raison de leur travail.
Carine Bapita, une avocate de Kinshasa qui représente les victimes dans l’affaire contre Lubanga, a indiqué à l’IWPR qu’elle avait évacué l’un de ses intermédiaires hors de la RDC lorsque les menaces étaient devenues trop importantes.
“Ils sont le point central mais la plupart d’entre eux sont en danger aujourd’hui. J’ai amené la question devant la Cour mais je me suis entendue dire qu’il n’y a de disposition dans aucun des articles, alors j’ai du gérer moi-même et trouver l’argent ailleurs pour les relocaliser. La Cour ne fait rien à ce sujet,” a-t-elle indiqué.
Alors que la Cour offre une protection aux témoins de la Défense ou de l’Accusation, elle ne reconnaît pas le besoin de protéger les intermédiaires, ou même le simple fait qu’ils jouent un rôle comme canal d’information.
Bapita a indiqué que s’il n’y avait pas d’intermédiaires, il n’y aurait pas de victimes intervenant devant la Cour, et aucun avocat ne serait en mesure de représenter des victimes, ce qui signifierait qu’une part fondamentale des devoirs de la Cour ne serait pas remplis.
Raymond Brown et Wanda Akin, qui représentent des victimes du Darfour, ont déclaré que des intermédiaires sont essentiels pour obtenir des informations de la part des victimes à présenter à la Cour, et que le système d’intermédiaires travaillant pour mettre les avocats en lien avec les victimes a augmenté spontanément en réponse à un besoin qui n’est pas abordé.
Akin et Brown sont basés aux États-Unis mais certains de leurs clients sont dans des camps de personnes déplacés dans leur propre pays, PDPP, originaires de camps et de villes du Darfour. Étant donné que les avocats sont incapables de voyager au cœur du Darfour, le seul moyen d’atteindre les victimes est par des intermédiaires.
“Même si nous pouvions les atteindre nous-même, nous mettrions les victimes en danger en leur parlant directement. Nous avons besoin d’un intermédiaire qui ne soit pas seulement un interprète, mais une personne originaire du pays, qui comprenne la géographie du Darfour et la manière dont le conflit s’est déployé,” a déclaré Akin.
Alors qu’ils jouent un rôle important, les intermédiaires sont extrêmement vulnérables.
Brigid Inder de Women’s Initiative for Gender Justice a aidé à relocaliser un certain nombre d’activistes lorsque des milices en RDC ont commencé à activement rechercher des personnes engagées avec la CPI ou donnant des informations à la Cour.
“Certains individus associés à des groupes de milices se sont présentés dans les maisons de certains des intermédiaires avec qui nous travaillons en demandant à les rencontrer et à ce qu’ils leur disent où se trouvaient d’autres individus qu’ils soupçonnaient de travailler avec la CPI,” a-t-elle dit.
“Les membres des familles des activistes sont stoppés sur la route par des hommes et menacés, et certains de leur partenaires ont reçu des emails ou SMS menaçants.”
L’intimidation n’est pas seulement dirigée vers les intermédiaires. Les avocats engagés dans les affaires de la CPI et leurs proches ont également été visés.
Bapita – basée à La Haye pour le procès de Lubanga – a reçu des menaces contre elle-même et sa famille à Kinshasa en résultat direct de son implication avec la Cour.
“J’ai déjà reçu des menaces, et ma famille est menacée. Nous avons apporté ces questions devant la CPI et on nous a dit que le statut de la Cour n’a rien prévu à ce sujet, alors il n’y a rien que la CPI puisse faire,” a déclaré Bapita.
Récemment, un ami a parlé à Bapita d’une conversation alarmante qu’il avait surprise entre un groupe de personnes de langue swahilie à Kinshasa.
“Ils ont dit de mauvaises choses sur les représentants légaux des victimes de [Lubanga], et dit qu’ils connaissaient ma maison. La nuit où j’ai eu ces informations, il y a eu des coups de feu autour de ma maison,” a-t-elle indiqué.
Le procès de Lubanga – inculpé pour le recrutement d’enfants pour les faire combattre au sein de sa milice – devait commencer le mois dernier mais les juges ont suspendu l’affaire parce que les Procureurs s’étaient basés de manière trop importante sur des preuves confidentielles d’autres sources.
Les juges ont expliqué que l’affaire Lubanga avait été “rompue à un degré tel qu’il est désormais impossible de rassembler les éléments constitutifs d’un procès équitable” et conclu qu’il devait être libéré en conséquence.
Des appels ultérieurs ont entraîné le maintien de Lubanga en détention à ce jour, mais ses sympathisants – qui peuvent suivre la procédure de la Cour à la télévision congolaise – pensent que la décision des juges signifie qu’il aurait du être reconnu innocent et libéré, et ils ne comprennent pas pourquoi il n’a pas encore été renvoyé chez lui.
Les retransmissions télévisées signifient aussi que les images d’avocats en action, tels Bapita, en action devant la Cour, sont vues en RDC. Mais comme les intermédiaires, les avocats ne sont pas concernés par les mesures de protection dans le Statut de la Cour.
“Si les [avocats] sont menacés, ils devraient être protégés. Les témoins ont droit à la protection de leur personne ainsi que de leur famille. La même chose devrait s’appliquer aux avocats,” a indiqué Mariana Pena de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme, FIDH.
Mark Ellis, de l’Association internationale du barreau, AIB, a déclaré qu’il est “absolument fondamental que les avocats bénéficient d’un soutien. Si la CPI ne leur apporte pas, on pourrait soutenir que le procès ne remplit pas les critères internationaux quant à l’équité”.
Sonia Robla, chef de la Section de l’information et de la documentation à la CPI, a déclaré à l’IWPR que la Cour n’avait pas d’obligation de protéger les intermédiaires ou les avocats.
“Il relève de la responsabilité des États en question de protéger les vies de leurs citoyens. Il n’y a pas de disposition dans le Statut de Rome, ni dans aucun de nos textes juridiques, qui garantisse la sécurité de toute autre manière,” a déclaré Robla.
Mais certains critiques indiquent que seuls les pays qui ont signé le Statut de Rome fondateur de la CPI seraient prêts à coopérer de cette manière, ce qui exclut immédiatement le Soudan.
“Le gouvernement soudanais a juré d’exterminer les gens qui coopèrent avec la Cour,” a indiqué Brown.
Entre-temps, Bapita appelle les Procureurs de la CPI à expliquer aux Congolais ce qui se passe dans l’affaire Lubanga afin que le travail difficile, et parfois dangereux, ne soit pas laissé aux seuls intermédiaires.
“Ils risquent leurs vies et, comme si cela ne suffisait pas, maintenant ils sont censés aller voir les victimes pour leur expliquer ce qui se passe. Le Procureur doit reconnaître sa responsabilité d’expliquer ce qui se passe – il ne peut pas y échapper,” a-t-elle dit.
Un porte-parole du Procureur à indiqué à l’IWPR, “Afin d’aborder les éventuels confusions ou malentendus, nous avons utilisé toutes les chances pour communiquer avec la population. A cet effet, nous avons envoyé une mission à Kinshasa début juillet. Avec le Greffe, nous préparons d’autres activités de sensibilisation en Ituri en septembre prochain.”
Le porte-parole a indiqué que les Procureurs cherchaient également à s’assurer que les témoins et intermédiaires fassent l’objet d’une protection adéquate, une question qui semble avoir été à la source de tension significatives au sein de la Cour.
En mai, les Procureurs avaient abandonné toutes les charges de violence sexuelle de l’acte d’accusation des chefs de milice d’Ituri Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo suite à des désaccords avec le Greffe sur la manière de protéger deux témoins dont les témoignages auraient pu corroborer les charges.
Les Procureurs qui craignaient pour la sécurité des témoins les avaient relocalisés sans l’accord du Greffe, afin de garantir qu’ils soient en mesure de témoigner au sujet de leurs expériences devant la Cour.
Le Greffe avait critiqué les Procureurs pour être intervenus dans la protection des témoins, indiquant que cela pourrait saper la crédibilité de leur témoignage, dans la mesure où les Procureurs pourraient être accusés d’offrir des récompenses aux témoins en échange de leurs témoignages.
Les juges avaient ensuite retiré toutes les preuves liées aux deux témoins, provoquant le retrait par l’Accusation des charges de violence sexuelle.
Le différent a désormais été résolu et les charges réinsérées, mais l’épisode montre que le désaccord au sujet de la protection s’étend même à ceux qui y ont droit selon le système actuel de la Cour.
Katy Glassborow est reporter de justice internationale auprès de l’IWPR à La Haye.