Une journaliste raconte des menaces reçues par téléphone

Une journaliste congolaise raconte les messages difficiles à supporter, reçus par téléphone, menaçant de la tuer, elle et deux de ses collègues.

Une journaliste raconte des menaces reçues par téléphone

Une journaliste congolaise raconte les messages difficiles à supporter, reçus par téléphone, menaçant de la tuer, elle et deux de ses collègues.

Monday, 23 November, 2009
C’est un mercredi 8 septembre 2009 vers 9h30 du matin, lorsque tout à coup, mon téléphone sonne. Je décroche pour entendre la voix de ma consoeur Caddy Adzuba de Radio Okapi à l’autre bout du fil.



Elle me dit qu’elle a un message important à me transmettre et qu’elle passera me voir vers 12 heures au studio de l’ONG Hollandaise la Benevolencija, partenaire de Radio Maendeleo pour laquelle je travaille au montage d’un magazine radio.



A 13 heures, je reçois Caddy accompagnée de Delphie Namuto sa collègue journaliste de Radio Okapi. Nous nous asseyons au studio de montage et après avoir échangé quelques blagues, Delphie me donne son téléphone en me demandant de lire le message qui s’y trouvait.



Je prends le téléphone et je tombe sur un message en langue swahili qui dit ceci: "comme vous avez pris l’habitude de vous mêler des choses qui ne vous regardent pas, pensant que vous êtes des intouchables, nous allons vous toucher. Nous avons déjà reçu l’autorisation de commencer par Caddy, puis Kamuntu, puis Kintu Namuto,…une balle dans la tête"



Je prend d’abord cela comme une blague et je dis à mes amis: "beaucoup de confrères surtout ceux qui font des débats politiques reçoivent aussi des messages les menaçant mais ils ne paniquent pas".



Mais Caddy répond d’un air sérieux, "Jolly, moi-même je n’ai jamais cru à ce genre de message mais ce qui me fait peur est que le week-end dernier j’ai reçu trois appels anonymes d’un certain Lucifer qui me menaçait de mort. Et apparemment j’étais surveillée car je me trouvait dans un restaurant avec deux collègues journalistes Espagnoles et….Lucifer m’a dit qu’il me voyait entrain de manger avec deux blancs."



A ces propos de Caddy, un froid envahit tout mon corps et mon cœur se met à battre trois fois plus vite que d’habitude. Je suis enceinte de huit mois et j’ai l’impression que je vais accoucher d’un moment à l’autre.



Delphie me regarde et demande si j’ai déjà reçu un appel ou un message de la sorte. "Aucun", lui dis-je. Je prends alors un morceau de papier et je copie le message ainsi que le numéro qui l’a envoyé.



Je cesse de travailler et dis à mes consoeurs que je vais informer ma hiérarchie.



Nous nous levons toutes trois et à la porte nous croisons Chouchou Namegabe, coordinatrice de l’Association des femmes des médias du Sud Kivu, AFEM à qui nous racontons l’histoire.



Elle garde son calme mais déclare: "c’est grave, je me rappelle que quelqu’un a dit dans la foule le jour de l’enterrement du journaliste Koko Bruno (assassiné en août 2009) que [c’était maintenant au tour] des femmes journalistes de mourir. Je n’ai pas retenu son visage".



Aucune d’entre nous ne sait pourquoi nous sommes visées ni par qui. Mes deux collègues travaillent pour la MONUC, la Mission des Nations unies en RDC, et en tant que journaliste de radio, j’ai été concernée par la question de la violence sexuelle contre les femmes.



Je suis aussi présidente de l’Association des femmes des médias du Sud Kivu, qui lutte contre la violence sexuelle contre les femmes depuis 2006 et j’ai récemment gagné un prix du Programme des Nations Unies pour le développement suite à mon reportage sur la question.



Il semblerait que ceux qui détestent la presse ont décidé de concentrer leurs attaques sur les journalistes femmes.



Mon mari est en mission de service à Minembwe à plus de 200 kilomètres de Bukavu, je me rappelle que je suis seule à la maison avec mes deux petites filles et je tremble encore plus.



Quand je montre le message et que je raconte l’histoire à mon directeur, il ne cache pas son étonnement "il n’y a pas de petite menace dans cette ville", dit-il.



Il alerte donc les corporations de journalistes et les associations des droits de l’Homme au niveau tant national qu’international et me conseille de porter plainte immédiatement contre l’inconnu qui m’a envoyé le message (en droit congolais, même si l’auteur d’un crime n’est pas connu, une plainte peut quand même être déposée auprès du Procureur).



La nouvelle se répand vite. Le lendemain, jeudi 9 septembre, je reçois des appels de toutes parts et les gens me disent avoir suivi l’information sur Radio Okapi, Digital Congo et sur RFI.



Le même jour, Journaliste en Danger, JED qui lutte pour la liberté d’expression en RDC annonce l’organisation le même jeudi d’une conférence de presse à Kinshasa afin de dénoncer cette nouvelle pratique qui vise les journalistes critiques.



Entre temps, ma plainte est rédigée et adressée à l’auditorat supérieur militaire du Sud Kivu avec copie aux différentes autorités, y compris le gouverneur, le procureur, et le commandant militaire.



Quelques mesures de sécurité sont prises par ma Radio avec son partenaire La Benevolencija. La Monuc, la Mission des Nations Unies au Congo, s’implique aussi à travers sa section des droits de l’Homme. Ils décident de nous déplacer dans un autre endroit pendant quelques temps. Vu que je ne peux pas me déplacer en avion dans mon état actuel de grossesse, je reçois une protection à domicile.



Je viens d’être auditionnée par un magistrat militaire et les autorités provinciales me rassurent sur l’évolution de la poursuite des enquêtes pour mettre la main sur l’auteur de ces menaces de mort.



Mon mari vient de rentrer à la maison après un mois d’absence et je me sens de plus en plus équilibrée bien que de temps à autre je pense vivre dans un couloir de la mort sans savoir qui m’en veut exactement.



Note



Le Comité de protection des journalistes, CPJ, a attiré l’attention sur le meurtre de trois journalistes à Bukavu, la capitale du Sud Kivu, depuis 2007. La dernière victime, le présentateur de radio Bruno Koko Chirambiza, a été poignardée à mort à Bukavu en août dernier mais rien ne lui a été volé, et il n’existait pas de motif évident, selon le comité.



"Bukavu est devenue l’une des villes les plus dangereuses pour les journalistes en Afrique. Les autorités congolaises ont failli à conduire des enquêtes détaillées au sujet des meurtres des employés des médias, et cela a enhardi les meurtriers de journalistes," a déclaré Tom Rhodes, le coordinateur du CPJ pour l’Afrique dans une allocution.



L’organisation en a appelé aux autorités congolaises pour mettre fin à ce qu’elle a appelé une habitude inquiétante d’impunité face aux meurtres de journalistes.
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