Un chef de milice détenu sans procès

Le procès arrêté d’un chef de milice souligne les lacunes judiciaires.

Un chef de milice détenu sans procès

Le procès arrêté d’un chef de milice souligne les lacunes judiciaires.

Friday, 28 August, 2009
Un manque de volonté politique, associé à un système judiciaire financièrement handicapé, ont eu pour conséquence qu’un chef de milice de la province du Katanga en République démocratique du Congo, RDC, a passé les cinq dernières années en prison sans avoir été jugé, comme l’indiquent des observateurs.



Jean Ngwena – plus communément connu sous le nom Swahili de “Tshinja Tshinja”, qui signifie “égorgeur” – a été arrêté le 8 avril 2005, alors qu’il essayait de négocier sa reddition.



Ngwena, qui commandait un groupe de milice Mai Mai estimé à quelques 500 soldats, a déclaré qu’il voulait être fait général au sein de l’armée nationale. Les Mai Mai sont des groupes de milice locaux, dont un grand nombre ont soutenu et été eux-mêmes soutenus par le gouvernement du Congo pendant les cinq années de la guerre civile de 1998 à 2003.



Un grand nombre des autres combattants Mai Mai ont déjà été intégrés dans les forces armées, en échange de leur soutien. Les groupes de défense des droits de l’Homme ont lutté contre les tentatives visant à intégrer les chefs de milice à l’armée, indiquant qu’ils devaient être traduits en justice au lieu de cela.



Ngwena aurait bénéficié d’un soutien politique moindre de la part du gouvernement par rapport aux autres chefs de milice.



Au cours des négociations de paix et de désarmement qui ont suivi la guerre, il avait d’abord refusé de déposer ses armes et se serait tourné vers le banditisme au lieu de cela.



Ngwena est accusé de terrorisme et de crimes contre l’humanité en droit militaire congolais. Il devrait donc être traduit devant un tribunal militaire, en dépit du fait qu’il n était pas soldat au sein des forces armées.



Selon la mission des Nations Unies en République démocratique du Congo, MONUC, la nature exacte des accusations contre Ngwena reste floue.



Il semblerait cependant qu’elles portent sur des attaques commises en février 2004 dans les environs de Kabongo dans la province du Katanga, lorsque Ngwena avait affronté un groupe Mai Mai rival.



Un nombre estimé à 30 civils auraient été tués lors de ces affrontements. Des cas de violence sexuelle, y compris de viols collectifs, avaient aussi été relatés.



La détention de Ngwena est en contraste flagrant par rapport à l’arrestation et à la poursuite du chef de milice Mai Mai Gédéon Kyungu Mutanga, reconnu coupable de crimes contre l’humanité le 5 mars dernier, suite à un procès de 19 mois.



A l’époque, les groupes de défenses des droits de l’Homme avaient applaudi le déroulement du procès, bien qu’ils aient critiqué la décision d’imposer la peine de mort.



Le gouvernement affirme que des mesures sont prises pour traduire Ngwena en justice, mais la MONUC soutient que l’affaire est aujourd’hui en réalité suspendue, sans qu’aucune indication claire ne permette de dire quand une date pourra être déterminée pour le procès.



Une source au sein de l’ONU a indiqué à l’IWPR qu’il n’y avait pas de volonté politique réelle de faire avancer ce procès. Il a suggéré que le système juridique manquait tellement de ressources que d’autres affaires étaient traitées en priorité et que la poursuite du procès de Ngwena n’est pas une priorité.



Cette même source a également critiqué l’inefficacité du système judiciaire congolais, qui a récemment été l’objet de vives critiques en raison de la corruption qui le ronge et de son manque critique de moyens.



Selon lui, il peut parfois s’agir d’une simple “question de chance” pour qu’une personne soit traduite en justice et que quelqu’un d’autre ne le soit pas.



En juillet dernier, le président de la RDC Joseph Kabila avait promis de nettoyer le système judiciaire du pays. Il avait commencé par renvoyer 165 juges – un geste immédiatement critiqué par la MONUC comme paralysant davantage un système judiciaire déjà débordé.



Mutanga avait été arrêté et détenu au Katanga, où nombre de ses crimes ont eu lieu, ce qui pourrait expliquer pourquoi le procès s’est déroulé de manière si efficace.



Ngwena, quant à lui, est détenu dans la prison de la capitale du pays, à Kinshasa. Ceux qui disent qu’ils sont victimes de ses crimes veulent qu’il soit traduit en justice au nord Katanga, où les atrocités présumées ont eu lieu.



Georges Kabongo, un villageois de la région, en veut beaucoup au gouvernement pour son inaction persistante.



Kabongo se remémore avec force le jour où la milice de Ngwena est venue dans son village, Malemba, prétendant capturer de jeunes hommes et des enfants pour les intégrer dans son groupe de milice, et fouettant toute personne qui protestait. De nombreuses femmes furent également violées, selon lui.



“Nos dirigeants devraient consacrer un budget considérable aux bureaux et aux juridictions militaires du Katanga qui traitent de crimes contre l’humanité, afin de leur permettre de mener des enquêtes méticuleuses et d’organiser des audiences aux endroits même où ces crimes ont été commis,” a insisté Kabongo.



Un manque de moyens a été avancé comme cause de l’échec du gouvernement à transférer Ngwena au Katanga.



Au début de l’année 2007, une rotation du personnel de justice militaire avait eu pour conséquence que le bureau du procureur militaire de Kamina, où Ngwena allait très probablement être amené s’il était transféré, fut laissé vide.



Le bureau du procureur militaire dans la ville voisine de Likasi avait temporairement assumé les responsabilités de Kamina, mais cela avait entraîné une surexploitation de ses capacités.



Un procureur de remplacement pour le bureau de Kamina vient juste d’être trouvé.



Les observateurs considèrent ces accrocs techniques comme symptomatiques des problèmes auquel le système judiciaire du pays a à faire face.



“Tout cela se passe dans un contexte structurel faible où même des détails mineurs peuvent devenir de véritables défis pour le système qui peuvent mettre des mois à être résolus, augmentant l’accumulation des affaires et les retards,” a déclaré une source au sein de l’ONU.



Jean Kabama, un porte-parole du gouvernement provincial, indique que des mesures préliminaires sont actuellement prises pour que Ngwena puisse être jugé au Katanga, mais aucune date précise n’a été communiquée pour le transfert.



Kabama défend le rôle du gouvernement dans l’affaire Ngwena.



"Rappelez-vous que la première mission du gouvernement de Kabila est d’établir la paix en RDC,” a déclaré Kabama. “En arrêtant Tshinja Tshinja, le gouvernement a fait son travail et c’est à la justice de jouer son rôle. Tshinja Tshinja est en prison à Kinshasa et il y a la paix au Katanga, alors nous sommes satisfaits. Ce n’est pas le gouvernement qui devrait tenir un procès, c’est à la justice de prendre le relais.”



Selon la MONUC, les membres du groupe de milice de Ngwena ont été accusés de mutiler leurs victimes, de collectionner leurs organes sexuels, de boire leur sang et de tuer leurs bébés.



Ces crimes présumés ont pu avoir un certain lien avec des croyances mystiques, ou ils peuvent simplement être l’expression d’une stratégie de terreur.



“Nous avons été forcés à fuir Kabongo pour trouver refuge à Lubumbashi,” a déclaré Esther Kabedi, témoin de la violence. “Ce genre de personne doit aller en enfer, pas en prison.”



Héritier Maïla est un journaliste formé par l’IWPR. Blake Evans-Pritchard, Rédacteur Afrique auprès de l’IWPR a contribué à cet article.
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