Tempêtes sur les enfants mariés au Congo
Les habitants de Bukama en colère contre les magistrats qui enquêtent sur les unions illégales.
Plusieurs magistrats du territoire de Bukama, dans le sud est de la République démocratique du Congo, RDC, ont été attaqués par des foules en colère, après avoir jugé deux hommes impliqués dans le mariage de filles mineures, ce qui souligne les tensions entre les pratiques traditionnelles et l’État de droit.
Les habitants indiquent que le mariage d’enfants avec des hommes est courant à Bukama - mais suite à la création d’un bureau du parquet sur place en septembre dernier, les responsables ont commencé à enquêter sur de telles unions illégales et à procéder à des arrestations.
Les violences du mois dernier ont éclaté après que les deux hommes aient été emprisonnés pour avoir épousé respectivement une jeune fille de neuf ans et une autre de treize ans, des actes considérés comme des crimes de violence sexuelle conformément à une nouvelle loi congolaise, qui fixe l’âge du consentement à 18 ans.
Après le procès et la condamnation des deux maris à 20 ans de prison, trois magistrats impliqués dans l’affaire avaient été attaqués à leurs domiciles et vu leurs bureaux saccagés et incendiés par une foule en colère.
“Avec l’aide de la mission des [Nations unies] pour la stabilité au Congo, j’ai été emmené à l’hôpital Don Bosco à Lubumbashi pour recevoir les soins appropriés,” raconte Charles Kabozia, un magistrat de Bukama, s’exprimant depuis son lit d’hôpital, son visage et son dos marqués par des blessures.
“Dans ce pays on n’aime pas les gens honnêtes. J’ai été tabassé uniquement parce que j’ai fait mon travail correctement. Ces vandales ont même détruit le parquet de Bukama.”
La maison de Kabozia a également été incendiée par la foule en colère. Jusqu'à présent, aucune arrestation n’a eu lieu en lien avec les attaques.
“Comment peut-on agresser ceux qui disent la loi?” interroge Esabe Kamulete, Procureur général près la Cour d’appel du Katanga.
“Nous devons éradiquer avec rigueur les cas de violence sexuelle dans ce pays. Nous n’allons pas reculer face à l’intimidation. Nous allons tout faire avec l’aide de la police pour déployer une équipe spéciale et descendre à Bukama avec le concours des autorités politico-administratives de la province pour que l’on puisse rechercher ces criminels, procéder à leur arrestation et les traduire devant les juridictions de jugement.”
Pour Mireille Kilufya, du centre pour l’intégration sociale des femmes abandonnées, une ONG qui milite pour les droits des femmes, les magistrats de Bukama auraient du être mieux soutenus par police et du gouvernement local, à la fois pour faire connaître cette nouvelle loi et la faire appliquer.
“Étant donné la manière dont les choses se sont passées, on peut dire qu’il y a eu une certaine passivité des forces de police et des autorités administratives qui n’ont pas aidé les magistrats,” a déclaré Kilufya.
“C’est ici l’occasion d’encourager les magistrats et tous ceux qui sont en charge de l’application de la loi à continuer à travailler pour [elle], et d’expliquer à la population la nouvelle loi sur la violence sexuelle, étant donné qu’elle est compliquée et pas connue de tous. Il y a des mentalités qu’il faut vraiment changer, surtout dans les coins reculés.”
Kabozia explique que les habitants sont totalement opposés à ce que les auteurs de violence sexuelle soient arrêtés.
“Pour les habitants de Bukama, se marier à une fille de 13 ans est normal étant donné que cela a toujours été fait,” déclare-t-il. “La population ne comprend pas comment et pourquoi cela peut être une violation de la loi. Et cette pratique fait partie de leur tradition.”
Matthieu Monga, originaire de Bukama et qui vit désormais à Lubumbashi, a une opinion révélatrice des réactions locales sur la question.
“Je ne vois rien de mal pour ce genre de mariage. Où est le problème si quelqu’un épouse une fille de moins de 18 ans? Nous avons nos traditions que nous ne devons pas perdre. “
“De nous jours, on veut tout dramatiser. Nos grands-parents épousaient des filles des 13, 14 ou 15 et elles mettaient au monde sans problème. Pourquoi veut-on en faire un problème aujourd’hui? Ma mère a 60 ans, elle m’a dit que mon père l’avait épousée quand elle avait 15 ans. Nous sommes 12 à être nés de cette union.”
Pour Guy Kalunga, un commerçant de Bukama qui vient vendre sa marchandise à Lubumbashi, l’échec des autorités à informer le public au sujet des lois est au cœur du problème.
“Il s’agit d’un problème d’information,” explique-t-il. “La publicité des lois n’est pas faite dans la province du Katanga. La population de Bukama n’est pas informée au sujet de la loi sur la violence sexuelle. Dans cette région, il est normal d’épouser une fille de moins de 18 ans.”
Héritier Maila est un reporter formé par l’IWPR à Lubumbashi.