Retour dans les rangs de l'armée pour les anciens enfants soldats en RDC
Les jeunes qui ont du mal à se réadapter à la vie civile ne voient pas d’autre option que de retourner se battre.
Retour dans les rangs de l'armée pour les anciens enfants soldats en RDC
Les jeunes qui ont du mal à se réadapter à la vie civile ne voient pas d’autre option que de retourner se battre.
Le manque de soutien de la communauté et les discriminations persistantes sont pointées du doigt comme causes à la nouvelle vague de recrutement d’ancien enfants soldats par l’armée et les milices dans le territoire de Masisi, dans l’est de la République démocratique du Congo, RDC.
Les anciens enfants soldats sont une cible privilégiée à Kitchanga, à quelques 80 kilomètres au nord-ouest de Goma, ancien bastion du Congrès national pour la défense du peuple, CNDP, un groupe rebelle désormais officiellement intégré aux forces armées.
Les observateurs indiquent qu’un des facteurs derrière ce phénomène est la frustration que beaucoup d’anciens soldats du CNDP ressentent par rapport aux grades qui leur ont été attribués dans le cadre de leur incorporation dans l’armée nationale.
Depuis janvier 2009, époque à laquelle l’armée nationale avait signé un accord de paix avec le CNDP, les anciens soldats rebelles se sont vu offrir des postes au sein des Forces armées de la République démocratique du Congo, FARDC, l’armée nationale, mais souvent d’un grade moindre que celui qu’il occupaient précédemment.
Le gouvernement prétend qu’une telle dégradation est justifiée en raison du fait qu’une grande partie des grades militaires existants avaient été obtenus sans formation officielle.
D’anciens commandants rebelles pensant que leur autorité a été réduite seraient en train de recruter des enfants soldats pour renforcer leur influence au sein des unités de l’armée et se protéger en cas d’échec du processus de paix.
“Il est possible que les anciens commandants du CNDP au sein des FARDC continuent à recruter des enfants soldats dans leurs propres unités afin de renforcer leur position dans le cas d’un retour du conflit,” a déclaré Isabelle Guitard, chercheuse auprès de l’ONG, Coalition pour stopper l’utilisation d’enfants soldats.
Les unités de milices veulent aussi mettre la main sur d’anciens enfants soldats en raison de leur expérience préalable au combat.
L’armée nationale ainsi que d’autres groupes armés ont longtemps utilisé les enfants soldats dans les diverses guerres en RDC. Grâce aux efforts internationaux mis en œuvre ces dernières années, des milliers d’enfants soldats ont été démobilisés et réintégrés à la communauté.
Mais selon la Coalition pour stopper l’utilisation d’enfants soldats, près de 7 000 enfants serviraient actuellement au sein de l’armée nationale et des groupes de milices.
Ceux qui ont réussi à partir sont confrontés à la discrimination de la part de leurs familles et amis, ce qui facilite un nouveau recrutement par l’armée et les commandants de milice.
“Nos parents nous considèrent comme des barbares et des voleurs,” explique Kalondji, un ancien enfant soldat qui vit aujourd’hui à Goma.
Alphonsine Kahindo, mère d’un ancien enfant soldat de Mabanga au sud de Goma, a expliqué combien il était difficile pour les enfants habitués à se battre de se réadapter à la vie civile.
“Depuis que mon enfant est sorti de l’armée il n’entend pas,” raconte-t-elle. “Il est devenu ivrogne. Il ne veut pas aller travailler. Il sort le matin étant bien mais rentre toujours ivre. J’ai tout fait pour lui mais il ne veut pas changer. Je lui ai donné de l’argent pour faire le commerce de poisson à Vitchumbi mais il a tout terminé dans la boisson.”
Mwisha Kitsa, un commerçant local qui possède un magasin de vêtements dans le centre de Goma, a expliqué à l’IWPR que de nombreuses personnes dans la communauté sont méfiantes vis-à-vis des enfants soldats.
“Les enfants soldats sont des enfants normaux lorsqu’ils sont encore dans la famille, mais quand ils quittent la maison des parents pour l’armée, ils rentrent complètement changés avec un comportement bizarre quand ils reviennent dans leur familles“, déclare-t-il. Je les considère comme des « Maibobo » (enfants de la rue), dangereux, bandits. Je ne peux pas les engager car il peuvent fuir avec mes biens.”
Il conclut par un adage en swahili qui signifie “si une poule domestique va dans la forêt, elle devient directement sauvage.”
En ce qui les concerne, les enfants ayant servi comme soldats indiquent qu’ils se sentent souvent abandonnés et négligés quand ils cessent de faire partie de la vie militaire à laquelle ils se sont habitués.
“Je vis avec ma famille, mais ils ne me font pas confiance. Ils me traitent comme si j’étais un barbare. Mais ce n’est pas seulement ma famille. Les gens ne nous font pas confiance parce qu’ils considèrent les enfants qui ont rejoint l’armée comme des gens indisciplinés,” explique Kalondji.
“Parfois, quand je vais chercher un travail, les gens me disent qu’ils ne peuvent pas engager un ancien soldat parce que nous sommes des voleurs. Au lieu de souffrir comme cela, parmi les civils, je préfère retourner dans l’armée.”
Kalondji a déclaré qu’alors qu’il servait comme enfant soldat, il avait été touché par un tir et blessé à la jambe, ce qui rend les choses encore plus difficiles pour lui de trouver un travail et de subvenir à ses besoins.
Pour éviter que les enfants soldats démobilisés rejoignent les groupes militaires, des centres de transit et d’orientation ont été mis en place pour apporter un soutien à ceux qui ont des difficultés à s’adapter à la vie civile.
Ndikumani Célestin, qui dirige un de ces centres à Goma, a parlé de l’importance du fait de réhabiliter les enfants soldats.
"Notre centre est un point de transit pour préparer le retour de ces enfants dans leurs familles respectives,” a-t-il dit. “C’est un centre de conseil qui les aide à s’adapter à la vie quotidienne. Nous essayons de leur faire comprendre que l’armée n’est pas un endroit pour eux et leur apprendre la manière dont ils doivent se comporter quand ils sont dans leurs familles.”
Célestin a expliqué qu’en général, un enfant reste dans le centre de deux jours à trois mois, avant d’être renvoyé dans sa communauté, en fonction de sa situation.
Mais il a admis que parfois, dans les cas où la sécurité d’anciens enfants soldats pourrait être menacée s’ils rentraient chez eux, la durée du séjour peut être encore plus longue.
“Les enfants peuvent parfois rester un an ou un an et demi, et c’est là que nous avons un problème,” a-t-il dit.
Les enfants obligés de rester dans le centre pour des périodes prolongées disent qu’ils sont frustrés de ne pas pouvoir commencer à construire leur propre futur.
Adellard Kasereka, originaire de Kibirizi, à quelques 200 km au nord de Goma, a indiqué qu’il avait été obligé à se battre dans un groupe de milice Mai Mai. Une fois démobilisé en 2009, la Mission des Nations unies au Congo, MONUSCO, l’avait amené à Goma.
“Ici, je ne fais que manger, lessiver les habits et apprendre la danse Ntore qui est une danse traditionnelle rwandaise. Nous sommes comme des prisonniers. Pourquoi ils nous enferment ici dans ce centre? Je veux qu’on me fasse rentrer chez nous à Kibirizi.”
Erick Nzaisenga, originaire du Burundi voisin, a une opinion similaire. Il s’est battu pour le CNDP à Katale, à quelques 100 km à l’extérieur de Goma, avant d’être amené au centre de transit de Goma avec l’aide du Comité international de la Croix rouge, CICR.
“J’ai découvert que beaucoup de mes proches étaient morts,” raconte-t-il. “Je n’ai pas de famille à Goma. Le CICR dit qu’ils veulent me renvoyer au Burundi, où j’ai encore un frère, mais je ne sais pas quand cela va se passer. On nous apprend à dessiner, à danser le Ntore, et comment nous comporter quand nous allons rentrer chez nous. Je ne peux pas retourner dans l’armée car je n’aimais pas l’armée mais on m’avait pris par force. J’aimerais qu’on m’amène chez moi vite car ici je souffre et j’ai envie de voir ma famille.”
Les observateurs indiquent que la réintégration d’ancien enfants soldats est fondamentale pour les garder éloignés de l’armée et, pour sa part, l’armée congolaise affirme prendre la question des enfants soldats au sérieux.
Le lieutenant Gratien Nshagali, de la 8ème région militaire de Goma, en charge de la démobilisation et de la réintégration, reconnaît qu’il y a toujours un problème, en particulier en dehors de la ville.
Nshagali a expliqué que l’enrôlement d’enfants soldats avait repris après que d’anciens miliciens intégrés à l’armé eurent appris qu’ils avaient été dégradés.
“[Ils] se sont sentis insatisfaits, et ont exprimé cela en recrutant des enfants soldats. Cette situation devient de plus en plus compliquée. Même si les gens sont préoccupés, ils ne savent pas quoi faire. Les enfants sont utilisés comme des poupées parce qu’ils sont si vulnérables,” a-t-il dit.
Muhima, en charge de la morale et de la discipline au sein de la 8ème région militaire, a déclaré que l’armée renforce ses efforts pour restreindre l’utilisation d’enfants soldats en son sein.
“Etant donné que la situation des enfants soldats et leur réintégration devient plus visible, les mécanismes visant à éradiquer cette pratique de l’utilisation d’enfants soldats sont en train d’être examinés,” a-t-il dit.
Erick Kenzo est un journaliste formé par l’IWPR.