Ocampo déçoit dans un procès historique

Par Lisa Clifford, chef du projet Justice internationale/ICC.

Ocampo déçoit dans un procès historique

Par Lisa Clifford, chef du projet Justice internationale/ICC.

Thursday, 29 January, 2009
IWPR

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Institute for War & Peace Reporting

Il était évident que la première journée du premier procès de cette Cour qui a promis la justice pour les Africains allait être quelque chose de très important. Sans grande surprise donc, les attentes étaient élevées lorsque Luis Moreno-Ocampo, Procureur de la Cour pénale internationale, CPI, s’est levé pour faire sa déclaration liminaire le 26 janvier. Après tout, le Procureur de la première cour pénale mondiale permanente a eu près de trois ans pour préparer son affaire contre le Congolais Thomas Lubanga.



Mais, dépourvu de toute ardeur ou passion, le Procureur ne semblait pas vraiment valoir la peine de cette longue attente.



De la galerie du public, on avait l’impression d’assister à n’importe quel lundi matin de Moreno-Ocampo. Un observateur a suggéré qu’il avait l’air d’un étudiant qui ne s’était pas bien préparé pour son examen final, quelqu’un qui était intervenu à la dernière minute. Ses remarques n’ont rien transmis de l’histoire en train d’être écrite dans la salle d’audience n° 1, ni de la nature capitale de cette occasion et du procès lui-même. Sa première phrase fut, “l'Accusation présente des éléments de preuve prouvant au-delà de tout doute raisonnable que Thomas Lubanga Dyilo a commis des crimes relevant du Statut de Rome.”



Il donnait l’impression d’être occupé à envoyer un message depuis son téléphone portable lorsque Catherine Mabille, l’avocate de Lubanga, a répondu “non coupable” au nom de son client. Il n’est pas revenu dans la salle au deuxième jour du procès pour assister à la déclaration liminaire de la Défense et sa réponse aux charges. Mabille n’a pas été impressionnée et l’a fait savoir.



Ces charges visent le recrutement d’enfants soldats pour les faire combattre dans le conflit en Ituri mais lorsque l’on écoute la déclaration liminaire de Moreno-Ocampo, on pourrait pardonner à toute personne de ressortir confuse de cet exposé. Bien que Lubanga n’ait pas été inculpé pour des crimes de violence sexuelle, les histoires d’esclavage sexuel et de viol commis contre des jeunes filles ont été bien mises en évidence. “[Dès] que la poitrine des filles commençait à se développer, les commandants de Lubanga les sélectionnaient comme étant leurs épouses forcées […] il s'agissait d'esclaves sexuelles ” a-t-il dit.



Moreno-Ocampo a indiqué qu’il relevait de sa “mission” de montrer que Lubanga était pénalement responsable pour les “atrocités commises contre ces jeunes filles soldats”.



Le fait que Lubanga n’ait pas été accusé pour les crimes de violence sexuelle a toujours été controversé et en écoutant Moreno-Ocampo, il était difficile de ne pas penser que le Procureur lui-même avait réalisé qu’il avait fait une grave erreur en n’ajoutant pas le viol à la liste des chefs d’inculpation.



Les avocats des victimes ont repris là où Moreno-Ocampo s’était arrêté, insistant également sur le viol des filles soldats kidnappées. Mabille a protesté, indiquant que le viol ne figurait pas dans l’acte d’accusation contre Lubanga.



Il s’agit là d’une remarque très pertinente. Que des viols brutaux aient été commis au cours du conflit en Ituri est indéniable, mais il semble déraisonnable pour le Procureur – soutenu par une armée d’avocats de victimes qui ressemblent à des mini-Procureurs – de s’attendre à ce que Lubanga réponde à des accusations qui n’ont jamais été portées contre lui.



Mabille et son collègue de la défense Jean-Marie Biju-Duval étaient fermes et clairs dans leurs présentations liminaires.



Lubanga a été décrit comme un bouc émissaire poursuivi à la place d’autres personnes bien plus coupables, en particulier des responsables gouvernementaux rwandais, ougandais et congolais. “ La CPI ne peut pas poursuivre tous les suspects, mais devrait résister à la tentation de condamner Lubanga à la place des absents,” a indiqué Biju-Duval.



Dans l’affaire Lubanga, la Défense a été très convaincante. Moreno-Ocampo ne l’a pas été. Il a laissé l’impression accablante qu’il n’avait pas seulement énoncé les mauvais chefs d’inculpation, mais également visé la mauvaise personne – un petit poisson dans une mer de requins.



Quelle fâcheuse manière de débuter une semaine si importante pour le développement futur de la justice internationale et les espoirs de tant de Congolais.



Les Congolais ont d’ailleurs brillé par leur absence cette semaine. Ceux qui suivent le travail de la Cour s’attendaient à une présence massive de leur part le premier jour. Après tout, une audience ayant eu lieu plus tôt au mois de janvier pour confirmer les charges contre l’ancien vice-président du pays, Jean-Pierre Bemba, un autre inculpé de la CPI, avait été suivie sur place par une foule de sympathisants et de détracteurs, nombre d’entre eux étant venus de Belgique. Leur absence cette semaine suggère que les retards interminables dans cette affaire et le temps très important qu'il aura fallu pour que le procès de Lubanga commence – près de trois ans – ont entraîné une perte d’intérêt de leur part.



Pire encore, auraient-ils perdu foi en la CPI ?



La date prévue pour le début du procès de Lubanga avait été reportée de nombreuses fois pour diverses raisons – nombre d’entre elles étant liées à la protection des victimes et témoins. L’année dernière, un grave faux-pas de l’Accusation avait presque fait complètement capoter le procès, forçant les juges à suspendre la procédure.



C’est le juge Adrian Fulford qui avait suspendu l’affaire en juin, suggérant que les erreurs de la part de l’Accusation signifiaient que Lubanga ne pouvait pas bénéficier d’un procès équitable. Mabille a soulevé la même question cette semaine encore, citant de nombreuses audiences préliminaires desquelles la Défense avait été exclue, des éléments de preuves restés confidentiels et un déséquilibre dans les ressources.



Une fois encore, il semblerait qu’il s’agisse là d’une remarque pertinente.



Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de.
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