Nkunda confronté à un dilemme avec la CPI

Le chef rebelle pourrait vouloir remettre un de ses commandants à la Cour mais risquerait d’avoir à affronter une certaine résistance de ses troupes.

Nkunda confronté à un dilemme avec la CPI

Le chef rebelle pourrait vouloir remettre un de ses commandants à la Cour mais risquerait d’avoir à affronter une certaine résistance de ses troupes.

Le chef de milice Congolais Laurent Nkunda pourrait avoir à affronter une crise dans les rangs de sa force rebelle, suite à l’annonce cette semaine par la Cour pénale internationale, CPI, d’un nouveau mandat d’arrêt contre son commandant en second.



Des groupes de défense des droits de l’homme ont appelé Nkunda à immédiatement remettre Bosco Ntaganda – chef d’État major de sa milice, le Congrès National Pour la Défense du Peuple, CNDP, qui opère dans la province orientale du Nord Kivu, au Congo.



Mais un diplomate ayant aidé à négocier l’accord de paix de Goma et qui est en contact régulier avec Nkunda indique que le général est dans une position difficile.



Roeland van de Geer, le Représentant spécial de l’Union européenne pour la région des Grands lacs, a déclaré que, quand bien même Nkunda voudrait livrer Ntaganda, il aurait à faire face à une certaine résistance au sein du CNDP, dans la mesure où certains membres restent fidèles à ce dernier.



“Nkunda va réaliser que s’il remet son numéro deux, cela va constituer un précédent important. Il gagnerait un haut niveau de moralité, mais la question qu’il faut se poser est de savoir s’il est soutenu” déclare van de Geer, qui, aux côtés d’envoyés de l’Union africaine, des Etats-Unis et des Nations Unies a joué un rôle crucial pour atteindre l’accord de Goma en janvier.



Il décrit Nkunda comme un homme très rationnel qui comprend que les personnes accusées de crimes de guerre vont devoir faire face à la justice nationale et internationale. Van de Geer a déclaré que Nkunda et Ntaganda avaient connaissance du mandat d’arrêt depuis des mois et a indiqué qu’il en avait parlé avec le général rebelle.



Le 29 avril dernier, la Cour basée à La Haye avait levé les scellés sur le mandat d’arrêt pour cet homme, âgé de 35 ans, connu sous le nom de “Terminator“. Le mandat avait été émis en août 2006 mais tenu secret jusqu’alors.



La CPI accuse Ntaganda de crimes commis dans le district de l’Ituri, à l’est du Congo. Les Procureurs indiquent qu’il aurait enrôlé et conscrit des enfants de moins de 15 ans au sein des Forces Patriotiques Pour la Libération du Congo, FPLC, en 2002 et 2003.



Les FPLC, au sein desquelles Ntaganda était un élément clef, constituent l’aile militaire de l’Union des Patriotes Congolais, UPC de Thomas Lubanga Dyilo. Lubanga est actuellement détenu à la CPI et son procès devrait commencer en juin. Il a été récemment rejoint au centre de détention de la CPI à La Haye par deux autres chefs de milices d’Ituri – Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui.



Ntaganda est un ressortissant rwandais qui s’est battu avec l’Armée patriotique rwandaise, qui avait renversé le gouvernement après le génocide de 1994.



Il est également recherché par les autorités congolaises qui ont émis un mandat d’arrêt à son encontre en avril 2005. Le Parquet de Bunia accuse Ntaganda de crimes qui comprennent l’arrestation arbitraire, la torture, l’assassinat et la détention illégale.



Elles indiquent qu’il fut impliqué dans le meurtre d’un casque bleu kenyan et l’enlèvement d’un casque bleu marocain en 2004. Il fut également impliqué dans le meurtre de deux travailleurs humanitaires en 2005 et de nombreuses attaques sur des villages d’Ituri.



Human Rights Watch indique que les troupes sous le commandement de Ntaganda ont tué des civils des groupes ethniques Lendu et Ngiti dans le village de Songolo en 2002 et attaqué la ville minière d’or de Mongbwalu où 800 civils avaient péri.



Il fut brièvement incarcéré à Kinshasa en 2002 mais relâché aux côtés de huit autres en échange du ministre des droits de l’homme de l’époque, Ntumba Luaba, retenu prisonnier par le chef de milice d’Ituri, Chef Kahwa Mandro.



“Ntaganda est réputé pour avoir infligé des souffrances insupportables aux civils de l’est du Congo,” indique Anneke Van Woudenberg, chercheuse sur la RDC à la section Afrique de HRW. “La CPI devrait l’inculper pour l’ensemble des crimes dont il est responsable, ce qui permettrait à ses victimes d’obtenir la justice qu’elles cherchent désespérément à obtenir.”



Il avait finalement quitté l’Ituri en 2006 et s’était mis en chemin vers le Nord Kivu pour rejoindre Nkunda.



Van Woudenberg a indiqué à l’IWPR qu’il avait continué à y commettre des crimes. “Il s’agit d’un homme avec de sérieux antécédents de violations des droits de l’homme,” a-t-elle indiqué. “Aucun élément ne permet de croire qu’il aurait modifié sa manière d’agir“.



“Il revient désormais à Laurent Nkunda de remettre Bosco Ntaganda aux responsables de la CPI. Nkunda ne peut pas dire ‘cela ne s’est pas produit quand il était avec moi. Ça s’est passé avant’. Ça ne compte pas. Nkunda, en tant que chef du groupe, a le devoir de s’assurer qu’il soit remis“.



“C’est un vrai test pour lui. Le moment est venu de traduire son engagement proclamé pour les droits de l’homme par des actes.”



Mais un porte-parole de Nkunda a indiqué à l’IWPR que c’est à Ntaganda – et non pas au général – de décider ce qu’il devrait faire. “Il est libre de prendre sa propre décision,” a indiqué René Abandi. “Il peut répondre ou ne pas répondre [à la CPI].



Les commentateurs sont divisés quant à la manière d’agir si Nkunda ne parvient pas à organiser le transfert de son lieutenant vers la CPI.



Bukeni Waruzi, le directeur du programme Afrique à l’ONG Witness, doute que Nkunda remette son commandant en second dans la mesure où cela pourrait augmenter ses propres chances d’être poursuivi par la CPI. Il pense qu’il revient donc à la Mission des Nations Unies pour le Congo, MONUC, de dénicher le fugitif.



“Avec des négociations, cela va prendre des années”, indique Waruzi. “Un des devoirs de la MONUC est d’arrêter les suspects des crimes de guerre. La MONUC a les moyens de le faire mais ce n’est pas si facile“.



“Ils vont avoir besoin d’utiliser la force pour l’attraper, ce qui va causer la mort de civils. Cela représente un coût élevé auquel la MONUC doit bien réfléchir. Vous ne pouvez pas attraper un des principaux chefs aussi simplement qu’un soldat. Ils vont devoir ouvrir le feu, et cela va coûter des vies.”



D’autres préfèrent une solution politique et insistent sur le fait qu’une action militaire – que ce soit de la part de la MONUC ou de l’armée – ne fonctionnera pas. Van de Geer indique qu’une attaque contre Nkunda par l’ONU résulterait en une ”guerre de grande ampleur”. “La MONUC n’a pas la force militaire,” déclare-t-il. “Le CNDP dispose de 7 000 hommes qui sont prêts à y laisser leur vie.”



Il s’agit là d’une opinion partagée par Habibu Jean Bosco d’ACAT, l’ONG du Sud-Kivu contre la torture. “Le gouvernement n’a pas la capacité militaire de mettre la main sur Ntaganda,” indique-t-il. “La seule solution pour la mise en oeuvre de ce mandat d’arrêt est que le gouvernement négocie avec Ntaganda.”



Certains, à l’image de Van Woudenberg indiquent que la communauté internationale doit aussi s’impliquer. Van de Geer est d’accord qu’il est important de garder ouvertes les lignes de communication avec Nkunda– même s’il ne respecte pas la demande de livrer Ntaganda.



“Ne rejetons pas le dialogue qui a donné des résultats très concrets de par le passé,” indique-t-il. “Je suis déterminé à continuer les discussions avec Nkunda, même s’il ne coopère pas pleinement avec la CPI.”



Mais il s’agit là d’une option que la CPI aimerait éviter. Les suspects en Ouganda et au Soudan se promenant toujours en liberté, l’idée qu’un autre inculpé puisse échapper à la capture et aux poursuites est difficile à admettre, pour dire le moins.



L’IWPR a, à de nombreuses reprises, contacté la CPI pour obtenir des réactions, mais n’avait encore reçu aucune réponse au moment de la publication de cet article.



Ce rapport a été élaboré par Lisa Clifford et Katy Glassborow, reporters de justice internationale auprès de l’IWPR à La Haye, avec la collaboration de Jacques Kahorha et Taylor Toeka Kakala, journalistes de l’IWPR à Goma et d’Eugène Bakama Bope à Bruxelles.
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