Les victimes de Bogoro rejoignent enfin leur dernière demeure

Les villageois attendaient pour enterrer leurs proches assassinés pensant que la CPI pourrait avoir besoin des os comme éléments preuve contre les auteurs des crimes.

Les victimes de Bogoro rejoignent enfin leur dernière demeure

Les villageois attendaient pour enterrer leurs proches assassinés pensant que la CPI pourrait avoir besoin des os comme éléments preuve contre les auteurs des crimes.

Les villageois de Bogoro, situé dans la province nord-est de l’Ituri en République démocratique du Congo, RDC, se sont entendu dire qu’ils pouvaient finalement enterrer les restes des personnes décédées dans les massacres de 2003 ayant eu lieu dans la ville, étant donné qu’il est peu probable qu’ils soient nécessaires dans les procès de crimes de guerre à venir.



“La Cour ne mène plus d’enquêtes,” a déclaré Luis Moreno-Ocampo, Procureur de la Cour pénale internationale, CPI, lors d’une visite dans la région, le 10 juillet dernier.



Bogoro a souffert de terribles atrocités en février 2003, lorsque les miliciens ont tué et violé les civils, laissant certains d’entre eux emprisonnés dans une salle remplie de cadavres.



Les villageois présumaient que la CPI allait avoir besoin des restes des victimes comme preuve afin de traduire les auteurs des crimes en justice. Mais la CPI affirme qu’elle n’a jamais dit aux villageois de ne pas enterrer leurs morts.



Dans une déclaration à l’IWPR, le Bureau du Procureur, BdP, avait déclaré, “Lors des enquêtes, la population de Bogoro avait attiré notre attention sur la présence de sites où des os étaient à l’air libre. Nous leur sommes immensément reconnaissants pour leur soutien et leur dignité. Notre enquête est terminée. Tous les restes peuvent maintenant être enterrés.”



Jusqu’à présent, deux chefs rebelles – Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo – ont été inculpés en lien avec les attaques et devraient être jugés devant la CPI à La Haye à partir du 24 septembre.



Chacun d’entre eux est accusé de six chefs de crimes de guerre et de trois chefs de crimes contre l’humanité. Les chefs comprennent des accusations de meurtre, esclavage sexuel, utilisation d’enfants soldats et actes inhumains.



Samuel Mugeni Bahemuka, le Chef de Bogoro, a exprimé sa satisfaction par rapport aux récentes déclarations de Moreno-Ocampo.



“Des crânes et des os des villageois décédés s’étalent dans les champs,” a-t-il dit à l’IWPR. “Les gens sont contraints de les voir chaque jour et ce n’est pas vraiment une bonne chose.”



“Nous nous sentons toujours très mal quand nous voyons ces os,” explique Amos Tibantura, un habitant de Bogoro qui est hanté par la tragédie. “Quand nous les voyons, nous nous souvenons automatiquement de nos parents, frères et sœurs qui ont été massacrés ici.”



Kezia Mugeni, mère de neuf enfants, a ajouté que le fait de voir les os chaque jour n’était pas bon pour la santé psychologique des survivants.



“Parfois les survivants crient et se rappellent la vie meilleure qu’ils avaient quand leurs proches étaient encore vivants,” explique-t-elle. “Lorsqu’une personne meurt, elle doit être enterrée pour que les gens puissent passer à autre chose. Ce n’est pas le cas ici. Les os sont dehors exposés en permanence au soleil et à la pluie et nous nous imaginons que ceux qui ne sont pas enterrés sont nos proches qui nous ont abandonnés. Cela nous affecte beaucoup.”



Le conflit dans la province de l’Ituri au nord-est de la RDC est le résultat de rivalités historiques entre des groupes tribaux, et surtout les Lendu et les Hema.



Des combats particulièrement brutaux ayant eu lieu entre 1999 et 2003 auraient fait près de 50 000 victimes, selon les Nations Unies.



Le Front nationaliste et intégrationniste, FNI, et la Force de résistance patriotique de l’Ituri, FRPI, affirment combattre les Lendu. L’Union des patriotes congolais, UPC, est alignée sur les Hema.



La CPI indique que Katanga est accusé d’avoir mené le FRPI, alors que Ngudjolo aurait été à la tête du FNI. Le chef de milice rival Thomas Lubanga, dont le procès devant la CPI a commencé le 26 janvier dernier, est l’ancien chef de l’UPC.



“L’Ituri est devenu une nécropole,” explique Pilo Kamaragi, un porte-parole du groupe ethnique Hema en Ituri. “Le district est marqué par des massacres et des actes de cannibalisme. Depuis 1999, des milliers de gens ont été massacrés. Les fœtus ont été extraits des ventres de leurs mères. Les femmes ont été violées en groupe. Les auteurs coupaient les têtes de leurs victimes et paradaient avec au bout de lances dans les rues.”



Le BdP indique qu’il est “passé à une nouvelle phase d’enquête”, concentrant la plupart de ses efforts sur les provinces des Kivu plutôt que l’Ituri. Les réactions de Moreno-Ocampo pourraient donc être perçues par d’autres villages comme un signal pour enterrer eux aussi leurs morts.



Le BdP n’a pas complètement exclu de nouvelles enquêtes en Ituri. “Nous serons guidés par les exigences juridiques de la gravité et de l’admissibilité,” a déclaré le BdP dans un communiqué.



Jean Bosco Lalo, président de la Société civile à Bunia, la capitale régionale, maintient que les enquêtes de la CPI en Ituri n’ont pas été assez étendues.



“Tout l’accent a été mis sur Bogoro et Zumbe, mais le mal fait dans ces endroits est moindre que celui fait à Nyankunde, où les enquêtes n’ont pas encore eu lieu,” a-t-il indiqué à l’IWPR. “Je ne comprend pas pourquoi la CPI ne veut pas parler de ça.”



Nyankunde se trouve à quelques 20 kilomètres au sud-ouest de Bogoro. Selon les organisations des droits de l’Homme, en septembre 2002, les miliciens de l’ethnie Ngiti avaient lancé une attaque sur le village dans lequel des centaines d’hommes et de femmes de l’ethnie Bira furent tués.



Lalo indique que, comme à Bogoro, des os humains sont éparpillés à Nyankunde. Mais ils ne sont pas encore enterrés, au cas où ils seraient nécessaires à des enquêtes futures.



Malgré les inquiétudes locales, Moreno-Ocampo a déclaré aux villageois qu’il n’est pas prêt à commencer de nouvelles enquêtes en Ituri.



“Nous pouvons fournir plus d’informations sur les crimes commis avant 2002, mais nous ne pouvons pas les poursuivre,” a-t-il dit. “Nous ne pouvons pas poursuivre tous les crimes commis après 2002, bien que cela puisse être fait de différentes manières, comme au moyen d’une commission de vérité et réconciliation, de juges nationaux ou d’autres institutions.”



L’utilisation d’os pour apporter des preuves médico-légales dans les procès de crimes de guerre n’est pas un phénomène nouveau. En 1999, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie avait déployé une équipe d’enquêteurs médico-légaux au Kosovo pour ouvrir les charniers et déterminer s’il y avait eu un modèle répété lors des conflits des Balkan dans les années 1990.



“Les fractures sur les os peuvent apporter des preuves sur le moment où le meurtre a eu lieu, et la nature des blessures infligées,” a expliqué un expert médico-légal qui a préféré rester anonyme.



“Si les fractures sont toutes du même type, et qu’elles peuvent être attribuées à la même période, cela pourrait indiquer des meurtres généralisés. Si différents groupes d’os contiennent des dates différentes, cela peut suggérer que les massacres ont eu lieu à un certain nombre d’occasions.”



Même si les os sont inhumés, ils ne perdent pas nécessairement leur valeur médico-légale, s’ils devenaient nécessaires à l’avenir.



“Tout dépend de la manière dont ils sont enterrés,” a expliqué l’expert médico-légal. “Cela peut être influencé par la température du pays, la profondeur de la tombe et par le risque que des animaux les découvrent.”



Jacques Kahorha est un stagiaire de l’IWPR basé à Goma.
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