Les rebelles du M23 seront-ils ménagés par Kinshasa?

Les combattants insurgés dans l’est de la RDC se rendent compte qu’ils peuvent signer des accords de paix et rejoindre l’armée, puis déserter pour arracher des concessions plus importantes au gouvernement affaibli.

Les rebelles du M23 seront-ils ménagés par Kinshasa?

Les combattants insurgés dans l’est de la RDC se rendent compte qu’ils peuvent signer des accords de paix et rejoindre l’armée, puis déserter pour arracher des concessions plus importantes au gouvernement affaibli.

Congolese troops at an army base in Goma, North Kivu. (Photo: Mélanie Gouby)
Congolese troops at an army base in Goma, North Kivu. (Photo: Mélanie Gouby)
Thursday, 15 November, 2012

Alors que les rebelles opérant dans l’est de la République démocratique du Congo, RDC, menacent de lancer de nouvelles attaques, à moins que gouvernement n’accepte de négocier, les experts avertissent que Kinshasa ne peut pas se permettre de répéter son erreur passée, essayer de pacifier les groupes armés en les intégrant à l’armée nationale.


Depuis le mois d’avril, le groupe M23 sème la terreur dans la région du Nord Kivu, après une défection massive d’anciens combattants rebelles officiant au sein des forces armées congolaises, connues sous le nom de FARDC. Il s’est emparé de villes comme Ntamugenga, Rubare et Bunagana, provoquant le déplacement de quelques 300 000 civils.


Les troupes gouvernementales ont eu beaucoup de mal à contenir le groupe et, six mois plus tard, elles discutent avec des groupes paramilitaires locaux dans l’espoir de construire des alliances contre le M23.


A ce jour, le gouvernement de la RDC a publiquement refusé d’entrer dans des négociations avec le groupe M23. Mais des discussions informelles ont eu lieu en coulisses, et certains analystes pensent que le gouvernement pourrait être prêt à d’importantes concessions pour faire cesser les combats.


Si cela se produit, les observateurs pensent qu’offrir aux combattants rebelles le même accord qu’auparavant – intégration dans l’armée régulière – ne serait pas une bonne option, dans la mesure où cela n’aurait pour effet que de retarder plutôt que d’interrompre le cycle de la violence.


LES REBELLES EMERGENT COMME UNE FORCE IMPRESSIONANTE


Le M23 tient son nom d’un accord de mars 2009 en vertu duquel le Congrès national pour la défense du peuple, CNDP, un groupe dominé par les Tutsis au Nord Kivu ayant des liens très étroits avec le Rwanda, avait renoncé à sa force paramilitaire alors que son aile politique avait rejoint le courant principal. Deux ans plus tard, le CNDP avait soutenu le président en exercice Joseph Kabila, candidat à sa réélection, qui était sorti vainqueur des élections 2011. Les combattants du CNDP avaient alors été intégrés à l’armée nationale congolaise, et leur commandant, Bosco Ntaganda promu général.


Le M23 est apparu au printemps dernier lorsque Ntaganda a conduit nombre de ses hommes de l’ex-CNDP à quitter l’armée lors d’une mutinerie. Les causes étaient doubles – d’abord, les autorités de la RDC avaient tenté de briser les structures paramilitaires qui continuaient d’exister au sein de l’armée en déployant des commandants hors de leur zone d’action. Deuxièmement, le gouvernement était sous une pression accrue pour arrêter Ntaganda, qui faisait l’objet d’un acte d’accusation de la Cour pénale internationale de La Haye pour des chefs de meurtre, viol et conscription d’enfants soldats, des faits remontant à l’époque où il dirigeait une autre milice. (Voir aussi Un chef rebelle de RDC monopolise l’attention.)


Le fait de servir au sein de l’armée nationale a aidé les dirigeants du M23 à prendre le dessus depuis qu’ils sont redevenus des rebelles. Grâce à l’expérience qu’ils ont accumulée lors de leur service comme officiers des FARDC, ils savent comment l’armée pense et opère, et ils ont réussi à mettre en place un réseau de renseignement qui leur fournit des informations en temps réel sur les opérations militaires menées contre eux.

“Certains [éléments] d’information parviennent aux rebelles, ils sont au courant de nos opérations et de nos mouvements en raison de traîtres présents dans nos rangs,” a déclaré à l’IWPR un major au sein des FARDC s’exprimant sous couvert d’anonymat. “Même nos troupes les mieux entraînées n’ont aucune chance dans ce contexte.”


Six mois après le début de l’insurrection du M23, les deux parties semblent prêtes à explorer les possibilités d’une certaine forme d’accord de paix.
Les rebelles appuient leur offre par des menaces. Le chef politique du M23, Jean-Marie Runiga, a déclaré le mois dernier que “si le gouvernement ne vient pas à la table des négociations, il nous faudra nous défendre nous-mêmes".


Le gouvernement de la RDC a publiquement maintenu qu’il ne négociera pas avec le M23. Mais de discrets pourparlers indirects ont eu lieu, par l’entremise du gouvernement ougandais à Kampala.


"Le gouvernement congolais a contacté le M23 de manière informelle par l’intermédiaire du gouvernement ougandais, mais il n’est pas optimiste quant à un éventuel compromis,” a déclaré Jason Stearns, un analyste sur la RDC qui a conduit une enquête pour les Nations Unies au sujet de la violence dans les Kivus.
Si un accord devait prendre forme, une manière évidente d’absorber un grand nombre de combattants serait de les réintégrer au sein des FARDC. Mais cette voie a déjà été empruntée, et le résultat a visiblement échoué, avec des défections en masse au printemps dernier.


“Le fait de recourir à l’ancienne solution d’intégrer les forces rebelles sans briser leurs structures de commandement, et de les récompenser avec des postes de haut gradés et des zones de déploiement stratégiques pourrait mettre fin aux combats actuels, mais entraînera davantage de violence sur le long terme,” a déclaré à l’IWPR Maria Eriksson Baaz, chercheuse principale à l’institut nordique d’études africaines.


Les FARDC ont non seulement un noyau de troupes régulières, mais aussi un patchwork de milices agissant sur ordre des commandants locaux, nombre d’entre eux montrant peu de loyauté envers le gouvernement central de Kinshasa. Après l’intégration des forces du CNDP en 2009, les officiers de haut rang comme Ntaganda et Sultani Makenga – aujourd’hui également un des principaux dirigeants du M23 – a posé un défi constant, étant donné que c’était eux, et non pas le commandant des FARDC qui prenaient les décisions clefs au sujet des opérations et du déploiement des troupes dans l’est de la RDC.


“En effet, il y avait deux branches dans l’armée, une opérant sous le commandement du général [Gabriel] Amissi, le chef de l’Etat major, et l’autre opérant sus le commandement de Bosco Ntaganda,” a déclaré Marc-André Lagrange, analyste principal au sein de l’International Crisis Group, un groupe de réflexion basé à Bruxelles.


La structure parallèle qui en résulte a laissé beaucoup de pouvoir à Ntaganda. Un rapport réalisé par des experts de l’ONU publié en janvier 2012 indiquait que Ntaganda avait une participation dans les grandes entreprises de la région, et qu’aucune décision militaire ne pouvait être prise sans son accord.
Le gouvernement de Kinshasa ne s’est pas assuré que l’intégration ait été menée d’une manière approfondie, et il n’a pas non plus agi pour freiner les commandants rebelles.


Judith Verweijen, chercheuse au centre d’étude sur les conflits de l’Université d’Utrecht, résume l’attitude passée du gouvernement envers le CNDP comme des “carottes sans bâtons”.


“La politique envers les groupes armés a généralement été une politique de persuasion plutôt que de pression,” a-t-elle dit. “Cela créé des structures incitatives faussées pour l’armée, étant donné que les troupes voient constamment que ceux qui violent les règles sont récompensés.”


UNE ARMEE EN DIFFICULTE


Comme le note Verweijen, la manière dont le processus d’intégration de 2009 a été géré a eu un effet démoralisateur sur les officiers loyaux des FARDC, qui ont vu les anciens rebelles obtenir des privilèges qui leur étaient refusés.


Ce ressentiment a entraîné des tensions et, en septembre 2011, deux mois avant l’élection présidentielle, un groupe d’officiers des FARDC qui n’avait jamais fait partie d’un groupe rebelle a menacé de se mutiner pour protester contre le traitement préférentiel accordé aux soldats ex-CNDP au sein de l’armée.


“Comment peut-on les récompenser pour s’être battus contre nous? Ils ont aujourd’hui des rangs plus élevés et de belles maisons. Ce n’est pas juste; cela nous fait penser que nos dirigeants ne sont pas des patriotes,” a déclaré un capitaine au sein de l’armée congolaise interrogé par l’IWPR en novembre 2011.


Le fait de répéter ce genre de réintégration afin de neutraliser le M23 continuerait à saper le moral en envoyant un message que la trahison, et non pas la loyauté, est la stratégie la plus fructueuse.


“Quand les cas de haute trahison se succèdent, il faut prendre des mesures,” a déclaré un major au sein de l’armée, qui a répondu à l’IWPR sous couvert d’anonymat. “Lorsque quelqu’un trahit à plusieurs reprises et est quand même repris dans nos rangs, que faut il comprendre? Ils sont récompensés pour leur mauvais comportement.”


Malgré la misère causée par le M23 à la population dans l’est de la RDC, le Colonel Olivier Hamuli, porte-parole des FARDC au Nord Kivu, considère que la rébellion est un mal nécessaire, étant donné que cela a abouti à l’identification et au retrait d’éléments déloyaux de l’armée.


“Je pense que [cette mutinerie] est une bonne chose pour le Congo. C’est une épreuve, mais au moins ceux qui ne sont pas pour la république sont désormais exposés,” a déclaré Hamuli.


Un autre défi pour la cohésion des FARDC est le fait que, mis à part le M23, plusieurs autres haut gradés de l’armée ont fait défection récemment pour mettre en place des groupes d’insurgés qui se battent contre les forces gouvernementales dans l’est de la RDC. Les experts indiquent qu’il s’agit là d’une preuve supplémentaire que l’intégration n’est pas une solution viable pour gérer les combattants, qu’ils viennent du CNDP ou d’autres groupes.


“Beaucoup de commandants des FARDC ont déserté entre 2009 et 2012, et reconstitué des groupes armés plus petits ou plus grands ou des unités irrégulières. Cela montre que le problème est endémique, et implique les commandants de milieux complètements différents,” a déclaré Eriksson Baaz.


Verweijen a cité l’exemple de Nyiragire Khifaru, un commandant de la milice rebelle du PARECO (Coalition des patriotes résistants congolais). Khifaru avait été intégré aux FARDC, mais avait déserté avec 200 soldats l’année dernière après s’être vu refuser un poste de commandement régimentaire. En dépit de sa défection, et des allégations de violations des droits de l’Homme, il avait plus tard été réintégré à l’armée, et promu à un poste de commandement régimentaire.


Selon Verweijen, cela montre une tendance croissante où le fait de faire défection et de mettre en place un groupe rebelle est un bon moyen de faire avancer sa position.


Les FARDC sont affaiblies par les défections périodiques des éléments déloyaux, et la démoralisation des soldats loyaux. Mais ce cercle vicieux a pour effet d’encourager le gouvernement de la RDC à envisager la réintégration comme une option pour les rebelles, étant donné que l’armée a de moins en moins de capacités pour les mettre en échec.


Les forces armées ont fait l’objet de nombreuses initiatives de réforme, principalement conduites par les donateurs internationaux. Mais les sources interviewées par l’IWPR indiquent que l’absence d’un programme de formation unifié a accentué les problèmes de mauvaise cohésion et la division des structures de commandement, et n’a pas réussi à rassembler les factions disparates.


“Une unité est entraînée par les Américains, une autre par les Belges, une autre par les Chinois. Ils ont tous des styles différents et cela créé un décalage entre les unités au lieu de les unifier,” a déclaré à l’IWPR un expert militaire britannique ayant servi au sein de la force de maintien de la paix de l’ONU dans l’est de la RDC.


Le besoin d’absorber une diversité de groupes rebelles, ajouté à l’échec de la mise en place de réformes complètes et orientées a, selon les experts, abouti à une institution instable qui manque de légitimité, de cohérence et d’unité.


“Le gouvernement aurait du définir un cadre pour l’intégration et créer une véritable structure, mais ils n’ont pas donné eux-mêmes les moyens de faire cela correctement,” a déclaré Goyon Milemba, coordinateur du Réseau pour la réforme du secteur de la justice et de la sécurité au Nord Kivu. “Au lieu de cela, les [ex-rebelles] ont été catapultés au sein de l’armée sans formation ni suivi. Tous n’auraient pas du être intégrés.”


Milemba averti que la réforme de l’armée qui fait crucialement défaut aujourd’hui est essentielle pour que l’Est de la RDC soit stabilisé et retourne sous un control total du gouvernement central.


“Nous ne pouvons pas développer sans d’abord prendre le système de sécurité de notre pays en main, parce que personne ne peut parler de développement quand il y a de l’insécurité,” a déclaré Milemba.

Mélanie Gouby est une collaboratrice de l’IWPR à Goma, dans l’est de la RDC.

  

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