Les milices continuent à faire pression sur les enfants

Des experts indiquent que le procès de Lubanga n’a eu qu’un impact limité sur le recrutement des enfants soldats.<br />

Les milices continuent à faire pression sur les enfants

Des experts indiquent que le procès de Lubanga n’a eu qu’un impact limité sur le recrutement des enfants soldats.<br />

Wednesday, 20 January, 2010
Malgré l’inculpation par la Cour pénale internationale, CPI, de Thomas Lubanga pour l’utilisation d’enfants au sein de sa milice, le recrutement d’enfants soldats continue dans l’est de la République démocratique du Congo, RDC.



Les preuves que le recrutement se poursuit proviennent surtout de la province du Nord Kivu où de nombreuses milices armées opèrent, y compris des groupes des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, FDLR.



“Le recrutement continue, particulièrement dans les territoires où l’autorité du [gouvernement] n’est pas encore bien établie,” a déclaré Pascal Badibangua, le directeur d’un centre de réintégration, qui aide les enfants soldats à s’adapter à la vie hors de l’armée.



“Je viens de rentrer d’une mission [dans les villes du Nord Kivu de] Rutshuru, Masisi et Goma, où j’ai eu l’occasion de constater que les groupes armés recrutent encore des enfants soldats, malgré le fait que c’est illégal.”



Certaines de ces zones gardent une structure d’administration parallèle, où d’anciens groupes rebelles partagent l’autorité avec des administrateurs nommés par le gouvernement dans un arrangement ad hoc.



Lubanga, dont le procès a repris le 7 janvier, est l’ancien président de l’Union des patriotes congolais, UPC. Il est accusé de recrutement, conscription et utilisation d’enfants soldats qu’il aurait fait participer au conflit interethnique dans la région de l’Ituri, en RDC, en 2002 et 2003.



Au cours de la deuxième guerre du Congo, qui a duré de 1998 à 2003, des milliers d’enfants soldats avaient été recrutés.



Un programme de réintégration financé par les Nations Unies a permis la démobilisation de 30 000 enfants à la mi-2007, selon un rapport de la Coalition pour mettre fin à l'utilisation d'enfants soldats, publié en 2008.



Le rapport indique qu’à l’époque, plus de 7 000 enfants soldats subsistaient dans des groupes armés et au sein de l’armée nationale congolaise.



Le nombre réel pourrait être plus élevé, étant donné que les enfants soldats ont continué à être recrutés lors de la guerre de 2007-2009 entre le Congrès national pour la défense du peuple, CNDP, un ancien groupe rebelle, et l’armée.



La nature novatrice des charges retenues contre Lubanga, dont le procès avait été le premier à commencer à la CPI, avait suscité l’espoir que cette procédure constitue un précédent et un exemple pour d’autres chefs rebelles en RDC.



Mais son effet dissuasif semble n’être que partiel, selon les experts.



“Je ne peux pas dire, au jour d’aujourd’hui, que le procès Lubanga a agi comme catalyseur dans la prévention du recrutement des enfants soldats,” a déclaré Bukeni Tete Waruzi, un expert sur la question des enfants soldats auprès de Witness, une organisation non gouvernementale.



“Nous savons au moins que la CPI a la capacité de punir les gens qui commettent ce crime. Mais nous ne pouvons pas vraiment bien voir le véritable impact, étant donné que les enfants sont encore enrôlés dans des groupes armés à l’heure actuelle.”



La CPI soutient cependant que son travail a un véritable impact, dont la visibilité va s’accroître avec le temps.



“Cet [impact] ne peut que s’accroître avec l’avancement des procédures à la CPI,” a déclaré Pascal Turlan du Bureau du Procureur à la CPI. “Nous avons déjà reçu des signes encourageants, en particulier de la part de chefs militaires qui ont récemment rejoint le processus de démobilisation.”



La CPI a pris certaines mesures pour améliorer son image en RDC, et sensibiliser davantage les communautés locales quant au rôle que la justice internationale peut jouer dans la lutte contre l’impunité dans la région.



Des retransmissions du procès de Lubanga ont été organisées dans la province de l’Ituri. La section de l’information et de la documentation de la Cour organise également de manière périodique des évènements en RDC, où les membres du public ont la possibilité de poser des questions ou de faire part de leurs inquiétudes.



Malgré ces efforts, la culture de l’impunité sévit toujours dans les provinces de l’est de la RDC, où de nombreux groupes armés veulent garder les armes.



L’absence d’un programme global pour lutter contre le phénomène empêche tout progrès véritable vers la fin du recrutement des enfants soldats. Même lorsqu’ils sont démobilisés, ils retournent souvent vers les groupes armés après quelques années.



A Rutshuru, à quelques 70 kilomètres de Goma, la capitale de la province, le chef d’un groupe de soutien pour les anciens enfants soldats, parlant sous condition d’anonymat, a déclaré que les anciens enfants soldats trouvaient souvent trop difficile de réintégrer la société, et qu’ils restent vulnérables aux milices à l’affût de nouvelles recrues.



“Les enfants sont manipulés [par les chefs de milice] et on leur dit qu’ils doivent protéger leurs tribus,” a-t-il dit. “Ils sont aussi [harcelés] par la police et les militaires, qui déchirent leurs certificats de réintégration. Quand les enfants ne se sentent pas en sécurité, ils retournent dans la brousse.”



La protection et le soutien accordés aux anciens enfants soldats restent insuffisants. Les orphelins sont souvent rejetés par leur communauté parce qu’ils ont tué certains de ses membres ou parce qu’ils se comportent de manière agressive. Nombre de ceux qui reviennent sont accros à la drogue ou infectés par le VIH.



“Le succès de la réintégration dépend du degré de traumatisme expérimenté par l’enfant, mais il dépend aussi des conditions économiques et sociales de la communauté,” a déclaré Waruzi. “L’impact d’une telle expérience sur les enfants est si importante qu’il est presque impossible de les ramener à leur situation antérieure.”



Ruro Minbre, un ancien enfant soldat au sein des FDLR, a parlé à l’IWPR des souffrances endurées par les enfants dans ces groupes.



“Les [groupes de milice] ont pris les enfants par la force,” a-t-il dit. “Lorsque les enfants résistaient, les soldats leur faisaient un trou dans le crâne ou dans la nuque et ils mourraient. Alors nous n’avions pas le choix.”



Ce reportage a été adapté de l'émission Face à la Justice produite par l’IWPR.



Mélanie Gouby est reporter auprès de l’IWPR à La Haye. Évariste Mahamba est un journaliste congolais basé à Rutshuru. Espérance Nzigire est une journaliste formée par l’IWPR basée à Goma.
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