Les milices considérées comme les principaux auteurs des crimes

La prévalence de groupes armés dans l’est du Congo est liée à une recrudescence des cas de viols.

Les milices considérées comme les principaux auteurs des crimes

La prévalence de groupes armés dans l’est du Congo est liée à une recrudescence des cas de viols.

Nous avons rencontré des soldats,” fut la simple description faite par Honorine Kavugho de la manière dont elle devint l’une des incalculables milliers de femmes à avoir été brutalement violée dans l’est de la République démocratique du Congo, RDC.



Kavugho, une mère de huit enfants âgée de 33 ans parle la voix pleine d’émotion, essuyant ses larmes alors qu’elle décrit son trajet vers la ville de Butembo dans la province du Nord Kivu, aux côtés de 30 personnes voyageant de manière précaire sur le haut d’un camion chargé de marchandises, avant d’être attaquées par des hommes armés en embuscade, qui tuèrent la plupart des passagers du véhicule.



“Les soldats se cachaient dans la brousse et en dessous d’un pont. Ils m’ont poignardée dans le cou,” a-t-elle dit. “Ils nous ont emmenés dans leurs bunkers et nous y avons passé quatre jours. Un enfant de deux ans a été tué. Ils ont pris nos vêtements et notre argent.”



Kavugho transportait l’équivalent de 2500 dollars US pour acheter des biens qu’elle espérait vendre à son retour à Goma, le centre administratif du Nord Kivu.



Elle fut violée à plusieurs reprises pendant quatre jours par un groupe de soldats dirigé, en toute ironie, par une femme commandant, nommée Chantal.



Une fois que les soldats en eurent assez d’elle, elle fut relâchée. Kavugho explique que Chantal a déclaré qu’elle pouvait “aller mourir chez elle”.



Kavugho ne mourut finalement pas. Mais l'accueil qu'elle reçut chez elle fut pire que la mort, comme elle l’explique.



“Quand je suis rentrée chez moi, mon mari m’a rejetée et ma famille aussi,” indique-t-elle. “Je ne savais pas si j’étais encore en vie”.



“Il a dit qu’il ne partagerait plus jamais rien avec moi. Il m’a traitée de femme de soldat, de rebelles, de criminels.”



Bien que l’attaque ait eu lieu en 2003, Kavugho a un souvenir permanent du viol – la fille à laquelle elle a donné naissance par la suite. Cette petite fille est la plus jeune de ses enfants, qui ont tous été élevés dans la rue.



Pour maintenir sa famille en vie, Kavugho mendie.



“Maintenant ils meurent de faim,” a-t-elle indiqué.



Comme si la violence à laquelle elle a survécu ne suffisait pas, Kavugho s’est vu diagnostiquer le virus du VIH, ce qui l’a plongée dans un profond désespoir.



“Toute ma vie est faite de colère,” a-t-elle dit. “Ma famille m’a rejetée comme si j’avais tué quelqu’un. Je dis à mes enfants que dans la vie, il n’y a pas d’espoir. Il faut s’occuper de soi-même. Il faut faire du mieux que vous pouvez.”



La plupart des hommes commettant des actes de violence sexuelle sont affiliés aux nombreuses milices armées de la région, indiquent des experts tels que Devote Musafire, conseiller principal de Hope in Action, un groupe d’aide à Goma.



Musafire a expliqué que ces paramilitaires sont généralement loin de toute influence de contrôle telles que la famille et qu’ils se comportent “comme des animaux”, en grande partie parce qu’ils savent qu’ils peuvent s’en sortir indemnes après leurs crimes.



“L’impunité existe,” indique Musafire. “Ils savent qu’ils peuvent violer et que personne ne va les arrêter. Rien ne va arriver. Ils savent que c’est un crime, mais ils savent aussi que l’impunité est réelle.”



La violence sexuelle dans cette partie de la RDC s’est tellement répandue qu’elle est désormais commise de manière ordinaire par les civils tout comme les combattants, a expliqué Françoise Kahindo, directrice de Union for Life Against HIV, UNIVI. Son organisation travaille avec des femmes telles que Kavugho qui ont contracté le virus du sida des suites d’un viol.



“Certaines sont violées par des soldats, et d’autres par des civils,” a indiqué Kahindo, notant que la violence des milices a conduit à une épidémie générale de violence dans l’ensemble de la société.



En même temps, a-t-elle dit, “le premier problème est la présence d’autant de groupes armés. Ils vous arrêtent et vous violent. Le problème c’est la guerre”.



Un accord de paix signé en janvier par plus de 20 factions armées dans la région n’a pas vraiment aidé à juguler la violence sexuelle, a indiqué Kahindo.



“Cela n’a rien changé. Le nombre de combattants a diminué, mais les troupes sont encore en position. Alors lorsque les gens doivent sortir pour se nourrir ou faire des affaires, c’est là qu’ils sont violés,” a-t-elle expliqué. “Maintenant ça s’est étendu au reste de la communauté.”



Elle a précisé que des croyances dangereuses et erronées aidaient à répandre ce mal, indiquant, “Certains [hommes] pensent que s’ils ont le sida, et qu’ils couchent avec une fille de deux ou trois ans, ils peuvent être guéris.”



Souvent, indique-t-elle, les cas de violence sexuelle sont le résultat d’une interaction sociale, “Nombre de jeunes filles sortent avec des soldats, en raison de la pauvreté. Cela contribue à la propagation du VIH.”



De telles femmes sont confrontées à de multiples problèmes, selon Kahindo.



“Elles souffrent deux fois. Le premier choc est du à l’acte-même. L’acte de viol. Il touche toutes les femmes, des plus jeunes à celles [qui ont atteint] la soixantaine. Le deuxième choc est du au fait d’être une victime du VIH. Certaines sont mutilées.”



Il est difficile d'échapper au stigmate social qui en résulte, a-t-elle ajouté.



“Les gens ignorent les faits,” indique-t-elle. “Ils voient juste une femme qui a été violée. Il y a un problème culturel. Une fois qu’une femme a eu une relation sexuelle avec quelqu’un qui n’est pas son mari, elle ne peut plus être mariée. Nous essayons d’expliquer qu’elles sont victimes et que la vie doit continuer. Ca fait partie de la guérison.”



En résultat, indique-t-elle, “la plupart des femmes violées ne veulent pas l’admettre. Elles gardent le silence”.



Le pasteur Clément Lembire, de New Song Church à Goma, a reconnu que le problème du viol était hors de tout contrôle dans l’est de la RDC.



“Le problème est complexe ici. Il y a tellement de facteurs,” a-t-il dit.



Lembire a indiqué qu’il y a près de 15 ans, le viol n’était pas un problème, expliquant, “C’est un nouveau phénomène ici en raison des guerres répétées.”



Il a noté que le viol était désormais commis ouvertement et en toute impunité.



“Nous avons appris qu'une communauté peut en humilier une autre. Certains sont emmenés en prison, mais cela ne change rien,” a-t-il dit.



“Les hommes armés violent votre femme et votre mère et tout ca publiquement. Comment pouvez-vous vous asseoir pour manger avec ces gens? L’unité familiale disparaît. Même vous. Vous êtes mort.”



Il va être difficile de renverser la vapeur, mais, peu à peu, certains progrès sont réalisés.



Christine Mpinda, une avocate auprès de la Dynamique des femmes juristes, un groupe d’aide juridique à Goma, a indiqué que des changements récents dans les lois sur le viol en RDC avaient aidé. La législation a été étendue pour inclure la prostitution forcée, la mutilation sexuelle, le mariage forcé, le harcèlement et l’esclavage sexuels, la transmission du VIH et la grossesse forcée.



Les victimes doivent désormais contacter la police dans les deux jours après la commission du crime, et un procureur doit traiter les plaintes et rapports transmis, dans l’intervalle d’un mois, a-t-elle indiqué. Les affaires doivent passer devant le tribunal dans les trois mois.



Les victimes ont le droit de voir des docteurs et des psychologues, et un docteur doit attester que le viol a eu lieu.



Une fois que l’affaire passe en jugement, les victimes peuvent comparaître soit en audience publique ou à huis clos.



Un autre changement important tient au fait que les soldats peuvent désormais être arrêtés sans la permission de leurs commandants d’unités. Dans le passé, les commandants empêchaient l’arrestation de leurs soldats, une situation qui garantissait l’impunité.



“Il est vrai que la loi existe, mais il est vrai que tout ne fonctionne pas bien,” a indiqué Mpinda.



Notant que “nombre des viols ne font l’objet d’aucun rapport”, elle a expliqué que les victimes vivaient en général dans des zones éloignées et étaient incapables d’assumer les coûts juridiques, raison pour laquelle son groupe et d’autres apportent une assistance juridique gratuite.



“Les distances empêchent les victimes d’avoir accès à l’aide juridique,” a-t-elle indiqué. “La plupart des personnes concernées ne peuvent pas payer pour se rendre du village à la ville.”



L’organisation de Mpinda travaille sur plusieurs affaires par mois, chacune coutant entre 500 et 1000 dollars à instruire. Une fois que l’affaire est transmise au tribunal, les problèmes persistent.



“Il y a un malentendu qui prévaut parmi les gens, ainsi que les juges, que la violence sexuelle n’est pas un problème sérieux,” a-t-elle dit.



Des 20 affaires que le groupe a traitées l’année dernière, 12 défendeurs ont reçu des peines de cinq à vingt années d’emprisonnement, a-t-elle dit. Huit d’entre eux attendent d'être jugés.



Malgré les changements, beaucoup restent critiques par rapport à la loi et se tournent vers la communauté internationale pour obtenir de l’aide.



“Les gens sont dégoutés de la loi,” indique Kahindo. “Une fois qu’une personne a été victime et va au tribunal, on lui demande de payer chaque fois qu’elle vient devant le tribunal. Ça les fatigue et ils ne viennent plus.



“La plupart des femmes qui sont violées dans un village n’ont pas accès aux soins et n’ont pas de routes ou d’accès vers le monde extérieur.”



Kahindo s’est plainte que trop peu de choses ont été faites pour maîtriser les groupes armés.



“S’ils sont dans la brousse, ils commettent des crimes,” a-t-elle indiqué. “Comment la communauté internationale peut ne pas les en sortir ? Je ne crois pas que la communauté internationale ne puisse les neutraliser. Quand il y aura la paix, tout ca se finira.”



Peter Eichstaedt est le rédacteur Afrique à IWPR.
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