Les allégations d'agressions sexuelles de la part de l'ONU toujours d'actualité

Alors que des soldats ayant été impliqués dans des abus ont été renvoyés en Inde, les locaux affirment que la prostitution continue à régner au sein de la base des casques bleus.

Les allégations d'agressions sexuelles de la part de l'ONU toujours d'actualité

Alors que des soldats ayant été impliqués dans des abus ont été renvoyés en Inde, les locaux affirment que la prostitution continue à régner au sein de la base des casques bleus.

Friday, 12 September, 2008
Bien qu’un groupe de soldats de maintien de la paix indiens accusés d’abus sexuels dans l’est du Congo soient retournés chez eux, le bataillon fait toujours l’objet d'allégations de méfaits.



Les Nations Unies ont confirmé le mois dernier qu’une enquête interne avait révélé des preuves crédibles selon lesquelles des membres d'une unité indienne stationnée dans la province du Nord Kivu “ont pu être impliqués dans des cas d’exploitation et d’abus sexuels”.



Une source au sein de l‘ONU a déclaré que près de 100 casques bleus originaires d’Inde auraient utilisé des enfants, tant pour les faire travailler pour eux que pour recruter des jeunes filles congolaises à des fins sexuelles. Cette source a indiqué que les enfants ont été utilisés comme serviteurs domestiques et pour servir de prostituées, certains étant âgés d’à peine 12 ou 13 ans.



Ban Ki-Moon, le Secrétaire général de l’ONU, a indiqué qu’il avait été “profondément troublé” par les conclusions, et le gouvernement indien avait ensuite promis une enquête rapide et approfondie.



Conformément à la rotation régulière de six mois, les soldats concernés ont quitté la mission de l’ONU en République démocratique du Congo, connue sous son acronyme français de MONUC, en janvier dernier, mais des femmes sur place indiquent que leurs successeurs continuent à violer les règles de l'ONU.



Il est formellement interdit aux casques bleus de fréquenter des locaux. Mapendo Polepole, une prostituée de 28 ans originaire de Goma, qui dirige une organisation de femmes vivant avec le sida, a cependant indiqué à l’IWPR que des soldats indiens du camp situé au centre de Goma sont des clients réguliers.



“Ils ont des rapports sexuels avec nous, sans préservatifs, dans leurs jeeps, lors d’une patrouille ou dans leurs camps,” a-t-elle dit, ajoutant que les soldats payaient 20 US dollars pour leurs services plutôt que le tarif de deux dollars en vigueur.



Les casques bleus n'ont pas le droit de rechercher des divertissements en dehors des baraques ou de quitter le camp après 18h. L’ONU a affirmé que tout le personnel est mis au courant du code de conduite de la mission et des “zones interdites” avant de s’engager – et le commandant de bataillon est responsable des actes de ses subordonnés lors d’une mission de maintien de la paix.



Un officiel de l’ONU à New York a reconnu que les règles étaient parfois difficiles à mettre en oeuvre. “Peu importe le nombre de règles en vigueur, il y a toujours un moyen de les contourner. C’est si difficile à surveiller,” a indiqué le responsable.



Polepole explique que les casques bleus de Goma ont continué à bafouer les règles depuis que les 100 casques bleus sont partis. Ses accusations que la prostitution continue au sein et autour de la base indienne ont été reprises par d’autres professionnelles du sexe à Goma.



Mado Kahindo, 24 ans, a indiqué que les casques bleus indiens continuent à venir chez elle pour du sexe. “Ils arrêtent leur jeeps en patrouille devant ma hutte après minuit,” a-t-elle indiqué, ajoutant qu’ils refusaient d'entrer dans la maison parce qu'ils ne voulaient pas se retrouver face aux enfants des prostituées. “Je dois sortir pour avoir des rapports sexuels dans leurs jeeps.”



Feza Ramazani, 30, a indiqué qu’elle compte parmi les nombreuses prostituées qui attendent sur le coté de la route pendant que les soldats indiens patrouillent dans leur jeep. Elle indique que les rencontres sexuelles sont parfois brutales. “On s’en sort souvent avec des blessures sur les seins par leur façon de les toucher,” a-t-elle indiquée.



Polepole a rappelé un incident qui remonte à avril lorsqu’une rencontre sexuelle avec un indien avait tourné à la violence.



“Après la passe, il m’a donné 30 dollars avant de me remettre à ses collègues soldats qui m’ont violée en chaîne,” a indiqué Polepole, qui fut blessée après avoir protesté qu'aucun des hommes n'utilisait de préservatif.



Un travailleur d’ONG a indiqué à l’IWPR que le sexe sans préservatif est une pratique commune pour les prostituées et leurs clients de l’ONU.



“Les prostituées nous disent que les casques bleus insistent pour avoir des relations sexuelles sans préservatifs,” a indiqué Zawadi Binti Sharif. Elle a indiqué qu'en raison de leur situation économique, les femmes n’avaient pas vraiment d’autre choix que de s’y soumettre, “La pauvreté est une menace dans notre combat contre le sida.”



Nick Birnback, chef de la section des affaires publiques à New York, a indiqué à l’IWPR qu’une politique de “zéro tolérance” était en place et que tout soldat de maintien de la paix qui violait les règles serait renvoyé chez lui.



“Il n’y a tout simplement pas d’excuse,” a-t-il dit, ajoutant que la MONUC avait récemment augmenté ses patrouilles à pied et motorisées pour s'assurer que les soldats respectent le couvre-feu.



Au vu de ces problèmes, Birnback a indiqué que le responsable du comportement et des enquêtes militaires au sein de la MONUC va être relocalisé de Kinshasa, la capitale, vers Goma. “Plus de 90 pour cent des forces de la MONUC sont dans l’est et il serait donc judicieux qu’il soit au plus près des troupes qui sont à la source des problèmes disciplinaires,” a indiqué Birnback.



Pour ceux qui veulent se plaindre, la MONUC a mis en place une hotline auprès de laquelle les gens peuvent faire état de tout méfait commis par des casques bleus. Des zones sûres ont aussi été établies, où les Congolais peuvent rencontrer des responsables de l’ONU de manière confidentielle.



Cependant, Birnback a reconnu que ces mesures peuvent ne pas être toujours efficaces. “Cela ne veut pas nécessairement dire que les gens en sont conscients – ou ils peuvent avoir peur de l’utiliser,” a-t-il dit.



Polepole a indiqué qu’elle n’allait pas parler de l'attaque commise contre elle, étant donné que des expériences préalables avaient révélé que cela ne servait à rien. Elle a indiqué que la police congolaise pensait que les femmes comme elle méritaient cette sorte de traitement, et a que le fait de relater des incidents de violence sexuelle à la police avait de grandes chances d’aboutir à une arrestation pour la femme concernée.



La force de maintien de la paix du Congo a été en proie à une mauvaise publicité au cours des dernières années, 140 affaires impliquant des soldats dans des cas de prostitution ou d’abus sexuel ayant été enregistrées entre 2004 et 2006.



L’information relatant les cas de soldats indiens accusés d’avoir abusé de jeunes filles a été mise en lumière le mois dernier après une enquête du Bureau des services de contrôle interne.



A défaut de pouvoir poursuivre, l’ONU a remis des détails des allégations aux autorités indiennes, qui sont responsables des troupes avec lesquelles elles contribuent à la mission de maintien de la paix, et vont décider si elles vont ou non poursuivre l’affaire.



Les troupes onusiennes originaires d'Inde et du Pakistan ont également été accusées de trafic d'or et d’armes avec les rebelles congolais.



Birnback a déclaré que la mauvaise publicité de cette sorte est extrêmement dommageable pour la MONUC, la plus grande opération de maintien de la paix du monde, avec plus de 18 500 troupes déployées au Congo.



“Toute personne qui prend le maintien de la paix au sérieux est profondément choquée lorsqu’elle entend parler de telles choses,” a-t-il dit, "Les casques bleus ont joué un rôle central dans la stabilisation de la RDC au cours des dernières années. Lorsque les efforts et le sacrifice de tant de personnes sont assombris par les actions inacceptables de quelques individus, c’est mauvais pour l’ONU et mauvais pour les Congolais."



Les guerres congolaises ont fait des milliers de victimes et ont été marquées par la violence sexuelle à grande échelle.



Un récent rapport élaboré par le centre des droits de l'Homme de l'Université de Californie, Berkeley, le centre Payson de l’Université Tulane et le centre international pour la justice transitionnelle a conclu que près de 16 pour cent des personnes interrogées dans les trois provinces orientales – au Nord et au Sud Kivu et en Ituri – avaient subi des viols. Près de 12 pour cent de celles-ci ont été les victimes de multiples assauts, selon le sondage.



La Cour pénale internationale, CPI, basée à La Haye détient actuellement trois rebelles originaires d’Ituri et un mandat d’arrêt est en suspens pour un quatrième homme. Les chefs d’accusation de violence sexuelle figurent dans tous les actes d’accusation mis à part celui de Thomas Lubanga Dyilo, qui est accusé du recrutement d’enfants pour les faire combattre dans le cadre du conflit en Ituri.



Des rapports ont indiqué que le fait que les soldats envoyés au Congo pour protéger les civils de la violence soient eux-mêmes accusés de crimes sexuels contre les enfants a provoqué la colère de nombreuses personnes dans la région.



Christine Musaidizi de l’ONG Children’s Voice a déclaré que la pauvreté extrême avait particulièrement exposé les mineurs à l’exploitation sexuelle.



“La pauvreté criante des parents face à la démission de l’Etat congolais a sacrifié la vie des enfants,” a-t-elle dit.



Taylor Toeka Kakala est un reporter de Goma formé par l’IWPR. Lisa Clifford est reporter de justice internationale à La Haye.
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