Les actes d'accusation de la CPI vont-ils s'étendre au-delà des frontières de la RDC?

Certains analystes suggèrent que des responsables rwandais et ougandais pourraient être dans la ligne de mire des procureurs de la CPI.

Les actes d'accusation de la CPI vont-ils s'étendre au-delà des frontières de la RDC?

Certains analystes suggèrent que des responsables rwandais et ougandais pourraient être dans la ligne de mire des procureurs de la CPI.

Thursday, 21 February, 2008
Les activistes poussent les procureurs de la Cour pénale internationale, CPI, à se pencher sur les voisins les plus proches de la République démocratique du Congo alors qu’ils doivent décider quelles seront les prochaines personnes à faire venir à La Haye.



La Cour a récemment indiqué qu’elle envisageait d’enquêter sur une affaire visant des responsables qui auraient financé et organisé des milices dans ce pays d’Afrique centrale, dévasté par des années de combats entre des seigneurs de guerre rivaux. Les procureurs indiquent que ces responsables pourraient être originaires de RDC ou d’ailleurs, les analystes suggérant que le Rwanda et l’Ouganda sont des cibles potentielles.



“Virtuellement, tous les seigneurs de guerre congolais ont des relations avec des responsables de ces deux pays,” a indiqué Amigo Gonde, un activiste de l’Association africaine de défense des droits de l’homme basée au Congo.



L’Ouganda tout comme le Rwanda avait envoyé des troupes dans le Zaïre d’alors à la fin des années 90 afin d’en expulser le Président congolais Mobutu Sese Seko, et d’installer Laurent Kabila à sa place.



Kabila et ses anciens alliés s’étaient ensuite fâchés et il trouva de nouveaux soutiens auprès de l’Angola, du Zimbabwe et d’autres pays. L’Ouganda et le Rwanda se mirent à leur tour à soutenir des mouvements rebelles d’opposition et des guerres dévastatrices éclatèrent. Les deux pays furent accusés d’avoir exploité les importantes richesses minérales du Congo lors des conflits.



“Un grand intérêt dans les ressources du Congo et le souhait de la part des voisins de répandre le désordre afin d’ouvrir l’accès à ces ressources [étaient] au coeur de cette guerre,” a indiqué Géraldine Mattioli de Human Rights Watch.



Bien qu’il ait finalement retiré ses troupes sous la pression internationale, le Rwanda en particulier reste un acteur à l’est - les critiques accusant Kigali de soutenir le général tutsi congolais Laurent Nkunda.



Après s’être d’abord focalisée sur des chefs de milice congolais dans la région nord-est de l’Ituri, la CPI a laissé entendre qu’elle pourrait commencer à regarder plus loin pour ses nouveaux mandats d’arrêt. Les mandats d’arrêt pour deux accusés actuellement détenus à La Haye - Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo - avaient tous les deux désigné l’armée ougandaise comme un participant dans le conflit d’Ituri.



Marcel Akpovo, un ancien chercheur sur les conflits armés auprès d’Amnesty International, également expert au sujet de l’engagement ougandais en RDC, s’accorde à dire que le gouvernement de Kampala a été d’un “très grand soutien” envers les groupes de milices là-bas. “Je crois fermement que le gouvernement ougandais n’a pas seulement apporté un soutien politique, mais également un appui financier à certains de ces groupes armés - y compris celui de Germain Katanga,” a-t-il dit.



La Cour internationale de Justice, CIJ, qui arbitre les différents entre les États, a confirmé en 2005 que l’Ouganda avait occupé une partie du territoire en Ituri entre 1998 et 2003 et fourni un soutien militaire, financier et logistique aux rebelles.



La preuve de liens entre Katanga et l’armée ougandaise - la Force de défense du peuple ougandais, UPDF - a également fait surface l’année dernière dans des lettres publiques de Floribert Njabu, le président du groupe de milice de Katanga, la Force de résistance patriotique en Ituri, FRPI.



Les lettres identifiaient des responsables de haut rang spécifiques qui auraient selon Njabu apporté un soutien financier et militaire à son groupe de milice.



Katanga a confirmé les charges visant Njabu et impliquant des responsables majeurs du gouvernement à Kinshasa et en Ouganda dans des interviews de face-à-face, a indiqué Anneke Van Woudenberg de HRW. Katanga a déclaré à Van Woudenberg qu’il était personnellement impliqué dans des réunions où un soutien financier et militaire était discuté.



“Il a fait allusion au fait qu’il avait reçu un soutien significatif … et il a donné des noms. Et ces allégations devraient donner lieu à des enquêtes et être sérieusement analysées,” a-t-elle dit.



Certains analystes - et de nombreux Congolais - se demandent pourquoi la CPI a jusqu’à présent été si lente à réagir à de telles accusations.



François Grignon, directeur du programme Afrique auprès de International Crisis Group, pense que la Cour s’est retrouvée les mains liées en Ouganda en acceptant l’invitation du gouvernement à enquêter sur des crimes de guerre dans le pays.



“Pour que la CPI ait un quelconque succès contre l’Armée de résistance du seigneur, la CPI a besoin de la coopération du gouvernement ougandais,” a-t-il dit. “Cela signifie que la poursuite de crimes commis par les troupes ougandaises au Congo devrait probablement être abandonnée. Ils sont peut-être inquiets que les Ougandais disent, ‘Si vous vous en prenez à nous au Congo, nous allons suspendre notre coopération en Ouganda’.”



L’avocate Martine Schotsmans, d’Avocats sans frontières, est d’accord sur le fait que l’arrestation de responsables ougandais pourrait devenir problématique. “En Ouganda, ils ne peuvent pas arrêter ceux que le gouvernement a accepté d’arrêter,” a indiqué Schotsmans. “Comment peuvent-ils arrêter quelqu’un qui est proche du gouvernement ougandais?”



Akpovo suggère que la Cour a jusqu’à présent reporté les enquêtes sur l’implication de l’Ouganda au Congo en partie pour maintenir le fragile processus de paix.



“Les Ougandais sont catégoriques par rapport à la poursuite du processus de paix,” a-t-il dit. “Je suis pour la paix, mais dans ce cas particulier, la justice internationale doit prévaloir … indépendamment du processus de paix.”



Et il y a d’autres obstacles aux poursuites étrangères pour des crimes commis au Congo. Des experts juridiques affirment que de telles affaires peuvent être extrêmement difficiles à prouver.



“Il y a une différence entre récolter des preuves sur la participation physique de quelqu’un et sa responsabilité de supérieur hiérarchique. C’est toujours plus difficile,” a expliqué Schotmans. “Quelqu’un qui avait le commandement mais n’était pas sur les lieux - c’est toujours plus difficile à prouver.”



C’est un argument auquel a fait écho la CPI elle-même. Beatrice Le Frapper du Hellen, qui dirige l’Unité de la compétence, de la complémentarité et de la coopération, a indiqué que la Cour veut viser ceux qui ont organisé et financé les crimes de guerre mais affirme qu’il peut être difficile de trouver les preuves établissant les liens.



“Nous devons avoir des dossiers très solides lorsque nous allons devant les juges,” a-t-elle dit à l’IWPR.



Un autre élément qui vient compliquer ces poursuites est que nombre des crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis par le Rwanda et l’Ouganda sur le sol voisin ont eu lieu plusieurs années avant juillet 2002, date du début du mandat de la CPI.



Les crimes comprennent des batailles sanglantes pour le contrôle de la ville de Kisangani, située au nord-est, et de ses diamants et de son or. L’Ouganda et le Rwanda ont occupé Kisangani et, après lors de plusieurs offensives, détruit de grandes parties de la ville, tuant des centaines de civils.



Cependant, Grignon a indiqué que la CPI doit envisager de nombreux crimes. Il suggère que l’implication alléguée du Rwanda dans les attaques menées par Nkunda sur Bukavu en 2004 est une possibilité. Il indique que des preuves existent sur le fait que la marche de Nkunda sur la ville du Sud Kivu a été soutenue par le Rwanda - une accusation niée par l’intéressé.



Bien que le Rwanda ait soutenu Nkunda par le passé, Grignon indique que ce serait une erreur d’assumer que Kigali se cache derrière la récente violence du Nord Kivu.



“Vous ne pouvez pas comparer l’offensive de Nkunda sur Bukavu et la crise actuelle,” a-t-il dit. “Il serait faux de dire que le Rwanda est de nouveau derrière Nkunda. Ce n’est pas vrai. En 2004 il y a eu une politique d’état pour soutenir Nkunda mais il n’y en a pas aujourd’hui. Il n’y a pas de soutien étatique actif pour Nkunda. Je ne pense pas que le Rwanda serait inquiet en cas de poursuites pour tout crime récemment commis [au Nord Kivu].”



Le Rwanda n’est pas membre de la cour, ce qui fait dire, au Congo, que la CPI ne peut pas agir contre Kigali.



Nous pensons que pour le moment, la CPI ne peut pas poursuivre des étrangers impliqués dans les parties est du pays, en Ituri et dans les Kivus, parce que le Rwanda n’est pas un pays signataire du [Statut de Rome] ce qui rend difficile d’intenter une action juridique contre lui,” a indiqué Gonde.



Schotsmans, cependant, indique que ce n’est pas le cas. Le Congo adhère à la Cour, ce qui signifie que si un crime de guerre est commis sur son sol, la CPI est libre d’enquêter sur toute connexion transfrontalière.



Bien que la CPI puisse poursuivre, des analystes spéculent quant au fait que les Rwandais bénéficieraient d’une certaine protection en raison de la récente histoire de leur pays. Le génocide de 1994 a fait 800,000 victimes sur une période de trois mois. La communauté internationale n’a presque rien fait pour mettre un terme au massacre et un sentiment de culpabilité subsiste.



“Ils s’en sont sortis avec une incroyable dose de violence politique commise que ce soit au Congo, ou au sein de leur propre pays [en résultat du génocide],” indique Grignon.



Mais il y a ceux qui défendent le manque d’action de la CPI jusqu’à présent par rapport au Rwanda et à l’Ouganda.



Richard Goldstone, ancien procureur en chef au Tribunal pour crimes de guerre de Yougoslavie rejette les critiques relatives au fait que la CPI n’avance pas assez vite quand il s’agit d’enquêter sur des responsables gouvernementaux de haut niveau et des sympathisants de milices en RDC.



“Cela prend manifestement plus de temps d’attraper les gens qui sont plus haut dans l’échelle de commandement parce qu’il y a moins de témoins disponibles. Il y aura toujours des gens plus élevés. Mais ce n’est pas parce qu’il y aura toujours des gens plus haut qu’ils ne devraient pas s’occuper de gens qui sont plus bas,” a-t-il dit.



D’autres cependant ont déclaré qu’il serait une erreur pour les procureurs de la CPI de procéder trop lentement avec leurs enquêtes.



“Je pense que cela établirait un précédent très important - d’enquêter sur les individus qui ont … aidé et encouragé,” a indiqué Van Woudenberg, de HRW. “C’est une part importante de ce que le Bureau du Procureur devrait faire et de ce pourquoi la [CPI] est là. Cela requiert des enquêtes en profondeur et beaucoup de travail difficile, mais au final … toute personne en arrière-plan doit être tenue [responsable].”



Lisa Clifford est reporter de justice internationale à La Haye. Sonia Nezamzadeh et Eddy Isango sont des collaborateurs de l’IWPR.
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