Le procès Gédéon considéré comme un procès décisif
Les activistes indiquent que la condamnation du tribunal de Katanga montre que la CPI a un impact au-delà de ses propres procès à La Haye.
Le procès Gédéon considéré comme un procès décisif
Les activistes indiquent que la condamnation du tribunal de Katanga montre que la CPI a un impact au-delà de ses propres procès à La Haye.
Le 5 mars dernier, après 19 mois de procès, un tribunal militaire du Katanga a reconnu Gédéon Kyungu Mutanga coupable de crimes contre l’humanité, mouvement insurrectionnel et terrorisme. Vingt autres personnes ont également été condamnées pour des charges similaires. Gédéon, communément appelé par son prénom, et six des autres accusés, ont été condamnés à mort.
La Défense a fait appel de la condamnation.
Human Rights Watch, HRW, a parlé d’un procès “historique”, indiquant que les juges avaient utilisé la définition de crimes contre l’humanité du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. HRW a déclaré que cela illustrait l’impact de la CPI au delà de ses propres procès à La Haye.
La Cour procède en ce moment à l’audition des arguments de l’Accusation contre le chef de milice Thomas Lubanga, originaire de la province de l’Ituri, au nord-est du pays. Quatre autres Congolais ont également été inculpés par la CPI.
La milice Mai Mai de Gédéon avait mené un règne de terreur au centre du Katanga de 2003 à 2006. A l’origine soutenu par l‘armée Congolaise au cours de sa guerre avec le Rwanda et l’Ouganda, Kinshasa avait fourni des armes à feu et des munitions à Gédéon pour qu’il stoppe l’avancée des rebelles du Rassemblement pour la démocratie congolaise de Goma.
Lorsque les relations se dégradèrent entre Gédéon et le gouvernement, 150 000 personnes furent forcées à fuir leurs maisons dans les combats qui suivirent. Ses soldats détruisirent les récoltes, pillèrent les biens et le bétail, et forcèrent la population à fuir.
Les parents furent tués sous les yeux de leurs enfants et les parties génitales des femmes mutilées et utilisées comme bracelets. Leurs seins furent utilisés comme colliers.
Dans sa décision, le tribunal a reconnu que le gouvernement était coupable d’avoir manqué à désarmer la milice de Gédéon et a octroyé des millions de dollars d’indemnisation aux victimes.
Maître Jean-Pierre Kuboya qui représentait 75 victimes s’est déclaré “satisfait” avec le résultat de l’affaire. Il s’est déclaré confiant. Si le verdict est confirmé en appel, l’Etat congolais s’exécutera et paiera l’indemnisation.
“Accorder des réparations aux victimes envoie un message fort que le gouvernement n’est pas au dessus des lois,” a déclaré Anneke van Woudenberg de HRW. “Nous exhortons le gouvernement à respecter la décision et à s’y soumettre en priorité.”
Venacie Bisimwa, membre d’un groupe de défense des droits des femmes dans la province du Sud Kivu, a déclaré, “L’Etat congolais doit avoir la capacité et la volonté d’indemniser les victimes.” Elle a exhorté le gouvernement à mettre également en place un programme de soutien aux victimes.
D’autres personnes au sein de groupes de la société civile congolaise ont applaudi le verdict, qu’ils ont décrit comme une étape significative dans la lutte contre l’impunité.
“Les familles des victimes qui suivaient le procès se sont réjouies à l’énoncé de la peine,” a déclaré Ndayi Wamande Mascotch, un sociologue basée dans le Katanga qui a suivi l’affaire.
“Beaucoup de gens étaient convaincus que rien ne sortirait de ce procès.”
On peut leur pardonner leur cynisme.
Le système judiciaire du Congo est connu pour sa corruption et son inefficacité. Les tribunaux civils n’ont pas compétence pour traiter les affaires de crimes de guerre, ce qui fait des tribunaux militaires la seule option pour les gens comme Gédéon.
Bien qu’il pense que les tribunaux militaires fassent vraiment des efforts pour juger les crimes internationaux; Maître Marcel Ochokonda, du groupe de défense des droits de l’Homme, Global Rights, a suggéré que certains avaient été moins efficaces que ceux qui ont traité l’affaire Gédéon.
Ochokonda a cité l’affaire Kilwa à Lubumbashi, au cours de laquelle des juges militaires avaient acquitté neuf soldats pour des crimes de guerre et trois employés étrangers d’une compagnie minière pour complicité de crimes de guerre commis lors d’un massacre à Kilwa. Soixante-treize civils étaient morts au cours de la bataille entre les rebelles et l’armée.
Des observateurs ont indiqué que le procès avait été truffé d’obstructions et marqué par une grande interférence politique et n’avait pas respecté les standards juridiques internationaux. Ils ont indiqué que les autorités congolaises avaient bloqué les enquêtes sur l’incident pendant plus d’un an; que les témoins et victimes avaient été intimidés, et que le Procureur militaire avait été retiré de l’affaire après avoir résisté à des pressions visant à abandonner les charges contre les employés de la compagnie minière.
La sécurité en prison pour les personnes condamnées est également un grave problème au Congo.
En 2006, un tribunal militaire avait condamné sept soldats de l’armée congolaise à la prison à vie pour des viols en réunion de dizaines de femmes dans la ville de Songo Mboyo, au nord du pays. Les juges avaient cité le Statut de Rome dans leur verdict, le premier de l’histoire judiciaire du Congo à reconnaître le viol et la violence sexuelle comme un crime contre l’humanité. Cependant, les hommes s’étaient échappés et sont toujours en fuite.
HRW a appelé le gouvernement à s’assurer que Gédéon et les autres soient emprisonnés dans une installation de haute sécurité. “Bien trop souvent, nous avons vu des gens ayant violé les droits de l’Homme condamnés à leur procès mais laissés ensuite échapper de leur prison à peine quelques semaines ou mois plus tard,” a indiqué van Woudenberg.
HRW a également fait part de ses préoccupations quant à la peine de mort de Gédéon, une préoccupation partagée par le réseau Proddes, une coalition d’organisations de défense des droits de l’Homme, des droits économiques et sociaux. Danny Singoma, le secrétaire permanent du Proddes, a indiqué qu’il s’agit d’une ”étape positive lorsque les seigneurs de guerre sont traduits en justice et condamnés” mais a ajouté que la société civile appelle à ce que la peine de mort soit “abolie une bonne fois pour toutes”.
Ewing Ahmed Salumu est un journaliste basé à Bukavu en mission auprès de l’IWPR à La Haye.