Le procès Lubanga transformé par les victimes

L’implication des Congolais dans le procès suscite le débat.

Le procès Lubanga transformé par les victimes

L’implication des Congolais dans le procès suscite le débat.

Monday, 15 February, 2010
La participation des victimes dans le procès du chef de milice congolais Thomas Lubanga a fondamentalement changé le cours de la procédure, selon des observateurs.



Un total de 99 victimes représentées par sept avocats participent au procès Lubanga à la Cour pénale internationale, CPI. Les avocats sont présents chaque jour dans la salle d’audience, où ils peuvent interroger les témoins et faire passer les vues de leurs clients.



C’est la première fois que les victimes ont la possibilité de présenter leurs vues et préoccupations devant une cour internationale.



“Le paysage de la justice pénale internationale a peut-être changé à jamais, en raison du rôle des victimes,” a déclaré Lorraine Smith, directrice de programme pour la CPI à l’Association internationale du barreau.



Les victimes peuvent demander à participer aux procès devant la CPI si elles sont en mesure de prouver un lien avec les crimes figurant dans l’acte d’accusation. Certaines sont aussi des témoins pour l’accusation.



Les analystes indiquent qu’elles ont modelé le procès Lubanga – le premier à avoir eu lieu à la CPI – de manière discrète et significative à la fois.



Cependant, leur contribution la plus importante jusqu’à présent a été la demande faite par leurs avocats d’ajouter des charges d’esclavage sexuel et de traitement cruel et inhumain à l’acte d’accusation, juste au moment où l’Accusation s’apprêtait à achever la présentation de ses éléments de preuve au printemps dernier.



Pour le moment, Lubanga est uniquement accusé d’enrôlement, de conscription et d’utilisation d’enfants soldats pour les faire combattre dans l’aile militaire de son groupe, l’Union des Patriotes Congolais, UPC, au cours du conflit interethnique ayant eu lieu dans la région en 2002 et 2003.



Les avocats des victimes soutiennent que les dépositions, répétées pendant des mois par les témoins, sur des cas de viols et de violations graves au sein de la milice de Lubanga garantissent l’ajout des nouveaux chefs d’accusation. Ils disent que l’esclavage sexuel faisait partie de la condition d’enfant soldat, et que le fait d’envoyer les enfants au combat constitue un traitement cruel et inhumain.



Les faits existants et les témoignages des victimes indiquent des crimes supplémentaires, selon les avocats, et les chefs devraient être “reclassifiés” pour refléter cela.



Une majorité des juges de la Chambre avait décidé le 14 juillet qu’il était possible d’ajouter de nouveaux chefs et avait de manière controversée décidé que les nouveaux chefs d’accusation devraient être basés sur de nouvelles preuves – et non pas des faits déjà existants.



L’Accusation tout comme la Défense ont demandé l’autorisation d’interjeter appel contre la décision du 14 juillet. Les juges n’ont pas encore répondu.



On ne peut pas encore dire clairement de quelle manière cela va finalement influer sur la procédure, mais les développements récents ont mis en évidence la question compliquée de la participation des victimes.



“Le procès a été indéniablement modifié par l’influence des victimes,” a déclaré Kevin Jon Heller, maître de conférence à la faculté de droit de Melbourne.



Selon Heller, l’idée que les victimes puissent simplement demander de tout nouveaux chefs d’accusation en plein milieu du procès est troublante.



Si la décision des juges rendue le 14 juillet était confirmée, cela voudrait selon lui dire que l’affaire Lubanga pourrait nécessiter une nouvelle enquête.



L’Accusation a exprimé une inquiétude similaire dans sa demande d’appel, déclarant, “La décision va exiger que les parties enquêtent, préparent et abordent les incidents et évènements qui n’ont pas été plaidés.”



Selon Heller, cela pourrait constituer un dangereux précédent.



“Un accusé pourra-t-il jamais être en sécurité, si à tout moment pendant un procès … la Chambre peut juste recaractériser les faits pour ajouter de nouvelles charges?” a-t-il dit à l’IWPR. “Vous ne pourrez jamais être certain que votre défense est adaptée ou correctement calquée sur les charges, parce que vous ne saurez jamais quelles sont les charges.”



Mais Smith, de l’IBA, a déclaré à l’IWPR que les victimes exerçaient simplement les droits qu’elles s’étaient vu attribuer, ce qui comprend la présentation de leurs vues et préoccupations à la Cour.



Elle a déclaré qu’alors que la demande des victimes a eu un impact frappant sur le procès, il revient finalement aux juges de “s’assurer que les droits de la défense ne sont pas mis en danger à ce stade crucial”.



Param-Preet Singh, avocat auprès de Human Rights Watch, est du même avis.



“La décision appartient aux juges et ce qu’ils décident est le bon équilibre, donnant de l’importance à la participation des victimes et protégeant les droits de la défense.”



Smith, reconnaît cependant que le moment choisi pour la demande des victimes est “fâcheux” étant donné l’état d’avancement du procès.



“Cela met vraiment la Défense dans une position difficile,” a-t-elle dit. “Ce qui est important pour la suite est que nous n’ayons pas une situation où la présence des victimes finit par être inéquitable.”



Un des avocats de Lubanga, Jean Marie Biju-Duval, a déclaré à l’IWPR en juin que le fait d’ajouter de nouvelles charges viendrait “gravement violer les droits fondamentaux de l’accusé et son droit à un procès en bonne et due forme”. Il a indiqué que de nouvelles charges signifieraient que tous les témoins de l’Accusation auraient à revenir devant la Cour pour que la Défense puisse les interroger une deuxième fois.



“Cela créé un dommage insupportable pour l’accusé,” a déclaré Biju-Duval.



La Défense devrait commencer la présentation de ses éléments de preuve en octobre, mais cette date est désormais liée au résultat de tout appel.



Mais les avocats des victimes disent qu’ils ont clairement exprimé leurs intentions dès le premier jour du procès le 26 janvier.



Au cours de son exposé initial, l’avocate congolaise Carine Bapita avait allégué que des jeunes filles recrues avaient été violées et frappées dans la milice de Lubanga.



Elle avait dit aux juges que les victimes se “[réservent] le droit de solliciter de votre Chambre une qualification de certains faits de la cause en infraction d’esclavage sexuel, à mettre à la charge de l’accusé Thomas Lubanga.”



Les avocats des victimes disent que les charges actuelles n’ont jamais reflété la véritable expérience de leurs clients.



“L’Accusation considère probablement que le fait d’obtenir une condamnation est plus important que la qualification des charges, et que les différents aspects pourront être pris en compte lorsqu’il s’agira de débattre de la peine,” a déclaré Luc Walleyn, un avocat des victimes, à l’IWPR.



“Mais pour nos clients, le nombre d’années de prison que M. Lubanga devrait recevoir n’est pas la première préoccupation. Ils veulent que la réalité de ces crimes soit reconnue, et c’est pourquoi nous avons déposé cette demande."



Mais Heller prétend que l’étendue des charges n’est pas quelque chose que les victimes peuvent contrôler.



“Les victimes ont un droit absolu à faire pression, déposer des mémoires, débattre au sein de l’opinion publique, mais la décision finale de porter des charges revient au procureur,” a-t-il dit.



Comme l’IWPR l’avait relaté le 25 juin, l’absence de charges de violence sexuelle dans l’acte d’accusation de Lubanga a depuis longtemps été un point de discorde pour les victimes et les ONG.



Alors qu’Heller a reconnu qu’il est “consternant” que ces charges n’aient pas été portées en premier lieu, il pense que “Ce n’est pas le rôle des victimes à un procès de décider quelles charges doivent être soulevées.”



Mais les avocats disent que c’est précisément pour cela que la participation des victimes existe.



“Si le procès passe a côté de la question importante de ce qui est arrivé du point de vue de l’expérience [des victimes], tout l’intérêt de la participation des victimes est que cela peut être rectifié,” a expliqué Mariana Goetz, conseillère de programme sur la CPI auprès de REDRESS, qui travaille pour les victimes de torture.



“C’est un moyen d’éviter la nature exclusive des procédures [devant les tribunaux ad-hoc qui ne permettent pas la participation des victimes], où il faut que les victimes se mobilisent de manière agressive contre un procès parce qu’il ne répond pas à leur réalité,” a-t-elle dit.



Les observateurs reconnaissent que les victimes ont été en mesure d’aborder des questions que l’Accusation ne penserait pas à soulever.



“Il y a des exemples spécifiques où les victimes ont vraiment ajouté au processus général du procès et à la compréhension des questions,” a déclaré Smith.



Elle a indiqué que la question des noms en République démocratique du Congo, RDC, avait pris de l’importance après que la Défense ait noté que les noms des témoins différaient dans les divers documents soumis à la Cour.



Etant donné que cette divergence pourrait menacer la crédibilité des témoins, les avocats des victimes ont soumis une analyse sur l’histoire, le processus et le contexte juridique de l’attribution des noms en RDC.



En résultat, les juges ont décidé de faire venir un expert congolais sur la question, qui comparaîtra devant la Cour comme témoin quand le procès reprendra.



“Ils ont une valeur qu’ils ont apportée au procès en raison de leur expertise locale et de leur connaissance,” a déclaré Smith.



Walleyn a indiqué que cette expertise locale était cruciale pour le procès.



“Il y a un grand fossé entre le procès à La Haye et la réalité en Ituri,” a-t-il dit. “Sans la présence des victimes, je crains que la procédure n’ait été perçue par de nombreuses personnes en Ituri comme un évènement surréaliste."



Rachel Irwin est reporter auprès de l’IWPR à La Haye.
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