L'avenir du procès Lubanga en jeu

Les juges de la CPI vont décider très prochainement si la procédure chaotique contre le seigneur de guerre originaire de RDC va se poursuivre.

L'avenir du procès Lubanga en jeu

Les juges de la CPI vont décider très prochainement si la procédure chaotique contre le seigneur de guerre originaire de RDC va se poursuivre.

Tuesday, 17 June, 2008
Les juges ont appelé à un arrêt indéterminé de la procédure contre un chef de milice congolais et vont se prononcer la semaine prochaine au sujet de son éventuelle remise en liberté.



Ils ont accusé le Procureur d’avoir abusé de ses pouvoirs et, dans une décision prise le 13 juin, ont déclaré que le procès de Thomas Lubanga “a été interrompu à un tel degré qu’il est désormais impossible de réunir tous les éléments d’un procès équitable”.



Lubanga – qui est accusé du recrutement d’enfants soldats dans l’est de la République démocratique du Congo, RDC – devait être jugé à partir du 23 juin après plus de deux ans de détention à la CPI. L’affaire, la première de la Cour, a fait l’objet d’une grande attention, particulièrement au Congo où l’intérêt est allé croissant ces dernières semaines étant donné que le procès longtemps retardé – et très attendu – allait enfin commencer.



Mais la semaine dernière, les juges ont suspendu l’affaire et vivement critiqué le Procureur pour ne pas avoir présenté des documents de preuve à l’équipe de défense de Lubanga. Le procès devait au départ débuter le 31 mars, mais avait été retardé en raison du même problème.



“Si, dès le départ, il est clair que les conditions essentielles requises pour un procès équitable ne sont pas réunies et qu’il n’y a pas d’indication suffisante que ce problème va être résolu au cours du procès, il est nécessaire – et même inévitable – que la procédure soit interrompue,” ont écrit les juges dans leur décision.



“Il serait totalement erroné pour un tribunal pénal de commencer, ou de continuer un procès une fois qu’il est apparu clairement que la conclusion inévitable du jugement final va être que les procédures sont viciées en raison d’une injustice qui ne va pas être rectifiée.”



Ce dernier fiasco tourne autour de plus de 200 documents transmis à l’Accusation par les Nations Unies et d’autres sources. Le Procureur a admis que certains de ces documents étaient disculpatoires – contenant des preuves qui pourraient justifier ou excuser les actes de Lubanga ou montrer qu’il n’est pas coupable.



Cependant, ces documents ont été obtenus par l’Accusation en vertu d’un accord de confidentialité et ne peuvent donc être montrés ni à la défense, ni aux juges.



Une disposition du Statut de Rome, sur laquelle la Cour est basée, permet que de tels accords soient conclus, mais uniquement dans des circonstances exceptionnelles et seulement si l’information fournie est ensuite vérifiée de manière indépendante par les propres recherches du Procureur.



“Cette disposition doit pouvoir permettre aux Procureur d’avoir accès aux informations clefs des acteurs internationaux opérant dans…une zone de conflit,” a déclaré Lorraine Smith de l’Association internationale du barreau.



Elle a souligné que les informations obtenues des sources confidentielles n’étaient pas destinées à soutenir les chefs d’inculpation mais à assister le Procureur dans la production de nouveaux éléments de preuve.



“En raison de cela, il existe une clause selon laquelle les fournisseurs d’information peuvent imposer une restriction quant à leur utilisation, comme exiger que le Procureur ne divulgue pas ces informations, même aux juges,” a déclaré Smith.



Géraldine Mattioli de Human Rights Watch a ajouté, “Il y a souvent de bonnes raisons pour lesquelles les sources veulent la confidentialité – pour protéger leur personnel, les questions de sécurité, et les organisations telles que la MONUC [Mission de l’ONU en RDC] qui pourraient être attaquées s’ils transmettent des documents à la Cour.”



Mais les juges affirment que les procureurs ont abusé de cette provision.



Ils ont qualifié l’utilisation faite par le Procureur des accords de confidentialité dans l’affaire Lubanga d’inappropriée et abusive et ont indiqué qu’ils étaient obligés de correctement révéler les preuves à la défense.



Lorsque les États parties ont délibéré au sujet des pouvoirs du Procureur lors de la mise en place de la CPI en 1998, ils ont décidé que le but du bureau serait de découvrir la vérité, pas seulement de condamner les coupables. Cela signifie que l’Accusation doit transmettre aux avocats de la défense les preuves qui atténuent la culpabilité ou la remettent en question.



Le Procureur a ouvertement admis qu’il aurait été incapable d’ouvrir une enquête sur la RDC sans les informations transmises par l’ONU conformément aux accords de confidentialité.



“Le problème actuel reflète le processus difficile dans la sélection des premières enquêtes en RDC. Il nous a fallu beaucoup d’informations pour identifier les différents chefs des groupes et les criminels potentiels,” a expliqué Béatrice Le Fraper Du Hellen, du Bureau du Procureur.



L’affaire étant désormais sérieusement menacée, une audience a été prévue pour le 24 juin pour discuter de la libération de Lubanga.



Depuis son transfert de la prison de Kinshasa en mars 2006, il est incarcéré à La Haye, accusé de conscription et d’enrôlement d’enfants soldats qu’il aurait fait combattre en Ituri, une région riche en minéraux au nord-est de la RDC, théâtre de conflits interethniques sanglants depuis la fin des années 80, souvent au sujet de l’accès à l’or, aux diamants et au bois.



Il est le fondateur de l’Union des Patriotes congolais, UPC, et le commandant allégué de son aile militaire, les Forces patriotiques pour la libération du Congo, FPLC.



Mattioli pense que la première affaire de la CPI peut encore être sauvée si le Procureur persuade l’ONU de permettre aux juges d’étudier les documents confidentiels.



“C’est la solution de compromis offerte par les juges,” a déclaré Mattioli. “Les juges ont déclaré, ‘nous allons étudier des documents et nous déterminerons si oui ou non ils sont disculpatoires’.



“S’ils ne sont pas d’accord, alors nous avons un sérieux problème.”



Le Fraper Du Hellen a déclaré qu’il revient maintenant aux juges de décider si Lubanga va jamais être jugé par la CPI.



“Nous étudions la décision et il a de nombreuses questions clefs,” a-t-elle indiqué. “Nous allons essayer de résoudre les problèmes juridiques posés dans la décision, et nous espérons qu’une nouvelle date pour le début du procès sera programmée très prochainement.



“Je souligne que cela relève entièrement des attributions des juges, et nous respectons pleinement leur décision. Nous voulons que tous les procès et les procédures soient considérés comme absolument équitables et du plus haut niveau juridique.”



Interrogé quant à son opinion par rapport à l’éventualité que le Procureur modifie sa stratégie, Le Fraper Du Hellen a déclaré, “Cela a toujours été notre volonté de fournir les informations à la défense, et la question est désormais de trouver un équilibre avec nos engagements envers nos fournisseurs d’information. Nous pensons pouvoir trouver une solution appropriée.”



Sur le terrain au Congo, un retard indéterminé pour le procès de Lubanga est un désastre du point de vue des relations publiques de la Cour.



De nombreux Congolais sont frustrés et mécontents, alors que les sympathisants de Lubanga jubilent – présentant les évènements récents comme des preuves que Lubanga n’est pas coupable. Mattioli a déclaré que la CPI devait agir immédiatement pour contrer toute désinformation.



“Nous comptons sur la Cour pour avoir organiser une campagne spéciale de communication pour expliquer cette décision aux gens au Congo,” a-t-elle indiqué. “Cela va créer une grande confusion. Ils doivent expliquer l’essence du travail de la Cour – s’assurer que les droits de l’accusé soient respectés.”



Katy Glassborow et Lisa Clifford sont reporters de l’IWPR à La Haye.
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