L'arrestation de Bemba établi un précédent clé

La CPI a jusqu’à présent inculpé uniquement des commandants de rang moindre, et non pas les personnes accusées de porter la principale responsabilité pour les crimes.

L'arrestation de Bemba établi un précédent clé

La CPI a jusqu’à présent inculpé uniquement des commandants de rang moindre, et non pas les personnes accusées de porter la principale responsabilité pour les crimes.

L’arrestation survenue le week-end dernier de l’ancien chef de milice Jean-Pierre Bemba, une figure politique de premier plan et un homme d’affaires en République démocratique du Congo, RDC, a été acclamée par les groupes de défense des droits de l’homme, mais condamnée par ses sympathisants comme un acte politiquement motivé.



Bemba, arrêté dans la banlieue de Bruxelles, où il vivait, a été inculpé par la Cour pénale internationale, CPI, pour des crimes commis dans le pays voisin de la RDC, la République centrafricaine, RCA.



Comme président du célèbre Mouvement pour la libération du Congo, MLC, et ancien candidat à la fonction présidentielle, il est le personnage politique de plus haut rang à avoir été coincé par la CPI pour y être poursuivi.



Le MLC de Bemba était un groupe armé lors du conflit de 2002-2003 en RCA, qui devint finalement un parti politique en RDC. Bemba fut également candidat lors de l’élection présidentielle de 2006 en RDC, qui fut remportée au second tour par le président Joseph Kabila.



Selon l’acte d’accusation révélé par la CPI le 24 mai, le jour de son arrestation, les forces de Bemba auraient terrorisé et brutalisé des civils innocents et mené une campagne de viol et de pillages lorsqu’elles étaient en RCA.



L’acte d’accusation de la CPI se focalise sur le nombre élevé de viols particulièrement brutaux menés par les forces de Bemba. “Il l’avait fait avant en RCA, il l’avait fait avant en RDC. Il fallait qu’il soit stoppé,” a déclaré le Procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo.



“L’arrestation de M. Bemba est un avertissement à tous ceux qui commettent, encouragent ou tolèrent les crimes à caractère sexuel. Il existe un nouvel instrument juridique appelé le Statut de Rome. Selon ce nouvel instrument, ils seront poursuivis,” a indiqué Moreno-Ocampo.



Marceau Sivieude, le directeur du bureau africain de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme, a accueilli l’arrestation de Bemba, déclarant que les victimes des crimes commis par les milices dans la région avaient passé trop de temps sans recevoir une quelconque forme de justice.



“Les victimes ont toujours été mises de côté et n’ont jamais eu la chance d’obtenir justice ou de recevoir des réparations,” a-t-il indiqué. “Nous avons le sentiment que l’absence de justice est l’une des raisons pour la continuation des guerres et du conflit en RCA.



“Nous sommes ravis que la CPI ait commencé avec Bemba, qui n’est pas un petit poisson. Nous espérons que cela va avoir un impact, non seulement en RCA, mais dans toute l’Afrique.”



Sivieude a ajouté que les crimes commis par les autres chefs de la RCA devraient aussi être instruits.



“Nous espérons que la Cour va viser tous les responsables des crimes”, parce que, selon lui, la milice de l’ancien président de la RCA, Ange Félix Patassé, avec lequel Bemba était aligné, a également commis des atrocités.



“Nous voulons que la Cour soit très objective, et qu’elle inculpe les auteurs des pires crimes internationaux commis,” a-t-il dit, “d’où qu’ils viennent et de quel côté du conflit qu’ils aient été.”



Parce qu’elle aborde les crimes commis par une force provenant d’un certain pays dans un autre pays, a ajouté Sivieude, l’arrestation de Bemba montre que la Cour a élargi son champ d’action.



L’arrestation de Bemba, un ancien vice président de la RDC pourrait, selon lui, tempérer les critiques selon lesquelles la CPI a jusqu’à présent inculpé uniquement des commandants de rang intermédiaire, et non pas ceux censés porter la responsabilité générale des crimes, “C’est un gros poisson, qui aura un impact important sur le terrain et sur le plan international.”



Fatou Bensouda, le procureur adjoint à la CPI, a déclaré que la Cour conduisait des enquêtes et cherchait les coupables indépendamment des frontières nationales.



“Cela n’a pas d’importance où les suspects se trouvent, pour autant qu’ils sont impliqués dans les crimes que nous instruisons, et qu’ils en sont les principaux responsables,” a-t-elle déclaré à l’IWPR.



“C’est ce qui nous motive – la preuve, et la détermination de punir les principaux responsables des crimes. Cela peut nous mener à n’importe qui, et leur localisation ou position actuelle, ou leur position antérieure, ne comptent pas pour les décisions que nous prenons.”



Les réactions en RDC, particulièrement de la part des sympathisants de Bemba, ont été critiques.



La Radio Okapi des Nations Unies a relaté que des milliers membres du MLC avaient marché sur la capitale de la RDC, Kinshasa, pour demander la libération de Bemba. Des protestations ont également été relatées à Mbandaka, la capitale de la province de l’Equatoria, native de Bemba.



Malgré les protestations, certains observateurs ne s’attendent pas à une répétition des violences de mars 2007 entre les combattants fidèles à Bemba et le gouvernement, un affrontement qui l’avait forcé à quitter le Congo. Bien que sénateur et bénéficiant ainsi de l’immunité de juridiction en RDC, il avait été inculpé pour trahison et s’était enfui au Portugal.



François Mwamba, le secrétaire général du MLC, a suggéré que l’arrestation de Bemba était politiquement motivée parce qu’elle intervenait juste avant son retour au Congo, prévu selon les rumeurs. Bemba avait récemment été élu porte parole du parti de l’opposition en RDC, ce qui l’avait hissé au rang de principal critique du président Kabila.



“L’arrestation du sénateur Jean-Pierre Bemba, quelques jours [après] son élection comme porte-parole de l’opposition, ne peut pas être [une coïncidence], en particulier étant donné que ni Ange Félix Patassé, ni les chefs de son armé qui bénéficiaient du soutien des troupes du MLC, n’ont été soumis à une quelconque procédure,” a indiqué Mwamba à Radio Okapi.



Andrew Philip, chercheur sur le Congo auprès d’Amnesty International, a déclaré qu’il était surpris qu’un tel personnage politique de haut rang ait été arrêté. “Les actes d’accusation atteignent maintenant un niveau de personnes assez importantes,” a indiqué Philip.



Mais l’arrestation a inquiété certains observateurs parce qu’elle ne s’est pas focalisée sur les crimes commis en RDC.



“Il existe un certain degré de surprise, ou de consternation, qu’il ne soit pas amené pour être jugé pour les crimes commis au Congo,” a déclaré Philip. Bien qu’il ait loué le fait que l’affaire “traite surtout de la violence sexuelle”, il a indiqué que certaines personnes étaient inquiètes parce que cette violence avait eu lieu en RCA, et non pas au Congo, un pays qui a souffert d’une épidémie de viols.



Le parti politique de Bemba fait désormais face à une importante décision, a déclaré Philip, quant à la manière de traiter cette arrestation, “Le MLC esyt désormais face à un défi qui consiste à tourner la page et à trouver un nouveau chef qui peut rassembler un certain soutien.”



Dans le reste de l’Afrique, l’arrestation a été bien accueillie.



Nganatouwa Wanfiyo Goungaye, juge et président de la ligue centrafricaine des droits de l’Homme, a indiqué que cela pourrait dissuader d’autres chefs de milice de commettre de tels crimes dans le futur.



“Le fait que le Procureur ait pris un si gros poisson et l’ai jeté en prison, agit d’une manière dissuasive,” a-t-il dit. “C’est ce qui stoppe les criminels.”



L’arrestation de Bemba, a-t-il dit, a été une victoire, “C’est vraiment une grande satisfaction, même si cela a été un long processus. Je le dis aussi au nom des victimes avec lesquelles j’ai travaillé. Il y a vraiment une importante réaction de satisfaction.



“Je pense qu’outre Bemba … d’autres arrestations vont devoir suivre,” a indiqué Goungaye, mentionnant Patassé et l’aide mercenaire, Abdoullah Miskine, comme des suspects potentiels. En outre, a-t-il dit, la responsabilité du chef de l’État actuel (le président François Bozizé) pourrait être remise en question.”



Les personnes a être toujours recherchées par la CPI incluent Bosco Ntaganda, accusé de crimes dans la région de l’Ituri en RDC, et qui continue à être le chef d’État major de l’ancien commandant rebelle Laurent Nkunda, le chef d’une milice tutsie dans l’est du Congo.



En outre, la CPI a des mandats d’arrêt contre Joseph Kony, chef de l’Armée de résistance du Seigneur actuellement basé dans le parc de la Garamba au nord-est de la RDC, mais dont les forces ont récemment été vues en train d’attaquer des villages dans la zone.



Au Soudan, la CPI recherche Ahmed Harun, ministre des affaires humanitaires pour le Soudan; et un chef de milice janjawid, Ali Kushayb. Les deux soudanais sont inculpés pour 51 chefs de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.



Bensouda a déclaré qu’elle espérait que d’autres pays suivraient le geste de la Belgique et arrêteraient les suspects.



“L’arrestation de Bemba a uniquement été rendue possible grâce à l’excellente coopération de la Belgique, et nous espérons que la remise de Bemba par la Belgique à la Cour aura lieu rapidement et sans délai,” a indiqué Bensounda.



“Nous comptons sur une coopération similaire de la part d’autres États pour aider à exécuter des mandats d’arrêt de la Cour, comme le Soudan, l’Ouganda et la RDC. Nous comptons sur d’autres pays pour prendre exemple sur la Belgique.”



Katy Glassborow, Lisa Clifford, et Stephanie Wolters à La Haye, avec Eugène Bakama Bope à Bruxelles, ont contribué à cet article.
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