L'armée exhortée à s'attaquer à l'impunité

Il y a eu quelques poursuites, mais de nombreux crimes restent impunis.

L'armée exhortée à s'attaquer à l'impunité

Il y a eu quelques poursuites, mais de nombreux crimes restent impunis.

Tuesday, 1 September, 2009
Certains groupes de défense des droits de l’Homme indiquent que davantage devrait être fait pour poursuivre les crimes commis par les échelons supérieurs de l’armée, malgré la condamnation récente d’un officier supérieur au sein des forces armées, poursuivi pour des actes de violence sexuelle.



Le 27 juillet, un tribunal militaire a reconnu le Colonel Ndayambaje Nyangara Kipanga coupable du viol de trois jeunes femmes dans la province du Nord Kivu en République démocratique du Congo, RDC.



Il a été condamné à une peine de prison à perpétuité et a reçu l’ordre de payer 5 000 dollars US à chacune des victimes. Kipanga n’était cependant pas présent à l’audience lorsque le verdict a été rendu étant donné qu’il s’était échappé de la prison le 9 mai, deux jours après son arrestation.



Néanmoins, ce procès constitue l’une des rares occasions au cours desquelles un officier de tel haut rang a été condamné en RDC.



Kipanga a également été accusé d’avoir offert des femmes à deux de ses subordonnés.



Un de ces officiers militaires – le Major Njoloko Lusungu – a ensuite été condamné à dix ans de prison pour viol. L’autre homme a été acquitté.



Avant de rejoindre les forces armées congolaises, connues sous leur acronyme français de FARDC, Kipanga était membre du Congrès national pour la défense du peuple, CNDP, une milice rebelle qui avait auparavant fait la guerre contre le gouvernement.



Lorsque le CNDP s’était scindé au début de l’année 2009, de nombreux anciens combattants furent intégrés à l’armée.



Rambo, un sergent au sein des forces armées, a expliqué que le manque d’argent poussait de nombreux soldats à commettre des activités criminelles.



“Je n’ai pas été payé depuis cinq mois. Comment puis-je vivre avec ma femme et mes enfants?” interroge-t-il. “Personne ne peut résister à ces conditions dans lesquelles nous vivons. Si nous ne [pillons] pas les civils, nous n’avons alors aucun moyen de vivre. Nos dirigeants savent cela et ils nous tolèrent, sachant qu’ils ne peuvent pas nous punir parce qu’ils ne nous donnent rien.”



Juliane Kippenberg, une chercheuse principale auprès de Human Rights Watch, HRW, qui a récemment rédigé un rapport sur les violations commises par l’armée congolaise, indique que la question de l’impunité est abordée mais qu’un long chemin reste à parcourir.



“Il y a quelques années, il n’y avait pratiquement pas de poursuites contre quiconque,” explique-t-elle. “Maintenant les poursuites ont lieu de manière relativement régulière, bien que cela soit loin de correspondre au nombre de crimes commis et les officiers de haut rang ne sont toujours pas poursuivis.”



Kippenberg explique que la condamnation de Kipanga est une exception, et que le fait qu’il se soit échappé indique d’autres points faibles dans le système de justice congolais qui doivent aussi être abordés.



Kippenberg reproche à la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo, MONUC, de n’avoir pas fait assez pour protéger les civils des actes de violence sexuelle commis par les forces armées.



“La MONUC n’a pas assez fait pression sur l’armée pour qu’elle mette fin aux violations des droits de l’Homme dans ses rangs,” a-t-elle dit. “Si l’armée a encore des officiers qui commettent des violations, la MONUC devrait cesser de coopérer.”



De son côté, la MONUC indique qu’elle a fait de la lutte contre l’impunité au sein des forces armées une priorité.



“Par le passé, les officiers de rang supérieur n’ont jamais été traduits en justice pour des actes de violence sexuelle,” a déclaré Leila Zerrougui, représentante spéciale adjointe de la MONUC à l’IWPR. “Nous devons dire clairement que la volonté existe pour commencer à traduire ces hommes en justice. Il doit y avoir une politique de tolérance zéro envers l’impunité.”



Au début du mois d’avril, la MONUC avait dévoilé une stratégie globale pour combattre la violence sexuelle en RDC.



Les objectifs clefs comprennent le fait de renforcer l’obligation du personnel militaire de rendre des comptes pour les crimes et d’introduire un meilleur mécanisme de contrôle avant d’accepter les gens dans les forces armées.



Jusqu’à présent, cette stratégie a été déployée uniquement dans les provinces du Nord et du Sud Kivu et elle commence déjà à montrer quelques signes de succès. La procédure contre Kipanga a été menée sous pression de la MONUC. Quelques 20 procès supplémentaires pour des violations commises par des soldats devraient avoir lieu en septembre, au Nord et au Sud Kivu.



Zerrougui indique que 6 433 incidents de violence sexuelle ont été relatés au sein de la RDC au cours des six derniers mois, la moitié d’entre eux dans les provinces des Kivus, 2 075 provenant du seul Nord Kivu.



“Etant donné que l’est du pays est la région où la plupart des cas ont été commis, c’est là où nous avons concentré nos efforts,” a déclaré Zerrougui.



Elle aimerait que toute la stratégie soit également étendue à d’autres provinces en RDC, mais cela pourra être fait uniquement si les donateurs sont prêts à sponsoriser sa mise en œuvre élargie.



Kippenberg, de HRW, s’est réjouie de la grande envergure qui caractérise la stratégie de la MONUC, mais reste préoccupée que, sans financement adéquat, elle pourrait ne pas parvenir à atteindre tous ses objectifs.



“Si la stratégie de la MONUC est correctement mise en œuvre, cela aidera certainement,” a-t-elle dit. “Mais cela nécessitera beaucoup de fonds et une forte volonté politique, et je ne suis pas sûre que l’un ou l’autre de ces éléments soit présent.”



En mai, une délégation du Conseil de Sécurité de l’ONU avait visité Kinshasa pour exhorter le gouvernement du président Joseph Kabila à prendre vraiment position contre les violations au sein de l’armée.



La délégation a présenté à Kabila une liste contenant les noms de cinq dirigeants des FARDC, qu’ils accusent d’avoir mené des actes de violence sexuelle.



Ils ont demandé à Kabila de prendre les actions nécessaires pour traduire ces officiers en justice, mais HRW indique que rien n’a été fait jusqu’à présent.



Le gouvernement congolais a répondu aux critiques de HRW, insistant sur le fait qu’il applique une politique de tolérance zéro face à ceux qui commettent des violations des droits de l’Homme.



“En termes de vol, viol et violations des droits de l’Homme, le personnel militaire, quelque soit son rang, sera arrêté et traduit en justice,” a déclaré le Colonel Leon Richard Kasongo, porte-parole des FARDC.



Le porte-parole a reconnu que l’intégration d’anciens rebelles du CNDP au sein de l’armée pouvait avoir causé certains problèmes, mais a insisté sur le fait que de telles violations restent des évènements isolés.



“Aujourd’hui, nous avons une armée constituée d’éléments qui viennent de tous les côtés,” a déclaré Kasongo. “Ceux qui rejoignent l’armée ne connaissent pas tous les règles militaires. Mais une fois intégrés, ils sont capables d’assimiler les valeurs clés de l’armée. Peut-être qu’un ou deux officiers peuvent commettre un acte particulier, mais il ne s’agit pas de violations systématiques.”



Il y a des signes qui indiquent que le gouvernement est préparé à adopter une position plus sévère contre les soldats qui s’écartent du droit chemin, mais HRW craint qu’un tel enthousiasme à défier ses détracteurs pourrait entraîner des erreurs judiciaires.



Le 8 juillet dernier, le sergent Eric Ndagijimana, un officier de rang inférieur, avait été arrêté, soupçonné d’avoir violé une femme enceinte au Sud Kivu.



Trois jours plus tard, au cours d’un procès à forte visibilité qui avait eu lieu dans la ville de Wanga, il avait été condamné à 15 ans de prison.



Exceptionnellement, et malgré le rang relativement inférieur de Ndagijimana, le procès avait été tenu en audience publique. Il avait fait l’objet d’une large publicité et de nombreux commandants militaires supérieurs de la région environnante avaient été invités à y assister.



“Ce procès, qui a eu lieu sur une très courte période, est un développement inquiétant,” a déclaré Kippenberg. “Il a été rapidement organisé par l’armée pour montrer que les choses sont en train d’être faites.”



La MONUC a soulevé des préoccupations similaires au sujet du procès, et était sur le terrain pour s’assurer que tout se déroulait conformément aux règles d’un procès en bonne et due forme.



“Notre inquiétude principale était que le procès s’est déroulé très vite, ce qui rendait difficile pour l’accusé de préparer une défense adéquate,” a indiqué Zerrougui. “Cependant, l’accusé a bien bénéficié de l’accès à un avocat et ne semble pas avoir été mal traité.”



Zerrougui craint aussi pour la sécurité de la victime, étant donné que le procès a été conduit de manière publique et qu’elle n’a pas été en mesure de cacher son identité pendant qu’elle témoignait.



Entre-temps, dans les provinces des Kivu, les violations commises par les soldats continuent.



André Kasereka, un propriétaire d’hôtel à Kirumba, à quelques 180 kilomètres de Goma, la capitale du Nord Kivu, s’est plaint, “Les officiers viennent ici et prennent des chambres. Ils payent pour la première semaine et restent ensuite jusqu’à six mois, avant de partir sans payer leur note.”



Germain Kambale, propriétaire d’un magasin à Kanyabayonga, à quelques 155 km au nord de Goma, indique que les soldats ont pillé des biens à plusieurs reprises dans le village. “Ils commencent par prendre ce dont ils ont besoin et vous demandent de les enregistrer pour dettes,” raconte-t-il. “Mais ces dettes ne seront jamais payées.”



Taylor Toeka Kakala est un journaliste formé par l’IWPR. Blake Evans-Pritchard est le Rédacteur Afrique auprès de l’IWPR.

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