La réforme des tribunaux en Ituri trébuche

En dépit d’une intense campagne de réformes, les tribunaux d’Ituri restent largement défectueux.

La réforme des tribunaux en Ituri trébuche

En dépit d’une intense campagne de réformes, les tribunaux d’Ituri restent largement défectueux.

Wednesday, 21 October, 2009
Les efforts internationaux visant à réformer le système judiciaire dans la province de l’Ituri au Nord-est de la république démocratique du Congo, RDC, ont donné lieu à des résultats mitigés, selon les ONG locales.



Malgré certaines améliorations initiales apportées aux infrastructures et à la formation, une corruption de grande ampleur et le manque de protection efficace des témoins signifient qu’un système judiciaire pleinement fonctionnel – sans parler d’un système capable de poursuivre les criminels de guerre de la région – reste un espoir éloigné.



“Sur le plan matériel un équipement a été donné aux juges,” explique Godefroid Mpiana, ancien membre de Justice Plus, une ONG mettant en œuvre des opérations locales à Bunia, la capitale de la région de l’Ituri. “Mais sous d’autres aspects, comme la protection des témoins, rien n’a été résolu.”



Lorsque, à la fin de l’année 2003, le conflit sanglant de l’Ituri était arrivé à son terme, la Commission européenne avait lancé un projet pilote pour réformer le système judiciaire dans l’est du pays, dévasté par les combats.



Au départ, le projet de restauration du système judiciaire était resté limité à Bunia, mais en 2006, la Commission avait annoncé une initiative de plus grande ampleur qui devait s’appliquer au reste de la région.



Le programme de restauration de la justice à l'est de la RDC, REJUSCO, nom sous lequel le programme est connu, est financé conjointement par la Commission européenne, les Pays-Bas, la Belgique et le Royaume-Uni à hauteur de 11,7 millions d’euros.



Quand les réformes avaient commencé à être mises en oeuvre en 2003 et 2004, les juges avaient été transférés d’autres provinces de RDC et vivaient dans des enceintes protégées par la Mission des Nations unies dans le pays, la MONUC. Ils recevaient également un supplément en plus de leur maigre salaire, qui s’élevait à l’époque à 20 dollars US par mois.



Dans le cadre du processus, les juges, les procureurs et le personnel administratif avaient suivi une formation intensive, et les bâtiments des tribunaux et autres installations connexes avaient été reconstruites ou rénovées.



Cette approche eut au départ beaucoup de succès, selon Renaud Galant, directeur de RCN Justice et démocratie, une ONG belge. Son organisation avait mis en oeuvre le programme de réforme de l’Ituri de 2003 à 2006.



Aujourd’hui, les juges reçoivent de plus hauts salaires du gouvernement, mais ils ne sont plus nouveaux en Ituri et ne sont donc plus isolés des évènements locaux ou des tractations politiques de la région, a indiqué Galant.



“La corruption existe toujours, cela coûte simplement plus cher de corrompre un juge,” a-t-il indiqué à l’IWPR.



Innocent Mayembe, le juge président au tribunal militaire de Bunia, pense qu’il faudrait un autre programme de formation intensif pour les juges en Ituri.



“L’éthique des juges est très importante et c’est un aspect qui a été négligé,” a-t-il dit.



Mayembe reconnaît cependant qu’il y a eu quelques procès très réussis à Bunia, particulièrement lors de la première phase des réformes.



Parmi ceux-ci, l’affaire du Chef Mandro Panga Kawa, un ancien membre de la milice de Thomas Lubanga, actuellement en procès pour crimes de guerre à la Cour pénale internationale à La Haye.



Kawa, qui s’était séparé de Lubanga pour former son propre mouvement, a été inculpé de crimes contre l’humanité, y compris le meurtre de 14 personnes lors du massacre du village de Zumbe en 2002.



Mayembe, qui venait d’être nommé au tribunal militaire de Kisangani, avait présidé le procès à Bunia en 2006 et condamné Kawa à 20 ans de prison.



“Toute la population avait vu qu’il était possible d’amener un mauvais garçon [au tribunal] et de le voir se faire condamner,” raconte Galant. Il poursuit en disant que “[Mayembe] était un juge très courageux” parce qu’à l’époque il était toujours très risqué d’arrêter des seigneurs de guerre locaux et de les traduire en justice.



Mais l’affaire Kawa a aussi permis d’illustrer les difficultés des tentatives de réforme d’une région spécifique lorsque l’ensemble du système judiciaire national est défectueux.



Alors que Kawa avait été reconnu coupable à Bunia, le verdict avait été renversé au tribunal militaire de Kisangani en février 2008. Les juges d’appel soutenaient que ses crimes étaient couverts par une loi d’amnistie, même si cette loi excluait spécifiquement les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.



Mayembe a déclaré que, malgré le verdict en appel, la culpabilité de Kawa n’était “pas contestable.”



“Il est nécessaire que les juges congolais soient totalement libres non seulement de la corruption mais aussi des contraintes psychologiques, comme la peur et la pression politique,” a-t-il dit.



Galant pense que le résultat de l’appel de Kawa montre que beaucoup reste à faire avant que des criminels de guerre de haut rang puissent être jugés dans la région.



“Je dirais que même [si] certains juges ont osé [traduire Kawa en justice], ils n’ont pas reçu beaucoup de soutien des juges plus haut placés,” a-t-il dit.



Mayembe a cependant indiqué que la Haute cour militaire avait rejeté le verdict en appel de Kawa, et que l’affaire avait été renvoyée à Kisangani pour réexamen.



Malgré tous les défis impliqués, de nombreux observateurs indiquent qu’une réforme durable est encore possible, mais que la capacité d’enquête de la police et des procureurs doit être améliorée.



“Si vous n’avez pas une bonne enquête, vous n’avez pas un bon procès,” a déclaré Galant.



La MONUC travaille à la création de “cellules de soutien de l’accusation”, qui associeraient des enquêteurs internationaux expérimentés avec leurs homologues en RDC, selon Harriet Solloway, chef de la division État de droit.



“Ces équipes auraient des voitures, des sacs de couchage, des ordinateurs, des bottes, des tentes – tout le nécessaire pour mener les enquêtes là où elles ont besoin d’être menées,” a déclaré Solloway.



Alors qu’il faut encore attendre pour voir si ces idées feront une quelconque différence en Ituri et dans les autres provinces, les experts soulignent que le gouvernement congolais et la communauté internationale ne doivent pas cesser leurs efforts visant à renforcer le système judiciaire national.



“Ils ne jugeront pas tout le monde à la CPI [Cour pénale internationale], alors il y a un grand besoin de soutenir les Congolais [pour qu’ils puissent] juger les [suspects] qui restent,” a déclaré Galant.



Solloway pense qu’avec un soutien adéquat, le système judiciaire congolais serait capable de juger des criminels de guerre de haut rang.



“Avec suffisamment de soutien international, ils pourraient le faire,” a-t-elle dit. “J’aimerais que vous me posiez cette même question dans un an.”



Bien que la CPI n’ait jusqu’à présent pas indiqué qu’elle s’attend à ce que l’Ituri soit un jour capable de juger de telles affaires, certains observateurs ont suggéré que Lubanga aurait pu être pris en charge par des tribunaux locaux dans la province de l’Ituri, d’où il est originaire.



Lubanga est accusé du recrutement, de la conscription et de l’utilisation d’enfants soldats pour les faire combattre dans l’aile militaire de son groupe, l’Union des patriotes congolais, UPC, entre 2002 et 2003.



“Je pense qu’il existait de grands espoirs que [l’affaire Lubanga] soit jugée devant les tribunaux locaux,” a déclaré Phil Clark, politologue à l’Université d’Oxford qui a conduit un travail de terrain intensif dans la région. “Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est un système bien plus solide en Ituri, qui je pense va vraiment contre la tendance au Congo.”



Mais Mayembe exprime certains doutes.



“Lubanga aurait pu être jugé ici, c’est sûr, mais la question est: aurions-nous pu récolter assez de preuves pour prouver sa culpabilité?” a-t-il dit.



Il a ajouté qu’une enquête et un procès sur Lubanga à Bunia auraient mis en lumière d’autres questions compliquées et non résolues, comme la question de savoir comment protéger les témoins apeurés.



“Pour enquêter sur Lubanga, vous devez pouvoir approcher les témoins et victimes, mais en Ituri, les témoins ont peur des représailles,” a déclaré Mayembe. “Vous comprenez donc qu’une enquête sur Lubanga n’aurait pas été si facile.”



Selon les termes du Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, la Cour peut uniquement entreprendre des procédures juridiques dans les cas où les juridictions nationales ne sont pas en mesure ou n’ont pas la volonté d’agir.



Rachel Irwin et Mélanie Gouby sont reporters auprès de l’IWPR à La Haye.
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