La paix fragile de l'Ituri
La population locale affirme que la justice internationale doit jouer un rôle dans la réconciliation et la détermination des causes à la base du conflit.
La paix fragile de l'Ituri
La population locale affirme que la justice internationale doit jouer un rôle dans la réconciliation et la détermination des causes à la base du conflit.
Les Hema et Lendu, combattants acharnés lors des affrontements de 1999-2003, achètent désormais sur les mêmes marchés et prient dans les mêmes églises. “Aujourd’hui, les Hema peuvent traverser paisiblement le territoire Lendu, même la nuit, même ivre, en train de chanter ou même de proférer certaines paroles gauches […] mais sans être inquiétés,” indique John Tinanzabo, un représentant de l’Union des patriotes congolais, UPC, à l’assemblée de la province orientale. “Il y a [toujours] des problèmes d’intérêts liés aux terres, il y a toujours des extrémistes, mais nous avons beaucoup avancé.”
Désormais parti politique, l’UPC était au départ une milice qui prétendait défendre la communauté Hema. Le chef de l’UPC, Thomas Lubanga a été inculpé par la Cour pénale internationale, CPI, à La Haye et son procès pour des chefs d’accusation de recrutement d’enfants soldats au cours de la guerre va commencer le 26 janvier prochain.
Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo, chefs de milices lendus, sont également à La Haye accusés de crimes de guerre en Ituri. La Cour a émis un mandat d’arrêt contre l’associé de Lubanga, Bosco Ntaganda en avril dernier, mais il est toujours en liberté, dans le Nord Kivu voisin.
Historiquement, les deux communautés ont vécu ensemble, et les mariages intercommunautaires ont été nombreux, mais des ressentiments se sont développés à l’époque coloniale lorsque l’administration belge a favorisé les Hema. Les Lendu se sont plaints de la discrimination, et les problèmes ont commencé.
Les conflits fonciers entre les gardiens de bétail hema et les agriculteurs lendu ont éclaté de manière occasionnelle au cours des années, mais c’est en juin 1999 que le différend s’est aggravé, alimenté par l’Uganda. Kampala, qui voulait avoir accès aux ressources en or, diamants, pétrole, bois et coltan de l’Ituri a soutenu les Hema, alors que les armées congolaises et rwandaises se postaient, derrière leurs rivaux.
Ce conflit brutal et complexe a finalement coûté la vie à près de 50 000 personnes et provoqué le déplacement de quelques 500 000 autres. Human Rights Watch et d’autres organisations ont documenté les cas de viols de masse, assassinats, pillages, incendies criminels, mutilations, décapitations et cannibalisme.
En 2005, la Cour internationale de Justice, CIJ, a conclu que l’Ouganda avait violé la souveraineté du Congo en occupant l’Ituri et en soutenant les rebelles. La Cour a également conclu que l’Ouganda avait pillé les ressources naturelles et commis des violations des droits de l’homme sur le territoire congolais.
Les chefs des communautés Hema et Lendu sont aujourd’hui d’accord pour dire que le conflit de l’Ituri avait peu à voir avec l’ethnicité mais tout avec la politique et l’argent.
“Les deux communautés se sont battues l’une contre l’autre sans même savoir pourquoi,” explique François Dhedda, un Lendu. “Nous avons été manipulés pour des raisons économiques.”
Ce point de vue est partagé par Shukrani Byarufu, un dirigeant de la communauté musulmane de Bunia, “Par le passé, les conflits étaient de courte durée. Il était possible de trouver une solution. Mais cette guerre a été utilisée par les politiques qui l’ont manipulée.”
Le conflit s’est finalement terminé suite à l’intervention de la communauté internationale et d’une mission conduite par l’Union européenne pour stabiliser l’Ituri. Une force des Nations Unies, la MONUC, a ensuite été déployée, et est encore sur le terrain aujourd’hui.
Les Ituriens disent que la population locale – et les milices – ont été épuisées par des années de guerre, ce qui a également contribué à l’extinction du conflit.
Aujourd’hui, les milices ont été largement désarmées et d’anciens rebelles tels que Peter Karim du Front des nationalistes et intégrationnistes, FNI, et Cobra Matata des Forces de Résistance Patriotique d’Ituri, FRPI, ont rejoint l’armée Congolaise. Mais la méfiance entre les communautés est toujours latente, tout comme le sentiment que l’Ituri est ignoré par le gouvernement de Kinshasa, situé à des milliers de kilomètres.
Byarufu explique que les mémoires sont longues en Ituri, “Pardonner est une chose, mais oublier en est une autre. Il serait faux de dire que les gens vivent désormais ensemble et qu’ils ont oublié. Les ressentiments et les peurs subsistent.”
Certaines personnes sur place affirment que s’il l’on veut conserver cette paix fragile, la justice internationale doit jouer un rôle à la fois dans la réconciliation et dans la détermination des causes à la base du conflit.
“C’était par rapport aux terres et depuis personne n’a abordé ce problème,” indique Dieudonné Mbuna, un chef de communauté Hema. “Nous devons remonter à la base des véritables raisons de ce conflit et établir les faits. La communauté internationale doit être impliquée. Les gens ne prennent pas les choses au sérieux à moins que la communauté internationale ne soit présente.”
Thierry Lokuni, un Hema de Bunia, indique que la justice pour les victimes est essentielle pour une paix durable mais que le système judiciaire ébranlé du Congo – corrompu et inefficace – est incapable de juger les politiques de haut rang qui ont alimenté le conflit.
“Pour l’Ituri, la CPI est la seule solution,” a-t-il dit. “La CPI a beaucoup de poids. Elle fait peur aux gens.”
Mais le chef de communauté Lendu Alex Losinu indique que la justice internationale ne résoudra pas seule les problèmes de l’Ituri. Il pense que des chambres mixtes, avec des juges congolais et étrangers travaillant ensembles, sont la meilleure solution. “Nous devrions essayer de combiner la justice locale et la justice internationale,” a-t-il dit.
Bien que les Ituriens aient confiance en la CPI, elle a quand même un problème d’image. Des sympathisants des deux communautés, Hema et Lendu insistent sur le fait que la Cour a uniquement inculpé des “petits poissons”. “Les gens au pouvoir aujourd’hui ne sont pas inquiété par cette justice,” indique Dhedda.
Tinanzabo a ajouté, “Nous avons l’impression que cette Cour vise les gens faibles, ceux qui ne sont pas au pouvoir, alors que [ceux au pouvoir] ne sont pas inquiétés par La Haye. C’est aussi ce que pensent les victimes en Ituri.”
Lokuni est critique envers la lenteur de la CPI. “Nous avons l’impression que la CPI est trop lente étant donné les massacres tellement visibles ici,” a-t-il dit. “Nous pensions que ce serait plus rapide.”
Le procès de Lubanga a été reporté plusieurs fois puis suspendu pour une période indéterminée en juin après que l’Accusation ait manqué à révéler des documents clés à son équipe de défense. Les juges ont décidé en novembre que le procès pouvait reprendre au début de la nouvelle année, et il fait peu de doutes qu’il fera l’objet d’une forte attention de la part de tous en Ituri, le moment venu.
Si les juges venaient à décider en faveur de Lubanga, les opinions sont partagées quant à l’opportunité de son retour en Ituri. Tinanzabo craint qu’il ne puisse y être en sécurité. Dhedda est plus optimiste. “C’est notre frère. Nous pourrions bien sûr l’accepter,” a-t-il dit.
Pour Losinu, le pardon est la clé de la réconciliation en Ituri. “Tout le monde est fautif alors pourquoi ne pas se pardonner ? Il est grand temps que nous puissions refaire nos vies ensemble. Ma communauté regarde vers l’avenir, ne sommes plus vindicatifs”
Lisa Clifford est reporter de justice internationale auprès de l’IWPR à La Haye.