La justice mise à prix

Les habitants affirment avoir recours à l’autodéfense parce que le simple fait de porter plainte à la police pour un crime coûte de l’argent.

La justice mise à prix

Les habitants affirment avoir recours à l’autodéfense parce que le simple fait de porter plainte à la police pour un crime coûte de l’argent.

Thursday, 28 May, 2009
"Il n’y a pas d’exception, tout le monde doit payer pour la justice dans ce pays," nous dit l’officier de police supérieur impassiblement.



Notre sac a été volé du coffre de notre taxi en chemin vers l’aéroport de Bangui. Nos passeports et notre argent ont disparu et nous avons donc raté notre vol interne vers Birao dans le lointain nord-est de la République centrafricaine, RCA.



Mais rien que pour porter plainte à la police, on nous réclame la somme de 10 000 francs CFA, soit 20 dollars américains.



Il est un peu après midi et nous fondons dans la chaleur centrafricaine, essayant de décider jusqu’où pousser l’officier de police assis en face de nous de l’autre coté du bureau.



"Qu’en est-il pour une femme qui a été violée? Combien lui demandez-vous pour enregistrer le crime dont elle a été victime?" je l’interroge.



Elle nous explique que le poste de police de son quartier à Bangui réclamerait 1000 francs CFA d’une femme qui voudrait porter plainte pour viol. Plus le crime est grave, plus il est cher de leur faire enregistrer, souligne-t-elle.



Elle indique que les chefs de police de toute la ville se rencontrent pour décider de combien ils vont réclamer aux gens lorsqu’ils viennent porter plainte pour des crimes



"Il y a eu un décret ministériel indiquant un certain montant à réclamer, mais tout a été détruit lorsque le président est arrivé au pouvoir alors je ne peut pas vous le montrer," nous explique-t-elle.



L’ancien chef de l’armée François Bozizé avait arraché la présidence de la RCA des mains d’Ange-Félix Patassé en 2003 après des mois de combats sanglants, au cours desquels les civils furent violés, déplacés et tués, et les blessures n’ont pas encore guéri.



La RCA est désormais à la dixième place sur l’index des États faillis élaboré par Foreign Policy, un groupe de réflexion basé à Washington.



Les indices de cet échec jonchent la capitale. Les usines, fermées depuis longtemps, ont été pillées et de nombreux bâtiments en sont réduits à leurs carcasses. Mis à part la nourriture, la RCA ne produit presque pas de biens et dépend fortement des importations du Tchad, du Congo, du Soudan ou du Cameroun voisins. La situation en dehors de la capitale est encore plus sombre.



"Mais que faites-vous avec l’argent que vous prenez? Que reçoivent les victimes en échange?" Je demande à l’officier de police, curieuse de savoir si les gens qui donnent de l’argent pour faire enregistrer des crimes reçoivent une quelconque forme de justice en retour.



Elle ajoute qu’une enquête pénale coûte 6 000 francs CFA de plus.



Dans un pays où la plupart des gens gagnent moins d’un dollar par jour, je demande si la justice est simplement inaccessible à de larges pans de la population. L’officier est si révoltée qu’elle déchire le formulaire d’enregistrement des plaintes et s’en va.



Nous appelons le Consul honoraire du Royaume-Uni - il n’y a pas d’ambassade ici - et il accepte de venir aider à apaiser la situation. Il parle doucement et gentiment dans un Sango chantant, la langue locale la plus répandue, et ne se laisse pas perturber par l’humidité et les forts tempéraments. Il obtient un miracle - nous pouvons revenir le lendemain pour récupérer les paperasses finalement reconstituées, payer les 10 000 francs CFA en souriant et en serrant les mains.



Nous nous dirigeons ensuite hors de Bangui vers une banlieue appelée Combattant. Nous sommes assis dans une cour boueuse, et sentons les yeux des femmes qui nous dévisagent alors que Bernard, notre traducteur, leur raconte notre histoire.



Les poules gloussent autour de nous et les enfants couverts de boue dans des habits en lambeaux jouent au soleil. Ils rient et courent prévenir leurs familles quand je prends une photo. Ils reviennent en courant et s’agglutinent pour voir.



Assises en cercle sur de basses chaises en bois, les femmes secouent leur tête d’un air désapprobateur alors que Bernard leur relate notre prise de bec avec l’officier de police. "Courage," s’exclament certaines; "Dommage," disent d’autres.



Une femme, Clémentine, indique qu’elle n’est pas allée à la police lorsque les voleurs ont récemment pris des couvertures depuis une fenêtre ouverte dans sa maison. "Quand vous y allez, vous n’obtenez pas de bons résultats," explique-t-elle.



Dans son rapport publié en février 2008 sur la situation des droits de l’Homme en RCA, le département d’État américain avait indiqué que la méfiance des gens envers les 800 et quelques officiers de police du pays avait conduit à une montée des processus d’autodéfense.



Un homme a récemment été pris en train d’essayer de voler des câbles électriques dans son voisinage, et les gens l’ont juste frappé à mort, indique une autre femme, Monique.



"La justice populaire aide à prévenir les crimes," dit-elle, mentionnant que trois autres voleurs avaient été frappés à mort l’année dernière.



Un autre groupe de femmes rit à voix haute lorsque nous les questionnons au sujet de la police.



Marie, l’une de ces femmes, déclare "Quand vous allez à la police, vous ne savez jamais combien cela va vous coûter. Ils vous disent qu’ils n’ont pas de voiture et qu’ils ont besoin d’argent pour payer le transport. Si vous n’avez pas d’argent, ils disent que vous pouvez donner d’autres choses.”



Elie Ouefio, ministre de l’administration territoriale, nie catégoriquement qu’il existe une pratique générale selon laquelle les citoyens doivent payer pour que la police enquête sur les crimes.



“Il peut y avoir des brebis galeuses au sein de la police qui arnaquent les gens; c’est vrai, comme dans n’importe quelle force de police du monde. Mais dire que vous devez payer pour obtenir les services de la police centrafricaine c’est faux,” indique-t-il.



Un peu plus tard, nous nous dirigeons vers Boali, à quelques heures à l’ouest de Bangui, après avoir réussi à trouver une place sur un camion rempli de femmes et d’enfants, et chargé de piles de sacs, de caisses, des hommes se tenant perchés au dessus de tout cela de manière experte.



Il est clair que les gens ont peu d’argent et qu’ils possèdent peu de choses, mais la discussion est animée et sympathique malgré des conditions de voyage spartiates.



Lors du coup, nombre de ces gens ont tout perdu – visés par le gouvernement et les troupes rebelles pour leur loyauté présumée à l’une ou l’autre des parties. Les femmes furent violées, les hommes sodomisés ou tués. Les biens furent pillés, le bétail anéanti et les maisons détruites.



Nous ralentissons pour nous arrêter à plusieurs barrages routiers de la police et de l’argent est remis par le chauffeur.



Certains des hommes qui récupèrent l’argent sont en uniformes, d’autres en vêtements civils.



Nous passons plusieurs autres jours à Bangui, et parlons à d’autres gens.



Ils nous disent que l’extorsion est aussi répandue parce que les policiers ne sont souvent pas payés et que, par le passé, les fonctionnaires ont eu à attendre des années avant de recevoir leurs salaires. Pour être payé, un policier doit soit venir à Bangui en personne, ou remplir un formulaire de "procuration" - pour permettre à quelqu’un d’autre de venir récupérer son salaire à sa place, nous expliquent les habitants.



C’est un voyage impossible pour la plupart des policiers qui vivent en dehors de la capitale. Les routes sont en si mauvais état que certaines provinces sont complètement coupées du reste du pays pendant près de huit mois par an.



Alors que les officiers de police semblent avoir des difficultés à être payés, peu d’attention semble être accordée à leur lieu de travail.



L’officier de police principal avec qui nous avons eu notre altercation nous a dit plus tôt que l’argent qu’elle réclamait n’allait pas dans les payes, mais servait à acheter des fournitures de bureau.



Au vu de ces murs effrités et d’un manque criant de fournitures, il était clair qu’il y avait un urgent besoin d’argent.



La situation est meilleure dans la capitale qu’en province - le terme utilisé pour toute partie du pays hors de Bangui.



A Sibut, à quelques quatre heures de route cabossée hors de la capitale, le poste de police est rempli de termites et de chauves-souris.



Selon le rapport du département d’État, le centre de détention de la police de Bouar n’a pas de fenêtres ou de toilettes - uniquement un seau vidé de temps à autres, et les détenus couchent enchaînés les uns aux autres.



Les internationaux qui travaillent pour le Programme des Nations Unies pour le développement, PNUD, ainsi que pour BONUCA, la mission de police de l’ONU en RCA, développent des projets pour soutenir la police et le système judiciaire.



Mireille Widmer, de l’Unité État de droit du PNUD, a déclaré, "Très souvent, la police vient nous voir et nous demande du papier, ils n’ont pas de ressources. Ils nous demandent des stylos, du papier, des fournitures de bureau... "



Les internationaux présents dans le pays sont conscients que le fait de donner du matériel ne peut avoir qu’une influence limitée par rapport aux symptômes de certains problèmes très enracinés.



"Le gouvernement a des mois d’arriérés de salaires, alors le personnel [a recours à] la corruption et fait preuve d’avidité parce qu’ils ont besoin de salaires," nous a expliqué un travailleur des droits de l’homme en RCA.



"Si le gouvernement ne les paye pas à temps, ils vont avoir tendance à réclamer de l’argent aux victimes qui viennent faire part de violations. Nous devons nous assurer que le gouvernement puisse payer les officiers de police et de justice à temps."



Le Général Jules-Bernard Quande, ministre de la sécurité, a rejeté les accusation selon lesquelles les officiers de police étaient souvent non payés.



“Vous n’avez pas le droit de dire que vous avez parlé avec des gens à Bangui et qu’ils vous ont dit ça.



“La police fait partie de la population. Le président de la République paye tout le monde, tous les gens de Centrafrique, et la police aussi donc.”



Entre-temps, nous nous sommes résignés à ne jamais retrouver nos sacs volés.



Certaines personnes nous conseillent de passer par Radio Ndeke Luka, la principale station de radio indépendante en RCA, pour leur demander de faire un appel pour nous.



On nous dit qu’il n’est pas facile de vendre des passeports étrangers en RCA - et que d’autres visiteurs qui s’étaient fait voler leurs documents de voyage se les sont finalement vus retourner.



Les journalistes obligeants de Ndeke Luka passent un flash au sujet de nos passeports volés, et le lendemain, un jeune homme dans des vêtements civils apparaît avec nos passeports à la main - sans l’argent - indiquant qu’il est de la police.



Il réclame 20 000 francs CFA en échange des documents.



Après une longue et étrange négociation, nous acceptons de lui donner assez d’argent pour son retour en taxi.



Qu’il ait été de la police ou non, nous ne le saurons jamais, mais nous n’aurions jamais récupéré nos passeports sans l’aide de nos amis à Ndeke Luka, du Consul honoraire et d’un peu d’argent.





Katy Glassborow est reporter de l’IWPR à La Haye. Le Dr Jan Coebergh, un docteur basé à La Haye qui se spécialise dans l’étude des taux de mortalité dans les situations de conflit, et Mélanie Gouby, reporter basée à Londres, ont contribué à cet article.



Certains des noms reproduits dans cet article ont été modifiés pour des raisons de sécurité.
Frontline Updates
Support local journalists