La Cour offre un plan unique d'aide aux victimes

Un fonds spécial peut aider les victimes de crimes de guerre même en l’absence de tout procès.

La Cour offre un plan unique d'aide aux victimes

Un fonds spécial peut aider les victimes de crimes de guerre même en l’absence de tout procès.

Monday, 15 February, 2010
Avec près de trois millions d’euros à la banque et un mandat pour les dépenser en aidant les victimes de crimes de guerre, André Laperriere n’était pas sûr de ce à quoi il devait s’attendre lorsqu’il visita l’Ouganda et la République démocratique du Congo en juin.



Laperriere est le nouveau directeur du Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale, et il a visité l’Afrique pour faire prendre conscience aux gens de l’existence du fonds et jeter les bases pour ses premiers projets.



Il savait que les gens affectés par les crimes de guerre ne seraient pas difficiles à trouver en République démocratique du Congo, RDC, et en Ouganda, où un nombre incalculable de personnes ont perdu leurs maisons, leur gagne-pain et leurs vies durant des années de conflit brutal.



Ce qui a peut-être été le plus surprenant fut leur réaction par rapport à la rencontre de quelqu’un venu leur offrir de l’aide.



« J’ai rencontré des centaines, si ce n’est des milliers de victimes et je ne peux pas me souvenir d’une seule qui ait réclamé de l’argent », a confié Laperriere à l’IWPR.



Le Fonds est une branche peu connue de la Cour pénale internationale, CPI, établi et administré par la Cour elle-même mais sous les ordres d’un bureau indépendant qui comprend l’évêque sud-africain Desmond Tutu et la française Simone Veil, ancien membre du Parlement européen.



Le fonds peut intervenir à chaque fois que la Cour elle-même peut agir – dans les cas de crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité – en acheminant de l’argent aux victimes de ces crimes. Il a le pouvoir d’agir dans les pays où Ia CPI opère, ce qui signifie jusqu’à aujourd’hui l’Ouganda, la RDC, le Soudan et la République Centrafricaine.



Certains observateurs affirment qu’un fonds d’indemnisation directement relié à un tribunal international est unique.



« Il existe de nombreux fonds qui visent les victimes de conflits, mais avoir un fonds directement rattaché à un tribunal, c’est une grande nouveauté », a déclaré Carla Ferstman, directrice de REDRESS, une organisation non gouvernementale qui œuvre à l’octroi de réparations à des survivants de torture.



Une des fonctions du fonds est de distribuer l’argent que la Cour attribue au titre des réparations. Malgré le fait qu’aucun procès n’est encore en cours à la CPI et que les jugements ne seront donc pas rendus avant un certain temps, le fonds est aussi en mesure d’aider les gens ayant un besoin d’aide immédiat. Finalement, il peut intervenir lorsque les crimes de guerre sont identifiés mais qu’aucun auteur n’est jamais jugé.



Des groupes de soutien tels que celui de Ferstman considèrent le fait que le fonds puisse opérer en l’absence de tout procès comme un bonus majeur.



« Au Tribunal pénal international pour le Rwanda, les femmes victimes contaminées par le virus du Sida n’avaient pas droit à quoi que ce soit, même si elles étaient impliquées dans la procédure judiciaire », a-t-elle indiqué. « Elles mourraient avant la tenue du procès, et les accusés en prison recevaient tous les rétroviraux. Le Tribunal du Rwanda avait essayé de mettre en place un fonds beaucoup plus limité pour aider ces femmes et d’autres à venir témoigner devant le Tribunal, mais il n’avait pas émergé ».



Pour conclure, Ferstman affirme que, « Le fonds de la CPI est beaucoup plus ambitieux – il aura besoin de beaucoup de soutien pour être efficace ».



Laperriere a déclaré à l’IWPR que les administrateurs du fonds ont reçu 34 propositions du Congo et de l’Ouganda, d’autres étant en cours en République Centrafricaine où la CPI a récemment annoncé qu’elle allait commencer des enquêtes.



Il a déclaré que malgré le fait que le fonds reçoive des demandes d’aide individuelle, il encourage les victimes à se regrouper. « Lorsque vous êtes en groupe, vous êtes plus fort, vous pouvez être mieux entendu et mieux aidé », a-t-il dit.



Lapierre a rencontré un tel groupe en Ouganda, lors de sa visite d’une petite communauté fermière début juin. Les membres de cette communauté de 1500 personnes ont été assassinés ou torturés lors de raids répétés des rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur. Leurs maisons furent détruites et leur bétail volé.



Les conditions étaient si mauvaises que les villageois furent finalement forcés à évacuer en masse. Plusieurs centaines sont désormais revenus, mais comme ils l’ont indiqué à Laperriere, ils luttent à reprendre leurs vies. Leurs maisons ont été détruites, leurs champs sont envahis par la végétation, et leur outillage fermier a été détruit ou pillé.



Lorsqu’il a parlé avec les villageois, Laperriere a découvert que leurs besoins étaient simples. Parmi les choses les plus importantes qu’ils voulaient, comptaient la ré-inhumation de leurs morts; des graines pour replanter leurs champs; et que la route du village soit réparée pour qu’ils puissent vendre leurs récoltes en ville.



« Nous nous sommes assis avec les victimes pour évaluer les dommages avec eux, voir de quelle sorte de réparations ils ont besoin et définir avec eux leur rôle dans la mise en œuvre des solutions », a confié Laperriere.



Il a leur a offert des graviers pour réparer la route, et des graines pour chaque kilomètre de route réparé par eux.



Il a également proposé de prêter 200 poulets au village, à rendre au bout de 12 mois. « Je leur ai dit, ‘tout ce que vous arriver à multiplier, vous pouvez le garder’. Ainsi, l’année suivante, nous reprendrons les 200 poulets pour les apporter au village suivant, où les gens pourront y faire la même chose ».



Laperriere ajoute, « Je leur ai dit ne vous attendez pas à recevoir des chèques par la poste, parce que ce n’est pas la manière dont nous travaillons. Ce que nous voulons faire c’est voir ce que vous voulez faire et comment nous pouvons vous aider à y arriver ».



Une autre raison au voyage africain de Laperriere était d’évaluer l’efficacité des programmes d’aide qui existent spécifiquement pour les victimes.



Il a découvert qu’il existe de nombreuses agences d’aides qui travaillent sur place, mais a mis en question l’efficacité de certaines.



« De nombreuses victimes n’ont pas bénéficié de suffisamment d’aide, et on les a laissées tomber », a-t-il dit, citant le cas de deux anciens fermiers qui s’étaient recyclés comme cordonniers mais ne pouvaient pas travailler à leur nouvelle activité parce qu’ils n’avaient pas d’outils.



« C’est encore pire que s’ils n’avaient pas été aidés », a-t-il dit. “Nous avons rencontré des femmes dans la même situation qui essayaient de travailler dans la couture mais n’avaient pas de machines ».



Laperriere a indiqué que les programmes de formation du fonds allaient avancer de l’argent pour du matériel et des machines, que les gens ayant bénéficié des formations pourraient éventuellement ensuite rembourser en vendant ce qu’elles auraient produit.



« Cela reflète le fait qu’il n’y a pas de déjeuner gratuit », a-t-il dit. « Nous ne leur donnons rien. Ils gagnent leur outils pour qu’ils puissent être fiers à la fin, parce qu’il s’agit du fruit de leur travail ».



Mais y -a-t-il assez d’argent pour faire tout ça ? Le fonds au profit des victimes contient actuellement quelques relativement modestes 2,7 millions d’euros – environ 3.7 millions de dollars US – la majorité étant versée par des gouvernements, bien que des les partisans du fonds pointent du doigt la nécessité que la recherche de fonds formelle commence sérieusement.



Les contributions sont volontaires, la collecte de fonds est maintenant une priorité sur l’agenda de Laperriere. Il a déclaré à l’ IWPR qu’il allait se rendre à New York pour étendre le cercle des donneurs et qu’en plus des gouvernements, il aborderait aussi des fondations et personnes privées.



« Je veux qu’ils sachent qu’avec très peu on peut déjà changer la vie de ces milliers de gens – qu’il ne demandent pas la charité; ils demandent de retrouver leur dignité et un peu d’espoir, et c’est ce que nous pouvons leur fournir conjointement ».



Lisa Clifford est reporter de l’IWPR à La Haye.

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