La Cour exhortée à enquêter sur les responsables gouvernementaux

Alors qu’elle commence à enquêter sur le conflit en RCA, la CPI fait face à des demandes d’adopter une approche plus impartiale.

La Cour exhortée à enquêter sur les responsables gouvernementaux

Alors qu’elle commence à enquêter sur le conflit en RCA, la CPI fait face à des demandes d’adopter une approche plus impartiale.

Monday, 6 August, 2007
Des groupes de défense des droits de l’homme exhortent Luis Moreno-Ocampo, le Procureur en chef de la Cour pénale internationale, CPI, à faire un meilleur travail d’enquête sur les membres du gouvernement alors qu’il entame sa quatrième enquête en République Centrafricaine, RCA.



Après avoir été critiqué parce qu’il n’avait pas semblé examiner les actes des ministres du gouvernement ayant référé les situations de leurs pays à la CPI- à savoir l’Ouganda et la République démocratique du Congo, RDC – le Procureur devrait enquêter sur les fonctionnaires supérieurs, ainsi que sur les rebelles en RCA, pour lutter contre l’impression générale que la Cour enquête uniquement sur les crimes commis par ces derniers, comme l’indiquent certains activistes.



Si Moreno-Ocampo ne se penche pas sur le rôle des gouvernements qui renvoient leurs situations à la Cour, « ses arguments se doivent d’être convaincants » a déclaré Géraldine Mattioli de Human Rights Watch, HRW, à l’IWPR. « Les enquêtes ne sont ni complètes, ni satisfaisantes si elles ne concernent pas ceux qui portent la plus grande responsabilité, » a-t-elle déclaré.



Il s’agit d’un exercice difficile pour la Cour, à qui il est demandé d’enquêter sur des conflits dans lesquels des ministres et des soldats ont joué un rôle substantiel. En effet, le 3 juillet dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a exprimé sa préoccupation suite à des rapports faisant état d’un usage disproportionné de la force pour lutter contre les rebelles en RCA.



Les procureurs examinant les crimes commis en Ouganda et en RDC semblent s’être focalisés sur ceux commis par les groupes rebelles dans les deux pays, avec des mandats d’arrêt délivrés pour un membre de l’Union des Patriotes Congolais, UPC, en RDC et contre cinq chefs de l’Armée de résistance du seigneur, ARS, en Ouganda.



Les procureurs ont été critiqués par des groupes de défense des droits de l’homme pour avoir semblé ignorer le rôle joué par les fonctionnaires gouvernementaux dans les crimes contre les civils.



Le président de la RCA, François Bozizé, un ancien chef d’armée, a renvoyé la situation de son pays à la CPI en décembre 2004, mais il est inextricablement lié avec les violences sur lesquelles la CPI enquête, ayant conduit un coup d’état manqué en 2002 contre le président alors au pouvoir, Ange-Felix Patassé.



Bozizé a finalement conquit le pouvoir en 2003 après une lutte sanglante de longue haleine, qui a impliqué le meurtre et le viol de civils à et autour de la capitale, Bangui, auxquels s’est ajouté l’usage banalisé de la violence sexuelle par des hommes armés, un aspect central du conflit.



Tout ceci met l’équipe de la CPI dans une position embarrassante. Invitée par le gouvernement de la RCA, elle doit compter sur son soutien politique et logistique pour avoir accès aux documents, à des autorisations pour voyager sans restriction et bénéficier d’un certain degré de sécurité, alors même qu’elle est mandatée pour déballer le linge sale de ce même gouvernement.



Même si Moreno-Ocampo a indiqué que l’enquête initiale – qui a débuté en mai – se focalise sur la violence ayant immédiatement suivi le coup d’état manqué, les violations des droits de l’homme persistent, de nombreux civils étant toujours l’objet d’atrocités.



Le Haut commissaire de l’ONU pour les réfugiés, Antonio Guterres, a décrit la situation en détérioration de la RCA du nord comme la crise la plus ignorée du monde entier, avec quelques 200 000 personnes déplacées dans leur propre pays et des milliers d’autres forcées de fuir vers le Tchad ou le Cameroun.



Les tensions sont aggravées par l’instabilité du gouvernement et un débordement de violence à la frontière nord du pays entre la région soudanaise du Darfour et le Tchad.



Certains groupes de défense des droits de l’homme affirment que les Procureurs de la CPI doivent garder à l’œil ceux qui sont responsables de la violence ayant lieu actuellement, ainsi que de celle ayant suivi le coup d’état avorté.



« Les Procureurs doivent enquêter sur les personnes au sein du gouvernement actuel qui continuent à commettre des atrocités en toute impunité, » a déclaré Godfrey Byaruhanga d’Amnesty International, AI.



Des groupes de défense des droits de l’homme affirment que, pour que la CPI regagne une certaine crédibilité en tant que Cour internationale impartiale, les procureurs doivent examiner les actions des gouvernements qui renvoient leurs situations, sans tenir compte du fait que leur coopération est nécessaire pour faciliter les enquêtes.



Moreno-Ocampo affirme que l’enquête en RCA ne va pas viser un suspect particulier à ce stade et sera seulement guidée par les preuves qui émergent, les procureurs promettant d’enquêter sur la chaîne de commandement de tous les côtés du conflit.



Les procureurs qui enquêtent sur les conflits en Ouganda, au Darfour et en RDC ont été critiqués pour avoir inculpé des chefs rebelles de rang intermédiaire et des « exécutants politiques » du gouvernement, au lieu de ceux qui ont en fin de compte orchestré la violence.



Florent Geel de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme, FIDH, a affirmé que, en RDC, la CPI donne l’impression que maintenir un climat politique stable est plus important que de secouer le bateau en accusant des figures politiques clefs pour de graves crimes de guerre ou crimes contre l’humanité.



L’importance accordée à la protection de la stabilité politique semble avoir été telle que la mise en cause des hommes politiques et des milices que les groupes de défense des droits de l’homme pensent être les plus responsables, y compris l’ex-Président Jean-Pierra Bemba et le Président Joseph Kabila, n’a pas été encouragée.



En février 2006, le chef rebelle de rang relativement intermédiaire, Thomas Lubanga, a été le seul Congolais a avoir été inculpé par la CPI, pour l’enrôlement d’enfants utilisés pour combattre dans l’aile militaire de l’UPC en Ituri, la région à l’extrême nord de la RDC.



L’UPC est une milice ethnique Hema et Lubanga doit faire face à des inculpations d’enlèvement d’enfants qu’il aurait utilisés en première ligne dans des actions militaires contre les Lendu, les rivaux ethniques des Hema, les gardiens de la paix de l’ONU et l’armée nationale congolaise.



Certains groupes de défense des droits de l’homme ont exhorté la CPI à se pencher sur des crimes qui auraient été commis par d’autres groupes rebelles dans le pays, ainsi que ceux orchestrés par les fonctionnaires du gouvernement. La Cour a récemment annoncé qu’un deuxième mandat d’arrêt va être délivré dans les semaines à venir, mais il n’est toujours pas clair lesquels des éléments évoqués ci-dessus y figureront.



Selon Geel, certains groupes de victimes en RDC ont l’impression que la CPI a jusqu’ici été manipulée par le gouvernement et la Cour n’est pas crédible pour eux. Il sera donc intéressant de voir si les procureurs viseront un autre rebelle de rang intermédiaire ou un ministre important dans le nouvel acte d’accusation.



Comme en RDC, les troubles du nord de l’Ouganda, provoqués par l’ARS, ont été déférés par le gouvernement.



Cinq actes d’accusation ont été délivrés pour les chefs de l’ARS en juillet 2005, et désormais, des groupes nationaux et internationaux de défense des droits de l’homme, y compris AI, poussent la CPI à examiner des abus qui auraient été commis par la propre armée de l’Ouganda – les Forces de défense populaire de l’Ouganda, UPDF – au cours du conflit.



“Si l’UPDF fait l’objet d’une enquête à la CPI, cela n’a pas été communiqué clairement au gouvernement ougandais,” a affirmé Byaruhanga.



En même temps, l’enthousiasme de Kampala pour la Cour a diminué, apparemment en raison de son échec à conduire les inculpés devant la justice.



Certains observateurs suggèrent que la désillusion du gouvernement par rapport à la CPI a pu inciter le Président Yoweri Museveni à commencer des pourparlers de paix avec l’ARS – sous l’auspice du gouvernement du Sud Soudan à Juba – dans lesquels il y a eu des discussions sur des mécanismes de justice alternative et même des propositions d’amnistie.



D’autres commentateurs sont d’avis que le changement de sentiment apparent de Museveni par rapport à la CPI fait suite à des inquiétudes que la Cour pourrait bientôt commencer à enquêter auprès des fonctionnaires du gouvernement et des militaires. Un accord de paix avec l’ARS éloignerait les ministres et commandants du regard attentif de la CPI, et calmerait également certaines communautés dans le nord qui veulent que la paix ait priorité par rapport à la justice.



Byaruha a suggéré que Bozizé n’aurait pas référé la situation de son pays à la CPI s’il avait cru possible d’être inculpé lui-même et tenu responsable pour ses actes pendant la tentative de coup d’état. « [Le gouvernement] ne risquait pas de soumettre un renvoi contenant des crimes commis par toutes les parties au conflit, » a-t-il ajouté.



Beatrice le Frapper Du Hellen, à la tête de la Division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération, DCCC, qui garantit la coopération gouvernementale a indiqué à l’IWPR que, dès le début, les autorités sont informées de l’indépendance et de l’impartialité de la CPI.



Lorsqu’elle communique avec des gouvernements qui renvoient leur situation à la CPI, Du Hellen affirme s’assurer que ceux-ci comprennent que les procureurs vont déterminer le point central de l’enquête, et ne vont pas être influencés par le renvoi de l’État.



« Les autorités savent que nous n’avons aucune intention de mener une enquête à sens unique, » a indiqué Du Hellen.



Cependant, elle a admis que la partie la plus difficile de toute enquête est de déterminer qui porte la plus grande responsabilité.



En dépit du fait que les procureurs ont déjà identifié des témoins en RCA pour prouver que des crimes tels que le viol systématique et organisé ont eu lieu après le coup d’état manqué, il est difficile d’identifier ceux qui ont donné l’ordre d’exécuter ces crimes, affirment des analystes.



C’est d’autant plus difficile si ces personnes détiennent désormais des postes à pouvoir au sein du gouvernement de la RCA.



Au cours des enquêtes sur les crimes au Darfour, les procureurs ont été forcés de trouver des témoins dans 17 pays en dehors du Soudan parce que Khartoum ne reconnaît pas la compétence de la CPI et refuse de coopérer ou de fournir un quelconque appui logistique aux procureurs. La situation du Darfour a été renvoyée à la CPI non pas par Khartoum mais par le Conseil de Sécurité.



Cette enquête a abouti à la délivrance de deux mandats d’arrêt – un pour le chef de milice Janjaweed Ali Kushayb et un autre pour Ahmad Harun, un ancien ministre de l’intérieur, qui est aujourd’hui ministre d’état pour les affaires humanitaires au Darfour.



Du Hellen a indiqué que, alors que les procureurs vont mener leurs enquêtes en RCA avec l’aide du gouvernement, ils ‘peuvent faire sans si nécessaire’, et que les crimes qui auraient été commis par les fonctionnaires gouvernementaux vont également faire l’objet d’une enquête.



La seule question en suspens est la manière dont le gouvernement de RCA va coopérer. Les présages ne sont pas bons. Etant donné que le gouvernement de Bozizé lutte pour tenir le pays – avec des services de base dans un état d’effondrement – il n’est pas clair comment il va de manière réaliste fournir un soutien logistique à la CPI ou un accès aux documents et aux archives, selon Joel Charney du groupe de défense des droits de l’homme Refugees International.



Toby Lanzer, le réprésentant du PNUD en RCA, a indiqué à l’IWPR que “certains obstacles vont sans doute surgir” à mesure que l’enquête de la CPI évolue.



En tant que chef de l’État, Bozizé est responsable des crimes commis par les forces armées de la RCA et les unités de sécurité présidentielle, connues comme la garde présidentielle, mais Lanzer indique que cela n’a été expliqué clairement au Président que très récemment.



« Les gens [en RCA] ont l’habitude de l’impunité comme il n’y a pas de tradition d’Etat de droit, » a affirmé Charney.



Les agences de l’ONU ont passé du temps avec Bozizé et les principaux ministres pour leur expliquer qu’ils sont responsables pour les actes de la garde présidentielle qui aurait torturé et tué des civils innocents.



« La chaîne de responsabilité se brouille, » a indiqué Lanzer, qui a maintenu cependant que les autorités sont intéressées par l’éclaircissement des crimes du passé et l’établissement d’un État de droit, pour s’écarter d’un « climat général d’impunité qui a régné dans ce pays pendant bien trop longtemps ».



Mais la question de savoir si Bozizé avait compris que renvoyer la situation de la RCA à la CPI pouvait signifier qu’il fasse l’objet d’une enquête pour des crimes commis avant qu’il ne devienne président, et ceux qui continuent d’être perpétrés sous sa présidence, reste une question décisive restée sans réponse.



« Cela ne fait pas d’importance que le gouvernement de Bozizé ait renvoyé la situation à la CPI. La CPI peut exiger un plus grand degré de coopération de la part du gouvernement. Le gouvernement doit démontrer qu’il a été motivé par la justice et n’a pas utilisé la CPI pour « persécuter » ses opposants, » a déclaré Byaruhanga



« La CPI a jusqu’ici échoué à démontrer qu’être au pouvoir ne constitue pas la base pour jouir de l’impunité. Cela a été le cas en RDC et en Ouganda, par rapport à des suspects à des postes à pouvoir. »



Katy Glassborow est reporter de l’IWPR à La Haye.

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