La Cour de La Haye envisage de soutenir la justice locale

Selon certains experts juridiques, aider à l’amélioration des capacités judiciaires du Congo est un des moyens par lesquels la CPI peut s’assurer que les violeurs finiront au tribunal.

La Cour de La Haye envisage de soutenir la justice locale

Selon certains experts juridiques, aider à l’amélioration des capacités judiciaires du Congo est un des moyens par lesquels la CPI peut s’assurer que les violeurs finiront au tribunal.

Monday, 27 October, 2008
La République démocratique du Congo, RDC a été décrite comme le pire endroit du monde pour vivre en tant que femme ou fille. Les femmes, jeunes, vieilles, ou encore bébés, sont quotidiennement violées par des miliciens, soldats, policiers ou civils. Les victimes se comptent par centaines de milliers, bien que les nombres exacts ne soient pas clairs étant donné que la plupart des femmes ne parlent jamais des attaques dont elles ont fait l’objet. Vu l’état du système judiciaire - quasiment anéanti - parler de ces viols a peu d’intérêt.



L’arrivée, il y a quatre ans, de la Cour pénale internationale, CPI, avait apporté une lueur d’espoir pour les victimes congolaises de viol. Mais la justice internationale n’a jusqu’à présent pas réussi à mettre un terme, ou même à ralentir, la violence contre les femmes.



Uniquement chargée de la poursuite des principaux responsables de crimes de guerre et pourtant critiquée de ne pas en faire plus pour lutter contre l'impunité générale, la CPI examine maintenant ses possibilités d’action dans les provinces du Nord et du Sud Kivu où l'épidémie de viol est à son paroxysme. Une des premières solutions envisagées est de travailler plus étroitement avec le gouvernement du Congo.



Fatou Bensouda, Procureur adjoint de la CPI, a indiqué à l’IWPR que la Cour envisage de partager les informations qu’elle a récoltées sur les criminels de rang inférieur – des informations qu’elle n’a pas l’intention d’utiliser elle-même – avec les autorités nationales. Les Procureurs et les juges congolais se baseraient alors sur les informations de la CPI pour préparer leurs propres cas de viol.



“Le Bureau du procureur attache une grande importance aux enquêtes sur les crimes sexuels et à caractère sexiste,” a indiqué Bensouda. “Une chose que nous étudions est la possibilité de travailler de manière très rapprochée avec le gouvernement de la RDC. Nous ne sommes pas en position de tout faire, mais nous pourrions apporter des informations au gouvernement, et nous pourrions même travailler avec le gouvernement au niveau local.”



La coopération avec les systèmes judiciaires nationaux tient une place prééminente dans le document fondateur de la CPI. Le Statut de Rome indique que la CPI doit agir en complément des tribunaux locaux, leur permettant de garder la faculté de juger les cas de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.



Mais au Congo, où le système judiciaire s’est effondré, l’idée de la CPI de remettre des documents de preuve aux procureurs et aux juges est-elle réaliste?



Les experts juridiques indiquent que le manque de programmes de protection des témoins au Congo et l’interférence fréquente et omniprésente des politiques et des militaires dans les affaires du tribunal rend une telle coopération étroite presque impossible. Le Congo doit encore incorporer le Statut de Rome dans sa législation nationale – ce qui signifie que les tribunaux civils ne peuvent toujours pas juger les affaires de crimes de guerre – et conserve la peine de mort. Trois soldats et deux civils ont été condamnés à mort en septembre pour le meurtre de Daniel Boteti, un membre de l'opposition congolaise au parlement assassiné en juillet dernier.



“Au départ nous étions très enthousiastes à l’idée que la Cour travaille de manière plus étroite avec le système judiciaire congolais…puis nous avons commencé à réfléchir à la manière dont cela allait fonctionner et nous avons alors réalisé tous les problèmes que cela allait poser,” a indiqué Géraldine Mattioli, directrice du plaidoyer auprès du programme de justice internationale de Human Rights Watch.



“Pour le moment cela semble irréalisable … que les enquêteurs rassemblent des informations et remettent un dossier entre les mains du système judiciaire national. A ce moment précis dans le temps, je ne vois pas comment cela pourrait fonctionner.”



Des avocats d’un groupe du Nord Kivu qui offre une assistance juridique aux victimes de viol – la Dynamique des femmes juristes, DFJ – ne connaissent que trop bien les carences du système judiciaire du pays.



Sindubaza Vumbi, originaire de Goma, a indiqué à l’IWPR que des violeurs inculpés payent souvent les juges pour se voir octroyer une mise en liberté provisoire. Puis ils disparaissent, après avoir donné une fausse adresse. Parfois ils rejoignent un groupe armé ou fuient dans un pays voisin.



“Cela rend notre tâche encore plus difficile et fait du viol une tradition dégoutante dans notre province,” a indiqué Vumbi.



L’interférence des politiciens ainsi que de la police et des militaires dans le processus juridique est monnaie courante. L’avocate de DFJ, Christine Mpinda indique que les juges qui refusent de coopérer sont dessaisis ou humiliés d'une autre manière.



“Le seul magistrat militaire efficace de Goma, un colonel des FARDC [l’armée congolaise], a été récemment transféré, simplement pour avoir osé dire qu’à partir de maintenant, toute interférence militaire dans un procès serait inacceptable,” a déclaré Mpinda. “Il a reçu de sérieuses menaces de mort.”



Les avocats eux-mêmes sont également intimidés. “Chaque fois que nous défendons nos clients qui sont victimes de viols, nous recevons des menaces de la part d’officiers de l’armée ou de ceux qui sont du côté de la police,” a déclaré Tulinabo Chirimwami, également de la DFJ.



Bensouda a déclaré que la CPI est consciente des carences du système judiciaire congolais.



Le manque de protection des victimes et des témoins est particulièrement problématique, a-t-elle indiqué, ajoutant que la Cour ne remettrait jamais les documents de preuves aux tribunaux nationaux si le Congo ne pouvait garantir la sécurité de ceux ayant parlé à la CPI.



“Nous étudions la faisabilité de ce projet,” a indiqué Bensouda. “Nous ne le ferions pas en sachant que cela mettrait quiconque en danger.



“Cela ne serait pas juste pour leur donner [des preuves] et de les laisser se débrouiller. Nous voulons d’abord voir comment la CPI peut travailler avec eux. Nous n’allons pas juste tout remettre, nous laver les mains et tourner le dos.”



Bien que le débat continue sur le rôle de la CPI au Congo, il est clair que quelque chose doit être fait.



Un récent sondage élaboré par le centre international pour la justice transitionnelle, le centre des droits de l'Homme de l'Université de Californie, Berkeley et le centre Payson de l’Université Tulane a conclu que près de 16 pour cent des personnes interrogées au Nord et au Sud Kivu et en Ituri avaient subi des viols. Près de 12 pour cent de celles-ci ont été les victimes de multiples assauts.



Mirna Adjami, chef de mission de l’ICTJ au Congo, a indiqué que les chiffres réels étaient plus élevés mais ne faisaient pas l’objet de rapports suffisants en raison du stigmate associé au viol et de la peur des représailles. Mais malgré les nombreux obstacles aux poursuites, les Congolais ont indiqué aux sondeurs qu’ils voulaient la justice pour ceux qui avaient été violés.



“Soixante-dix pour cent des personnes interrogées pensent que les crimes de violence sexuelle sont ceux pour lesquels il est le plus important de trouver les responsables,” a indiqué Adjami. “Cela souligne le désir de la population de combattre l’impunité pour le viol et la violence sexuelle.”



Certains experts juridiques déclarent que le fait d’aider à améliorer les capacités judiciaires du Congo est un moyen pour la CPI de s’assurer que les violeurs finissent au tribunal.



Mattioli a suggéré que la CPI soutienne les procureurs locaux dans les zones où elle enquête déjà. Un procureur national en Ituri, où la CPI a émis ses quatre premiers actes d'accusation, a récemment indiqué à des membres de Human Rights Watch qu’il aimerait obtenir les conseils de la CPI pour savoir comment monter une affaire sur le recrutement d’enfants soldats.



“Le Procureur se pose toutes ces questions : comment contourner le fait que [le recrutement d’enfants] n’est pas un crime en droit congolais mais que les crimes de guerre le sont, comment construire une affaire basée sur le Statut de Rome,…” a indiqué Mattioli.



“Il a toutes ces questions, mais je ne peux pas aider. Les gens de la MONUC [Mission des Nations Unies en RDC] ne peuvent pas aider. Les ONG ne peuvent pas aider. Elles n’ont jamais préparé d’affaire juridique sur le recrutement d’enfants soldats.



“Les Procureurs et les enquêteurs de la CPI pourraient passer une après-midi avec lui lors de leur prochaine visite sur place et passer en revue les éléments des crimes. Cela pourrait vraiment l’aider à construire son affaire.”



Thomas Lubanga, Germain Katanga, Mathieu Ngudjolo et Bosco Ntaganda sont accusés du recrutement d’enfants soldats pour les faire participer au conflit en Ituri. Katanga et Ngudjolo sont également accusés de crimes de violence sexuelle.



Mattioli a suggéré que la CPI établisse des critères – y compris l’abolition de la peine de mort et la mise en place d’un programme de protection des victimes et témoins – qui devront être remplis avant que la Cour ne puisse travailler plus étroitement avec le Congo.



“Cela n'est pas sans précédent. C’est exactement ce qu’a fait le Tribunal pénal international pour le Rwanda,” a-t-elle dit.



Des groupes tels que DFJ dans la capitale du Nord Kivu indiquent qu’ils se réjouiraient d’obtenir une aide de la part de la CPI. Fondée en 2007, DFJ opère des centres juridiques dans les régions de Masisi et Rutshuru, qui informent les résidents locaux sur leurs possibilités lorsqu’ils sont violés.



Le groupe représente également des femmes devant les tribunaux et a obtenu la condamnation de 56 personnes, principalement pour le viol de mineurs tels que Jeannette, âgée de 16 ans. Elle avait été attaquée par deux soldats à Rutshuru à son retour des champs.



“Un ami de ma famille est venu dire à mes parents qu’il y avait des femmes qui aidaient à intenter des procès,” a-t-elle dit. “Ils sont allés voir la Dynamique des femmes juristes, et heureusement nous avons gagné le procès. Ça me réconforte au moins un peu.”



Les soldats qui ont violé Jeannette ont été emprisonnés, même s’il n’est pas clair combien de temps ils vont rester en prison. Les prisons du Congo sont connues pour leur porosité et les prisonniers s’échappent, ou achètent leur sortie, de manière régulière.



En 2006, un tribunal militaire avait condamné sept soldats de l’armée congolaise à la prison à vie pour le viol en réunion de dizaines de femmes dans la ville de Songo Mboyo, située au nord du pays. Les juges avaient cité le Statut de Rome dans leur verdict, le premier de l’histoire judiciaire du Congo à reconnaître le viol et les violences sexuelles comme un crime contre l'humanité. Les hommes s’étaient échappés quelques mois plus tard et sont actuellement toujours en fuite.



Améliorer le système carcéral du Congo pourrait bien être au delà des attributions de la CPI, mais les analystes indiquent que la justice internationale a un autre rôle important à jouer au Congo.



L’archevêque sud africain Desmond Tutu, présent récemment à La Haye pour une réunion du bureau du fonds de la CPI au profit des victimes dont il est membre, pense que la Cour agit comme un important moyen de dissuasion.



Tutu a pris un autre pays africain, le Zimbabwe, comme exemple d'un pays où la justice internationale fonctionne.



“Les crimes terribles continuent, c’est vrai, mais les gens commencent à avoir peur,” a déclaré Tutu à l’IWPR. “Une partie des [raisons] pour lesquelles nous ne pouvons pas obtenir une résolution de [la] crise au Zimbabwe est que beaucoup de gens qui étaient des acolytes de Mugabe, et qui se sont rendus coupables de violences, ont peur aujourd’hui.



“Ils cherchent une sorte d’immunité, ce qui signifie que les gens sont au courant de l’existence de cette cour, et même de plus en plus dans la mesure où ils savent qu’il pourrait y avoir une épée de Damoclès suspendue au dessus de leurs têtes. Cela peut les dissuader.”



Mattioli s’interroge cependant sur la force de dissuasion que la CPI a eue jusqu’à présent. Elle indique que les chefs miliaires d'Ituri ont eu peur au départ, lorsque l’acte d’accusation de Lubanga a été révélé pour la première fois il y a plus de deux ans, mais que cela n’a pas duré.



“Cette [peur] dure un moment lorsque la nouvelle [d’un acte d’accusation] paraît et puis tout le monde l’oublie,” a indiqué Mattioli.



Elle pense que la Cour a besoin de trouver une meilleure méthode pour expliquer son travail aux Congolais.



“Je ne suis pas sure que leur politique de communication soit la meilleure possible. Les charges de violence sexuelle sont incluses dans les affaires Ngudjolo et Katanga, mais je ne suis pas convaincue que tout le monde au Congo sache que ces crimes sont poursuivis,” a-t-elle indiqué.



Un autre problème majeur pour la CPI au Congo, a indiqué Mattioli, est son échec à exécuter ses mandats d’arrêt. En avril dernier, la Cour a révélé un acte d’accusation contre le chef de milice d’Ituri Bosco Ntaganda, qui continue à lui échapper.



Ntaganda est accusé d'avoir forcé des enfants à effectuer leur service militaire alors qu’il était membre des Forces patriotiques pour la libération du Congo, FPLC, en 2002 et 2003. Les FPLC sont l’aile militaire de l’Union des patriotes congolais, UPC de Lubanga.



Le procès de Lubanga à la CPI est presque réduit à néant et Ntaganda a quitté l’Ituri, le terrain de prédilection des FPLC, pour le Nord Kivu. Il a rejoint la force rebelle de Laurent Nkunda et est désormais second de commandement au sein du groupe accusé d’avoir commis des violences sexuelles de masse au Nord Kivu.



“Vous serez plus dissuasif si vous êtes perçu comme quelqu’un de fort,” a indiqué Mattioli. “Si j’étais quelqu’un commettant des crimes de violence sexuelle là-bas, je n’aurais pas trop peur de la CPI en ce moment.”



De récents communiqués de la part du Procureur ont déploré la “brutalité choquante" des violences sexuelles dans les Kivus et averti Nkunda, l’armée et les rebelles rwandais hutus que la CPI veille.



Mais des actions juridiques concrètes contre les violeurs aux Kivus semblent encore bien éloignées. Les enquêteurs de la CPI ne sont pas encore sur le terrain là-bas, mais discutent au lieu de cela de manière informelle avec les locaux et les ONG.



“Ce que nous avions perçu comme crucial était d’obtenir une vision fidèle des gens qui sont sur le terrain,” a indiqué Bensouda. “Nous devons être très prudents sur la manière dont nous abordons les crimes à caractère sexuel, et nous devons rassembler autant d’informations que nous pouvons avant de nous déployer dans la zone.”



Mais il n’est pas clair quand cela va se produire. “Beaucoup de questions doivent être étudiées,” a indiqué Bensouda. “Il est difficile de déterminer une période.”



Lisa Clifford est reporter de justice internationale à La Haye. Charles Ntiryica est un collaborateur de l’IWPR à Goma.
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