Des experts pensent que le procès de Lubanga pourrait continuer

Si les juges concluent que les procureurs ont révélé suffisamment de preuves, le procès suspendu pourrait reprendre, selon des observateurs.

Des experts pensent que le procès de Lubanga pourrait continuer

Si les juges concluent que les procureurs ont révélé suffisamment de preuves, le procès suspendu pourrait reprendre, selon des observateurs.

Monday, 3 November, 2008

Le procès d’un ancien chef de milice congolais pour crimes de guerre, pourrait commencer, après avoir été longtemps reporté, malgré la décision de la Cour d’appel prise la semaine dernière confirmant une suspension controversée des procédures, comme l’indiquent certains analystes.



Le procès de Thomas Lubanga à la Cour pénale internationale, CPI, a été mis en attente pour une période indéterminée quelques jours à peine avant sa date de commencement prévue pour le 23 juin dernier, après que les procureurs aient manqué de remettre des preuves clés que ce soit à la Défense ou aux juges du procès.



Cependant, les procureurs ont désormais remis les documents en question aux juges, et des experts juridiques ont indiqué cette semaine à l’IWPR qu’ils ne voient pas de raison empêchant la reprise du procès.



“Il y a de grandes chances que le procès reprenne,” a déclaré Lorraine Smith, de l’Association internationale du Barreau.



“Nous espérons que le processus de révision [des éléments de preuve] va être rapide, après, bien entendu, que la Chambre aura été convaincue que les conditions requises [par rapport aux documents] ont été pleinement satisfaites.”



La question de savoir si le procès pourra finalement commencer sera réglée lors d’une audience plus tard ce mois-ci.



Plus de 200 documents qui avaient été remis aux procureurs par diverses agences, y compris les Nations Unies, sont au cœur du problème. Les procureurs ont reconnu que certains de ces documents étaient disculpatoires, ce qui signifie qu’ils contiennent des preuves qui pourraient exonérer l’accusé de sa responsabilité.



Cependant, étant donné qu’ils avaient obtenu les documents en vertu d’un accord de confidentialité, les procureurs avaient soutenu que ces derniers ne pouvaient pas être montrés à la Défense ni même aux Juges de la Chambre de première instance dans cette affaire.



L’Accusation avait fait appel de la décision des juges du 13 juin de suspendre le procès de Lubanga, inculpé pour l’utilisation d’enfants soldats pour les faire combattre lors du conflit sanglant ayant eu lieu dans la région congolaise de l’Ituri, de septembre 2002 à août 2003.



Cependant, le 21 octobre, les juges de la Chambre d’appel décidèrent de maintenir la suspension des procédures, indiquant qu’ils ne pouvaient pas continuer à moins que les preuves ne soient dévoilées. Ils rejetèrent aussi une décision préalable rendue par les juges de la Chambre de première instance qui appelaient à la libération de Lubanga.



Catherine Mabille, l’avocate de Lubanga, a indiqué à l’IWPR que les juges de première instance étaient actuellement en train de réviser les documents dévoilés récemment.



“La Chambre examine tous les documents que nous ne pouvions pas avoir,” a indiqué Mabille.

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Alison Smith, coordinatrice du programme de justice pénale internationale auprès de l’ONG No Peace Without Justice, a indiqué qu’un procès pourrait très bien commencer dans le future proche, particulièrement étant donné que les sources d’information, y compris l’ONU, ont accepté de lever la confidentialité sur les documents.



“C’est ce qui constituait le principal obstacle empêchant le procès d’avancer,” explique-t-elle.



Le Bureau du Procureur, BdP, n’a pas souhaité faire de commentaires sur l’état de l’affaire malgré des demandes répétés de l’IWPR pour une interview.



Cependant, une requête de l’Accusation récemment mise en ligne sur le site de la Cour indique qu’à partir du 13 octobre, le BdP doit remettre aux juges de première instance “tous les documents de toutes les sources d’information sous leur forme non expurgée dorénavant et tout au long du procès pour leur réexamen”.



La requête énonce que sur les 228 documents, 135 peuvent être pleinement dévoilés è la Défense, alors que des restrictions subsistent quant aux 93 restants. De façon significative, tous les documents sont désormais disponibles dans leur forme intégrale pour réexamen par les juges de première instance.



Bien que les observateurs indiquent qu’il y a de grandes chances que le procès commence, la plupart conviennent que si les juges décident qu’il ne peut pas continuer, les appels à la libération de Lubanga risquent de résonner plus fort.



De tels revendications sont même venues du sein-même de la Chambre d’appel, le juge Georghios Pikis expliquant dans son opinion dissidente du 21 octobre que la Cour ne peut pas continuer à garder Lubanga en détention dans l’espoir de le juger “à un moment futur, incertain”. Faire cela, a-t-il dit, prolongerait la détention de l’accusé “sans faute de sa part”.



Mabille a également remis en cause la décision de garder Lubanga en détention si les procédures ne montrent pas de signe de reprise.



“Le problème est que s’il devait y avoir un procès un jour, la Cour doit être sûre qu’il puisse comparaître,” a-t-elle indiqué. “[Mais] vous ne pouvez pas garder quelqu’un en prison en disant, ‘Peut-être qu’un jour nous allons avoir un procès.’”



La question de la libération potentielle de Lubanga est sans aucun doute une question épineuse, étant donné le besoin de trouver un équilibre entre le désir de justice et le droit de l’accusé à ne pas être détenu indéfiniment.



“La pression est bien réelle maintenant pour qu’une date soit donné pour le commencement du procès ou pour qu’une sorte de remise en liberté soit ordonnée,” a indiqué Alison Smith. “Ça fait maintenant deux ans que M. Lubanga est détenu à La Haye. Si cela avait lieu dans un tribunal national, ce serait considéré comme une très longue période pour être détenu sans procès.”



Alors qu’elle a reconnu que la libération de Lubanga sans qu’il ait fait l’objet d’un procès provoquerait un tollé compréhensible, elle a indiqué qu’un tel facteur n’aurait aucun poids dans la décision des juges.



“Les victimes seraient révoltées [s’il devait être libéré], et je peux bien le comprendre,” a-t-elle dit. “Il est accusé de crimes très graves, il est le premier à avoir été inculpé, et tout le monde attend qu’il soit jugé. Mais juridiquement, ce n’est pas quelque chose que les juges doivent prendre en compte quand ils prendront leur décision.”



Des groupes faisant campagne pour les droits des victimes indiquent que l’incertitude continuelle dans le procès Lubanga – avec ses retards répétés et ses décisions techniques à répétition – a causé une grande confusion parmi les gens vivant en RDC.



“Il est extrêmement difficile [pour les victimes] de comprendre ce qui se passe maintenant,” a indiqué Anne Althaus, la Conseillère sur le programme de la CPI auprès de REDRESS, une organisation qui fait campagne au nom des victimes de torture.



“Ces décisions sont très techniques. [Pour les gens sur le terrain,] il n’est pas facile de comprendre quelles en sont les conséquences pratiques.”



Anneke van Woudenberg, chercheuse principale sur la RDC auprès de Human Rights Watch, a exprimé son inquiétude au sujet des rapports souvent contradictoires et incorrects qui ont été disséminés par diverses factions en RDC, y compris par les alliés de Lubanga.



“Je pense que les gens qui étaient les supporters de Lubanga ont, bien évidemment, utilisé ces marchandages juridiques pour justifier [leur revendication] que Lubanga est innocent,” a-t-elle expliqué. “Cela tombe dans des oreilles réceptives, et la Cour doit vraiment faire des efforts pour contrer la circulation de telles informations, ou au moins donner une vue alternative.”



L’efficacité du programme de communication de la CPI a été contestée par les experts et les ONG.



Bukeni Waruzi, originaire de la province du Sud Kivu et actuellement coordinateur du programme Afrique et Moyen-Orient auprès de WITNESS, une organisation qui documente les violations des droits de l’Homme, a indiqué que la communication de la CPI avait été inadaptée.



“Ce qui se passe aujourd’hui est le résultat d’un très mauvais traitement de la communication. Maintenant il est trop tard et les gens sont contrariés,” explique Waruzi, rentré récemment d’une visite en RDC. Il ajoute que la CPI n’en a pas assez fait pour informer les gens au sujet de la possibilité de retards inattendus, des complications juridiques impliquées, ou pour remplir les “ immenses attentes” provoquées par l’arrestation de Lubanga.



Mais la CPI maintient qu’elle a un solide programme d’information et de sensibilisation du public, qui emploie trois membres du personnel à temps plein sur le terrain.



Sonia Robla, Chef du Bureau de l’information publique de la CPI, a indiqué à l’IWPR que depuis l’annonce la semaine dernière de la décision en appel qui prévoit le maintien de la suspension des procédures, un employé a donné huit interviews à des antennes de la radio et de la télévision qui émettent à Kinshasa et dans la région de l’Ituri. En outre, elle a déclaré que tous les communiqués de presse de la CPI sont remis en personne aux antennes des médias et aux ONG à Kinshasa et à Bunia.



Alors que les observateurs attendent de voir ce qui va se passer dans l’affaire Lubanga, la plupart conviennent que l’affaire devrait être instructive pour la CPI.



“J’espère, comme nombre de nos collègues, que cela va provoquer un réexamen par le Bureau du procureur de la manière de récolter des informations,” a indiqué Alison Smith.



“On peut se poser la question de savoir si la CPI aurait du signer un tel accord empêchant en pratique que d’importants documents soient réexaminés par les juges.”



Lorraine Smith a ajouté que le fait de dépendre fortement d’informations et de recherches extérieures peut être très problématique.



“Les juges ont clairement dit qu’il y existait une trop grande dépendance par rapport aux sources d’information,” a-t-elle dit. “Lorsque vous dépendez de sources d’informations, vous avez moins de contrôle sur la manière dont le matériel est rassemblé. Je pense qu’une dépendance excessive met le Procureur dans une position très difficile.”



Indépendamment de la manière dont la CPI décidera d’aborder les affaires à l’avenir, les experts et avocats conviennent que le besoin que le procès de Lubanga reprenne rapidement et de manière équitable est critique – pour les victimes et pour la crédibilité de la Cour elle-même.



“Je pense que le besoin que la CPI garantisse un procès équitable et qu’elle soit vue comme garantissant un procès équitable est très élevé,” a indiqué Alison Smith. “Ce ne sera bien évidemment pas la fin de la CPI si [le procès] ne reprend pas. Mais cela rendra le travail [de la Cour] beaucoup plus difficile dans les années à venir le cas échéant.”



Les inquiétudes au sujet de la Cour et d’un processus juridique équitable, n’ont plus beaucoup de résonance pour les gens qui vivent en RDC comme l’indique Waruzi.



“Le paysan en Ituri qui a vu sa fille violée et enlevée – vous pensez que le processus l’intéresse?” interroge Waruzi. “Ce qu’il veut c’est voir la décision finale, et cette décision ne devrait pas prendre des années.”



Rachel Irwin est reporter auprès de l’IWPR à La Haye.

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