Commentaire: Procès équitable contre confidentialité

Les juges de la CPI luttent avec les droits en conflit au procès de Lubanga.

Commentaire: Procès équitable contre confidentialité

Les juges de la CPI luttent avec les droits en conflit au procès de Lubanga.

La décision récente de la Cour pénale internationale, CPI, de suspendre le procès contre l’ancien chef de milice congolais Thomas Lubanga, a soulevé des questions clés que la Cour va devoir résoudre rapidement.



La manière dont elles seront résolues aura des effets d’une portée considérable pour la Cour, mais également un impact sur les procès en cours de trois autres ressortissants de la République démocratique du Congo, RDC: Germain Katanga, Mathieu Ngudjolo, et Jean-Pierre Bemba.



Lubanga est accusé par la Cour d’avoir enrôlé des enfants de moins de quinze ans pour les utiliser comme combattants au sein de sa milice lors des nombreux affrontements interethniques qui ont eu lieu en 2002 et 2003.



Le procès de Lubanga devait commencer le 23 juin, mais il a été suspendu par les juges de la CPI.



La Cour a reconnu que le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, avait abusé de son autorité en refusant de communiquer plus de 200 documents qu’il avait reçus de sources au sein des Nations Unies.



Ces documents comprennent des informations qui, selon les juges, auraient pu aider la défense de Lubanga, ce qui signifiait alors que Lubanga ne pouvait pas bénéficier d’un procès équitable.



Le 2 juillet dernier, la CPI avait décidé de remettre Lubanga en liberté comme une conséquence logique de la suspension de la procédure, même si aucune décision n’a été rendue quant à la culpabilité ou l'innocence de l’accusé.



Le 7 juillet, la Chambre d’appel avait ensuite accepté d’entendre les arguments de Moreno-Ocampo contre la décision de la CPI, et de garder Lubanga en détention jusqu'à ce que qu’une décision ait été prise au sujet de l’appel.



La question essentielle tourne autour du conflit entre le droit de Lubanga à un procès équitable et la capacité du Procureur à garantir la confidentialité à ses sources d’information.



Deux dispositions du Statut de Rome, texte fondateur de la CPI, portent sur la confidentialité des documents et le droit à un procès équitable.



D’après l’article 54-3-e, le Procureur peut s’engager à ne divulguer à aucun stade de la procédure les documents ou renseignements qu’ils a obtenus sous la condition qu’ils demeurent confidentiels et ne servent qu’à obtenir de nouveaux éléments de preuve. Cette confidentialité peut être levée uniquement si celui qui a fournit l'information y consent.



Cependant, l’article 67-2 stipule que le Procureur doit communiquer à la défense, dès que cela est possible, les éléments de preuve en sa possession ou à sa disposition dont il estime qu'ils disculpent l'accusé ou tendent à le disculper ou à atténuer sa culpabilité, ou sont de

nature à entamer la crédibilité des éléments de preuve à charge.



D’une part, le Statut permet au Procureur de ne pas révéler les documents ou informations qu'il a obtenus sous la condition qu’ils demeurent confidentiels.



D’autre part, il ordonne à l’Accusation d'informer la Défense des éléments de preuve qui pourraient aider l’accusé.



Afin d’éviter de se retrouver face à la même difficulté dans les affaires Katanga, Ngudjolo et Bemba, la Cour se doit de trouver une solution équilibrée qui tienne compte à la fois des droits de l’accusé à un procès équitable et de la garantie de confidentialité.



Il appartient aux juges de décider d’une ligne de conduite, si l’ONU venait à s’opposer à la divulgation des documents relatifs à l’affaire Lubanga.



Le développement de l’affaire Lubanga est maintenant passé aux mains de la Cour d’appel qui doit se prononcer sur la suspension de l’affaire.



Bien que la décision des juges de suspendre le procès soit un signe de leur forte détermination à ce que le Défendeur reçoive un procès équitable, elle a également provoqué une grande confusion.



Il est aujourd’hui très important que la Cour conduise une campagne de sensibilisation dans la région de l'Ituri, en RDC, pour expliquer que ce geste ne signifie pas la fin du procès mais qu’il s’agit plutôt d'une suspension vouée à protéger le droit de l’accusé à un procès équitable.



Quelque soit la manière dont les juges vont résoudre le problème, qui, espérons-le, servira à la fois les droits de l’accusé et de l’Accusation, leur décision aura des conséquences d’une portée considérable.



Elle affectera au moins trois ou plus des affaires en cours qui impliquent des chefs de milice de RDC semblables. Elle servira également de jurisprudence importante dans l’arène grandissante de la justice internationale.



Eugène Bakama Bope est le président du Club des Amis du droit du Congo.
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