COMMENTAIRE : LE BESOIN DE PAIX ET DE JUSTICE

L’intégration des anciens chefs de milice dans les forces armées visait à renforcer la paix, mais il n’y a pas de paix sans justice.

COMMENTAIRE : LE BESOIN DE PAIX ET DE JUSTICE

L’intégration des anciens chefs de milice dans les forces armées visait à renforcer la paix, mais il n’y a pas de paix sans justice.

Tuesday, 8 January, 2008
Trois anciens chefs de milice Congolais d’Ituri ont rejoint les rangs de l’armée congolaise. Peter Karim, du Front nationaliste et intégrationniste, FNI, Cobra Matata Wanaloki des Forces Patriotiques de Résistance d’Ituri, FRPI et Mathieu Ngudjolo du Mouvement révolutionnaire congolais, MRC, se sont envolés le mois dernier vers Kinshasa pour y commencer leur entraînement militaire.



Karim, Matata et Ngudjolo dirigeaient les trois derniers groupes armés actifs en Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo. Des responsables de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo, connu sous son acronyme de MONUC, ont indiqué que l’arrivée du trio dans la capitale aux côtés d’autres commandants en chef a marqué “une étape importante dans la consolidation de la paix” dans ce district en proie à la violence depuis plus de huit ans.



Mais certains au Congo sont inquiets que des hommes dont les groupes de milice ont été accusés d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité soient intégrés à l’armée nationale, les FARDC.



La question qui mérite d’être posée est de savoir si cela va promouvoir la paix en Ituri ou s’il s’agit d’une récompense pour les crimes commis, alors que la justice serait une solution plus appropriée.



Les groupes armés en Ituri ont commis de graves crimes dans la région et deux chefs de milice sont actuellement jugés devant la Cour pénale internationale, CPI.



Karim commandait le FNI qui a été accusé du meurtre de neuf casques bleus bangladais en 2005, époque à laquelle Floribert Ndjabu était à la tête du Front. Karim était en poste lors de la mort d’un casque bleu népalais et de la prise d’otage de sept autres au cours de combats avec le FNI en mai 2006.



Ngudjolo est un ancien membre du FNI aujourd’hui à la tête du MRC, qui déclarait disposer de milliers de combattants en Ituri, dans un conflit ethnique entre les membres des communautés Lendu et Hema, ayant découlé du conflit congolais de 1998 à 2003.



Matata, a entre temps succédé à Germain Katanga comme chef du FRPI lorsque ce dernier a été arrêté au Congo pour son rôle présumé dans le meurtre des casques bleus bangladais. Il est aujourd’hui détenu à la CPI, à La Haye. Certains groupes de défense des droits de l’homme affirment que les FRPI ont continué à commettre de graves violations des droits de l’homme y compris l’arrestation illégale et la torture de responsables locaux dont certains furent ensuite exécutés.



Les crimes commis au cours de la guerre en Ituri ont été exclus d’un décret présidentiel garantissant l’amnistie pour les faits de guerre et les crimes commis lors du conflit congolais de 1998 à 2003. L’amnistie exclut à juste titre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide.



Cependant, avec l’arrivée de Karim et des autres à Kinshasa, le gouvernement a parlé d’étendre l’amnistie pour inclure l’Ituri.



L’amnistie ne devrait pas être étendue aux crimes commis plus récemment dans l’est dans la mesure où ce sont des crimes internationaux, et qu’il n’y a pas d’amnistie pour les crimes qui relèvent du Statut de Rome. La loi d’amnistie a explicitement exclu les crimes internationaux et, en outre, elle ne peut avoir d’effet sur les crimes commis après sa promulgation en 2003.



La question d’une amnistie a également été abordée pour le général congolais déchu Laurent Nkunda, qui bataille actuellement contre l’armée dans la province orientale du Nord Kivu.



Nkunda est un ancien officier supérieur du RCD-Goma, soutenu par le Rwanda, un des principaux groupes rebelle à avoir combattu au Congo lors du conflit de 1998 à 2003. Il est actuellement à la tête d’une armée rebelle de milliers de combattants et affirme protéger les droits des Tutsis congolais.



Le gouvernement congolais a émis un mandat d’arrêt contre Nkunda en septembre 2005, en lien avec les actes de torture et de viols commis par ses soldats à Bukavu en 2004 et à Kisangani en 2002. Ce mandat n’a cependant jamais été exécuté.



La CPI a récemment déclaré qu’elle étudie les crimes commis par toutes les parties au conflit au Nord Kivu, y compris les troupes de Nkunda. Ils incluent les actes de violence sexuelle, de déplacement forcé et de meurtre, des accusations niées par Nkunda.



On peut douter que le gouvernement congolais soit capable de négocier une amnistie pour Nkunda, et s’il le fait, la CPI ne sera pas liée par cet accord si elle décide de poursuivre Nkunda pour les graves crimes prétendument commis au Congo.



Le conflit actuel au Nord Kivu est né de l’échec d’inclure Nkunda et ses troupes dans l’armée nationale.



Un accord a été atteint début 2007 pour mélanger les fidèles de Nkunda aux troupes de l’armée congolaise au Nord Kivu déployées localement plutôt que nulle part ailleurs dans le pays. Cet accord a donné naissance à cinq brigades formées par les soldats fidèles à Nkunda et certains des FARDC.



Mais cet accord s’est écroulé au bout de quelques mois, selon Human Rights Watch qui relate que les troupes de Nkunda ont rapidement rejoint leur ancien chef, qui avait utilisé le processus d’intégration pour augmenter sa force militaire et son influence politique.



Des propositions visant à mettre fin au conflit au Nord Kivu incluent l’exil pour Nkunda ou une autre tentative de l’intégrer au sein de l’armée nationale - comme Karim, Matata et Ngudjolo. Nkunda, cependant, a dans le passé rejeté l’éventualité de s’exiler, préférant rester dans son district d’origine de Masisi où il n’a rien à craindre.



Que certains chefs rebelles aient été emmenés à La Haye alors que d’autres sont courtisés au moyen de postes à responsabilité dans l’armée a causé une grande controverse au Congo.



Comme cela a déjà indiqué, la MONUC a accueilli l’arrivée à Kinshasa de trois chefs de milice dIturi comme “une étape importante dans la consolidation de la paix dans ce district”. Pour certains observateurs et associations de défense des droits de l’homme cependant, cette intégration et la nomination à des postes à responsabilité sont une récompense pour les crimes commis.



Mais c’est une question difficile qui nous ramène au dilemme entre paix et justice - un dilemme qui a fait couler beaucoup d’encre en RDC et qui est aujourd’hui toujours d’actualité dans des pays tels que l’Ouganda.



Faut-il poursuivre ou oublier ? La paix et la justice sont-elles compatibles ? Si elles ne le sont pas, laquelle des deux prime ?



La poursuite d’auteurs présumés de crimes graves qui sont aujourd’hui à des postes élevés dans l’armée nationale va-t-elle être une entrave au processus de paix déjà fragile en Ituri ? Ou est-ce que le pardon d’actes terribles commis par les anciens chefs de milice au nom de la paix est une insulte grave à la mémoire des victimes ?



Nous devons garder à l’esprit qu’il n’y a pas de véritable paix sans justice et pas de justice sans vérité. La paix et la justice devraient être considérés comme des objectifs complémentaires et non pas contradictoires.



Des hommes tels que Karim, Matata, Ngudjolo et de nombreux autres devraient être tenus responsables devant la justice nationale ou internationale. Si le président Joseph Kabila est sérieux quant à ses promesses par rapport à la justice, il n’aurait pas du accepter la nomination aux plus hauts postes de l’armée de suspects de crimes de guerre et devrait amener ses propres soldats accusés de tels crimes devant la justice.



Le sang des Congolais ne devrait pas être considéré comme un marchepied pour atteindre le pouvoir. Il est important de passer de la culture de l’impunité à la culture de l’imputabilité.



Eugène Bakama Bope est le Président du Club des Amis du droit du Congo.
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