Commentaire: La nomination des juges viole la constitution

Les sympathisants du président justifient ce geste par l’état déplorable du système judiciaire - mais une telle excuse est inacceptable.

Commentaire: La nomination des juges viole la constitution

Les sympathisants du président justifient ce geste par l’état déplorable du système judiciaire - mais une telle excuse est inacceptable.

Friday, 29 February, 2008
A quoi sert la constitution de la République démocratique du Congo si elle est sans arrêt violée par ceux qui sont censés veiller à son application ?



C’est ce qui s’est produit le 9 février dernier lorsque le président Joseph Kabila a mis à la retraite 92 juges et procureurs, y compris le président de la Cour de Cassation et l’avocat général, les remplaçant par 26 candidats.



De nombreux juges se mirent alors en grève, déclarant que le geste de Kabila était une atteinte à la constitution et à l’indépendance du système judiciaire, et la plupart des tribunaux de la capitale, Kinshasa et de nombreuses autres provinces furent fermés. Au bout d’une semaine, les juges mirent fin à la grève suite à un accord de compromis passé avec Kabila.



Cette ordonnance présidentielle nommant les nouveaux magistrats est inconstitutionnelle et illégale. Cela ne fait aucun doute.



Selon les articles 150 et 152 de la constitution du Congo, il revient au Conseil supérieur de la magistrature - le principal organe administratif du système judiciaire - d’engager, de licencier ou de mettre à la retraite les magistrats. Le président de la république les nomme sur proposition de cet organe, et non pas sur celle du ministre de la justice.



Il faut reconnaître que le nouveau Conseil supérieur de la magistrature n’a pas encore été mis en place, même si le feu vert avait été donné en 2006 - mais le président ne devrait pas profiter de ce retard pour violer la constitution. En outre, l’incapacité à mettre en place cet organe judiciaire est une conséquence d’un manque de volonté politique à Kinshasa.



Réagissant à des critiques soulevées à la suite des nominations, le ministre de la justice a défendu ce geste, faisant état d’un grave dysfonctionnement du système judiciaire congolais. Il ne fait aucun doute que le système judiciaire congolais est en mauvais état, et il est impérieux de se poser des questions sur les maux qui le rongent. C’est nécessaire pour un avenir meilleur.



En effet, les problèmes que rencontre la justice congolaise sont nombreux. La dégradation de notre système judiciaire est la raison de l’entrée en jeu de la Cour pénale internationale, CPI, dans le jugement des personnes inculpées de crimes de guerre au Congo. Trois seigneurs de guerre inculpés sont actuellement dans des cellules du centre de détention de la CPI à La Haye parce que le système judiciaire congolais ne pouvait pas faire face pour de nombreuses raisons.



Tout d’abord, il y a un problème de personnel. Le Congo est gigantesque - cinq fois la taille de la France - et il n’y a tout simplement pas assez de juges pour en faire le tour. Cela signifie que ceux qui cherchent à obtenir justice doivent souvent parcourir de nombreux kilomètres afin de trouver un juge qui pourra traiter leur affaire. Dans des zones où les routes sont non-existentes et où les campagnes sont rongées par la violence, il s’agit là d’une barrière significative - et insurmontable - pour de nombreuses personnes.



Il y a également un problème d’infrastructure. Les juges travaillent dans de très mauvaises conditions, et nombre d’entre eux sont très mal formés. Il n’y a pas d’école pour les employés du système judiciaire. En conséquence, les étudiants quittent la faculté avec un diplôme en droit et commencent tout de suite à travailler en tant que magistrats sans avoir suivi une formation adéquate au préalable.



A la base de tous ces maux, cependant, se situe le problème des ressources pour la rémunération des magistrats. Ils sont à peine rémunérés, ce qui implique dans de nombreux tribunaux que la justice est à vendre au plus offrant. Comment une mission aussi difficile que celle de rendre la justice peut-elle être confiée à des gens qui ne sont pas payés de manière adéquate ? D’où le dicton ‘’le magistrat congolais entre justice et survie’’. Le juge a, d’un côté son travail consistant à rendre la justice mais il doit aussi trouver des moyens pour vivre et de nourrir sa famille.



La question que l’on peut se poser est de savoir si ce dysfonctionnement peut justifier la violation de la constitution par quelqu’un qui est, en théorie, supposé veiller à son application. Cela n’est sûrement pas le cas.



Il est regrettable qu’en RDC, le président soit le premier à violer la constitution, et cela devrait être condamné, quelques aient été les motifs de cette décision.



Comme à l’époque de Mobutu, Kabila a nommé des gens à des postes de hauts magistrats sans avoir consulté au préalable le Conseil supérieur de la magistrature, violant ainsi le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance du système judiciaire.



Ce n’est pas en violant la constitution qu’on peut assurer un avenir meilleur à notre système judiciaire et consolider l’avènement d’un véritable État de droit au Congo.



Eugène Bakama Bope est le Président du Club des amis du droit du Congo.
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