Allégeances incertaines de l'armée de la RDC suite aux élections

D’anciens groupes armés intégrés à la force nationale continuent de suivre leurs propres agendas, menaçant les espoirs d’une stabilité à long terme.

Allégeances incertaines de l'armée de la RDC suite aux élections

D’anciens groupes armés intégrés à la force nationale continuent de suivre leurs propres agendas, menaçant les espoirs d’une stabilité à long terme.

Election day in Masisi, where people were allegedly intimidated into voting for President Kabila by CNDP supporters in the military. (Photo: Melanie Gouby)
Election day in Masisi, where people were allegedly intimidated into voting for President Kabila by CNDP supporters in the military. (Photo: Melanie Gouby)
Election day in Masisi, where people were allegedly intimidated into voting for President Kabila by CNDP supporters in the military. (Photo: Melanie Gouby)
Election day in Masisi, where people were allegedly intimidated into voting for President Kabila by CNDP supporters in the military. (Photo: Melanie Gouby)
Friday, 27 January, 2012

Les récentes élections en République démocratique du Congo, RDC, ont mis en exergue les luttes continues pour le pouvoir entre les anciens groupes rebelles intégrés à l’armée congolaise, faisant craindre pour la stabilité future et le manque du contrôle gouvernemental sur les unités militaires dans l’est du pays.

Selon un rapport des Nations Unies publié à la fin du mois de décembre, les anciens groupes armés continuent à poursuivre leurs propres intérêts partisans, bien qu’ils aient été officiellement intégrés aux forces armées de la RDC, connues sous le nom de FARDC. Lors des élections présidentielle et parlementaire du 28 novembre dernier, ces milices avaient pris parti et cherché à influencer les résultats.

Le rapport indique que des membres du Congrès National pour la Défense du Peuple, CNDP, un groupe armé dominé par les Tutsis et qui a des liens étroits avec le Rwanda, auraient assuré des postes de haut gradés au sein des FARDC en échange d’un soutien à la candidature victorieuse du président en exercice, Joseph Kabila.

Le CNDP avait été intégré aux FARDC en 2009, suite à un accord entre Kabila et le gouvernement rwandais par lequel Laurent Nkunda, le commandant du mouvement, avait été arrêté. En échange, le Rwanda avait envoyé des troupes sur le territoire congolais pour lutter contre les FDLR, une milice ethnique Hutu qu’il considère toujours comme une menace à sa sécurité.

Suite à cet accord, le CNDP avait été divisé en une force militaire intégrée aux FARDC, et une aile politique qui avait mis en avant des candidats parlementaires et soutenu Kabila pour la présidence.

Cependant, cette alliance est au mieux une alliance de circonstance.

“On a promis au CNDP des postes au gouvernement mais il ne les a jamais eus,” a déclaré un expert de l’ONU à l’IWPR, s’exprimant sous condition d’anonymat. “Maintenant, ils renforcent leur pouvoir politique en s’assurant que leurs candidats aux élections parlementaires soient élus et en apportant une population Rwandophone [parlant Kinyarwanda, et donc tutsie] à la région du Kivu pour affirmer leur contrôle et ne plus être une minorité.”

Selon Jason Stearns, un analyste sur le Congo et auteur du livre “Dancing in the Glory of Monsters”, “l’alliance CNDP-Kabila est clairement une alliance opportuniste. Les responsables des deux partis sont nombreux à se détester entre eux, même si beaucoup font affaire les uns avec les autres.

“Bien qu’on puise s’attendre à de nombreuses turbulences à venir, cet accord est plus durable que le précédent, qui avait provoqué un affrontement entre les deux mouvements.”

Parallèlement, beaucoup d’anciens combattants continuent à considérer Bosco Ntaganda, le commandant du CNDP, comme leur véritable leader, et non pas le Président Kabila.

“Malgré une nouvelle réorganisation... les [FARDC] sont toujours divisées par des chaînes de commandement parallèles, de nombreux anciens soldats du CNDP restant loyaux au général Bosco Ntaganda, qui les a encouragés à résister aux tentatives de réformes,” explique le rapport de l’ONU.

Ntaganda est recherché par la Cour pénale internationale pour des chefs d’accusation de crimes de guerre.

Au début de l’année 2011, des tentatives avaient été faites de restructurer les FARDC pour mélanger d’anciens membres du CNDP avec d’autres soldats afin de diluer leurs anciennes allégeances. Cependant, le CNDP semble avoir bénéficié de cet effort, qui a augmenté plutôt que supprimé son contrôle sur la région du Nord Kivu, où Ntaganda exerce toujours une grande influence.

“Rien ne peut être fait sans le consentement de Ntaganda,” a déclaré l’expert onusien à l’IWPR. “Ses troupes sont déployées là où se trouvent ses intérêts économiques personnels, en particulier les mines. Mais depuis septembre, elles ont aussi été impliquées dans l’intimidation politique. Le CNDP a empêché d’autres partis de faire campagne et a forcé de nombreux hommes politiques à rejoindre ses rangs.”

INTIMIDATION DES ÉLECTEURS

A mesure que les résultats des élections se font connaître, les tensions restent élevées dans les deux régions du Nord et Sud Kivu.

“Les gens parlent beaucoup, mais peu de choses ont été faites depuis l’élection présidentielle,” a déclaré un officier des FARDC, s’exprimant sous condition d’anonymat. “Évidemment, l’élection parlementaire est plus proche de nous, mais on ne peut pas vraiment dire quelles vont être les réactions. Ce sentiment d’incertitude fait grimper la tension.”

La Cour suprême de Kinshasa a confirmé la réélection de Kabila le 17 décembre dernier, suite aux accusations de l’opposition et de la communauté internationale qui affirmaient que les élections n’avaient pas été libres et équitables.

Au cours de l’élection parlementaire, sur 25 sièges déjà assignés au Nord Kivu (qui élit 47 des 500 députés au parlement) 20 ont été attribué à la majorité présidentielle de Kabila, ce qui a conduit à une levée de boucliers de l’opposition et des groupes de la société civile qui affirment que le résultat n’est pas crédible. Les résultats définitifs étaient attendus pour le 13 janvier, mais la commission électorale nationale en a reporté l’annonce de manière indéfinie.

Dans le district de Masisi au Nord Kivu, les personnes interviewées par IWPR ont indiqué qu’une pression importante avait été exercée sur les électeurs pour choisir Kabila lors de l’élection.

“Le CNDP a forcé les gens de Masisi à voter pour Joseph Kabila,” a déclaré le membre d’une ONG locale qui a demandé à rester anonyme.

Les reporters de l’IWPR présents dans les bureaux de vote dans le district de Masisi y ont noté une importante présence militaire, et la présence de soldats du CNDP à l’intérieur des bureaux.

Human Rights Watch, l’organisation de défense des droits de l’Homme basée à New York a également fait état d’une présence du CNDP dans les bureaux de vote, et de cas d’intimidation des électeurs.

“Ces élections ne sont pas comme celles de 2006, quand les gens avaient élu des candidats de leur choix,” a déclaré à l’IWPR un paysan de Mushaki, une ville du territoire de Masisi. “Ce n’est pas le cas aujourd’hui à Masisi. Il y a un harcèlement important et nous sommes obligés de voter pour un candidat précis.”

LES AUTRES GROUPES ARMÉS SE DISPUTENT LA PLACE

La position privilégiée accordée au CNDP, associée à l’accord implicite avec Kigali qui la sous-tend, pousse les soldats vers d’autres groupes armés irréguliers, alors que les habitants ressentent le besoin de se défendre contre ce qu’ils considèrent comme la menace d’une domination par les gens d’origine rwandaise.

Qu’ils soient intégrés aux FARDC ou qu’ils opèrent encore comme forces rebelles, ces groupes ont aussi des intérêts directs dans le résultat des élections parlementaires, qui pourrait alimenter les tensions parmi eux.

Les Mai Mai, le terme général utilisé pour désigner divers groupes paramilitaires qui affirment défendre des communautés ethniques particulières, sont mécontents de l’influence que le CNDP a gagné au sein de l’armée nationale et au Kivu.

Deux groupes de Mai Mai, les Mai Mai Sheka et l’Alliance des Patriotes pour un Congo libre et souverain, APCLS, s’étaient affrontés en juin dernier alors qu’ils essayaient de prendre le contrôle de l’électorat à Mutongo. Ntambo Ntaberi Sheka, l‘ancien dirigeant du groupe s’était présenté comme candidat parlementaire dans le district de Walikale, et son groupe voulait que les gens s’inscrivent sur les listes électorales dans ce district, alors que l’APCLS voulait qu’ils votent dans son propre bastion, Masisi.

“La bataille a été initiée par Janvier [le Colonel Buingo Karairi Janvier, à la tête de l’APCLS], qui voulait que les gens de Mutongo s’inscrivent à Masisi,” a déclaré à l’IWPR Séraphin Nugulu, le chef de la zone d’Ihana, suite à l’affrontement. “Bien entendu, Sheka ne pouvait pas laisser faire cela.”

Le résultat de cet affrontement a été que des milliers de gens ont fini par être déplacés et incapables de s’enregistrer pour les élections.

L’ACPLS affirme représenter les intérêts du groupe ethnique Hunde, en particulier contre l’invasion “Rwandophone”.

Le rapport de l’ONU indique que l’APCLS voulait augmenter les inscriptions à Masisi, une zone où “une représentation Hunde limitée est menacée par la force croissante des… hommes politiques Tutsi du CNDP”.

Un certain nombre de groupes armés y compris l’APCLS ont fait des déclarations impliquant qu’ils utiliseraient la violence au cas où leur candidat préféré ne l’emporterait pas, déclenchant des craintes de combats une fois les résultats de l’élection parlementaire proclamés.

Une source diplomatique qui étudie les développements dans l’est du Congo a déclaré, “il sera intéressant d’étudier les réactions de groupes tels que l’APCLS dans le futur proche, si le CNDP garde le contrôle sur de larges zones du Nord Kivu et que le gouvernement ne fait rien contre cela.

Cette source a précisé que des rancoeurs provoquées par l’élection parlementaire pourraient avoir un plus grand impact sur les régions des Kivus que le résultat de l’élection présidentielle.

PLAINTES DE L’ARMÉE

Parallèlement, certaines sections des FARDC, frustrées par ce qu’elles perçoivent comme du favoritisme de la part de Kinshasa envers le CNDP, ont soutenu en secret les partis d’opposition lors des élections. Les soldats réguliers des FARDC qui s’étaient battus contre le groupe rebelle le considèrent toujours comme l’ennemi, alors que les anciens groupes Mai Mai incorporés à l’armée sont plein de ressentiments par rapport à la position privilégiée que le CNDP a acquise.

Plusieurs officiers des FARDC ont déclaré à l’IWPR que le favoritisme perçu du gouvernement envers le CNDP a poussé certains au sein de l’armée à déserter et rejoindre les groupes rebelles, ou au moins à leur donner des armes. D’autres avaient été impliqués dans l’intimidation des électeurs.

Le rapport de l’ONU a confirmé que les allégeances se fracturent au sein de l’armée.

“Beaucoup d’officiers haut gradés n’appartenant pas au CNDP, y compris ceux intégrés à partir d’anciens groupes Mai Mai, qui se sentent de plus en plus marginalisés au sein des services de sécurité, ont commencé à fournir un soutien discret aux groupes armés, à la fois pour leur propre intérêt économique ainsi que pour se positionner avant les instabilités post-électorales,” selon le rapport.

Le sentiment que les anciens militaires du CNDP bénéficient de meilleures conditions que les soldats réguliers mal payés pourrait vraiment déclencher des idées de mutinerie.

“Mes soldats sont payés 50 dollars US par mois, parfois rien du tout,” a déclaré un officier des FARDC parlant sous condition d’anonymat. “En tant que capitaine je suis payé 61 dollars par mois. Nous avons des armes. C’est une cocotte minute sur le point d’exploser.”

Mélanie Gouby est journaliste de l’IWPR et productrice multimédia, responsable du projet justice transitionnelle de l’IWPR dans l’est de la RDC.

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